Book Title: La Legende De Santideva
Author(s): J W De Jong
Publisher: J W De Jong
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Page #1 -------------------------------------------------------------------------- ________________ LA LÉGENDE DE SANTIDEVA* par J. W. DE JONG Canberra L'ouvrage que Mlle Amalia Pezzali a consacré à Santideva est divisé en deux parties: I. La vie et les œuvres; II. La pensée. Comme le relève M. Olivier Lacombe dans sa préface le travail de Mlle Pezzali s'attache à synthétiser les connaissances critiques acquises par la bouddhologie sur la vie, les œuvres et la doctrine de Santideva. Des travaux de ce genre peuvent être très utiles, même si l'auteur n'apporte rien de neuf, à condition que l'information donnée soit exacte et complète. Malheureusement, l'ouvrage présent est loin de remplir ces deux conditions essentielles pour un travail de synthèse. On y trouve non seulement maintes inexactitudes, fautes d'impression, de lecture du sanskrit et du tibétain, etc., mais aussi des lacunes sérieuses dans l'information. Nous n'avons nullement l'intention de signaler toutes les erreurs dont ce livre fourmille.1 Le lecteur averti sera capable de faire lui-même les corrections nécessaires. Il nous a paru utile d'examiner les documents concernant la vie de Santideva que Mlle Pezzali a réunis dans le premier chapitre de la première partie de son ouvrage (pp. 3-45). La vie ou plutôt la légende de Santideva nous est racontée par trois historiens tibétains: Bu-ston (1290-1364), Taranatha (1575- ?) et Sum-pa mkhan-po (1704-1788). L'ouvrage de Bu-ston, "Histoire du bouddhis * A propos de Amalia Pezzali, Santideva, mystique bouddhiste des VIIe et VIIIe siècles, Firenze, Vallecchi Editore, 1968. USA $7.80. 1 Il faudrait commencer par les abréviations (page XIII). Le catalogue de Cordier n'est pas en trois volumes mais en deux. Il faut corriger Hiuan-tsang en Hiouenthsang et Stanislaus en Stanislas. La Prasannapada ne fut pas publiée en 1913 mais de 1903 à 1913. 2 Mlle Pezzali fait mourir Taranatha en 1608 et Sum-pa mkhan-po en 1777. Täranätha a écrit son "Histoire du Bouddhisme en Inde" en 1608 à l'âge de 34 ans (cf. Târanâtha's Geschichte des Buddhismus in Indien. Aus dem tibetischen uebersetzt von Anton Schiefner, St. Petersburg, 1869, p. VI). La date de sa mort semble être inconnue. Sum-pa mkhan-po est mort en 1788 (cf. J. W. de Jong, "Sum-pa mkhan-po [1704-1788] and his works", HJAS, 27 (1967), p. 209). Page #2 -------------------------------------------------------------------------- ________________ 162 J. W. DE JONG me" (chos-'byun), fut écrit en 1322-1323.3 Le passage de son ouvrage, relatif à Santideva, fut traduit par Obermiller: Bu-ston, History of Buddhism, II. Part (Heidelberg, 1932), pp. 161-166. Dans l'édition, utilisée par Obermiller, ce passage occupe les feuillets 126b-128b. Dans l'introduction à la première partie Stcherbatsky écrit que la traduction est faite d'après un vieux xylographe (Heidelberg, 1931), p. 4. Le texte tibétain que Mlle Pezzali reproduit a la même pagination que celle traduite par Obermiller. Il doit s'agir de l'édition de Bkra-sis lhun-po décrite par M. Yamaguchi Zuiho car on retrouve dans la traduction d'Obermiller la même pagination pour les trois premiers chapitres (la traduction s'arrête avant la fin du quatrième chapitre). Cette édition qui contient 244 feuillets a été décrite aussi par Sakai Shiro et par A. I. Vostrikov. M. Yamaguchi décrit deux autres éditions du Chos-byun: l'une en 190 feuillets (sans indication de lieu de publication) et l'autre, celle de Derge en 203 feuillets. Il y a encore une autre édition du Chos-'byun qui fait partie du Gsun-'bum publié en 28 volumes à Lhasa en 1921.7 Le Chos-'byun occupe 212 feuillets dans le volume Ya. La pagination des six chapitres est la suivante: I. ff. 1-2b7; II. ff. 267-34b6; III. ff. 34b6-122b5; IV. ff. 12266-143a4; V. ff. 143a5-210al; VI. ff. 210a1-212al. L'histoire de Šāntideva se trouve aux feuillets 11363-115b3. Au lieu de faire une édition critique de ce passage à l'aide des quatre éditions, signalées ci-dessus, Mlle Pezzali s'est contentée de reproduire le texte d'une seule édition. L'utilité de l'édition de ces feuillets est diminuée par le fait que le texte, reproduit comporte plusieurs fautes de lectures comme on peut le constater aisément sans avoir recours au xylographe. La traduction suit de près celle d'Obermiller qui est excellente. Mlle Pezzali en copie lès rares 3 Cf. R. A. Stein, Recherches sur l'épopée et le barde au Tibet (Paris, 1959) p. 33. 4 Catalogue of the Toyo Bunko Collection of Tibetan Works on History, edited by Zuiho Yamaguchi, (Tokyo 1970), p. 95. 5 Sakai Shiro, "Kazo Chibetto-zo-gai butten no oboegaki", Nihon chibetto gakkai kaiho, No. 3 (1956), p. 1; A. I. Vostrikov, Tibetskaja istoričeskaja literatura (Moskva, 1962), pp. 91 and 257. 6 Op. cit., pp. 94-96. L'édition en 190 feuillets fut utilisée par H. Hoffmann (cf. Quellen zur Geschichte der tibetischen Bon-Religion, (Wiesbaden, 1950), p. 272). Pour l'édition de Derge voir aussi Stein, loc. cit. et Lokesh Chandra, "Les imprimeries tibétaines de Drepung, Derge et Pepung", JA (1961), p. 511, no. 68. 7 Cf. D. S. Ruegg, The Life of Bu ston rin po che (Roma, 1966), pp. 41-42, n. 3. 8 Catalogue of the Tohoku University Collection of Tibetan Works on Buddhism (Sendai, 1953), p. 72, no. 5197. Les 28 volumes ont été réimprimés par l'International Academy of Indian Culture. Volume Ya a paru en 1971. Je dois à l'amabilité du professeur Lokesh Chandra un tiré-à-part de ce volume contenant le texte complet du Chos-'byun. 9 F. 126b3 bltams čas, lire bltams nas; 126b5 bras nas, lire bros nas; 126b6 rab-tu Page #3 -------------------------------------------------------------------------- ________________ LA LÉGENDE DE SANTIDEVA 163 erreurs.10 Selon cette recension de la légende, Sāntideva naquit dans le Sud comme fils du roi Kalyāṇavarman du Surāṣtra. 11 Il fut appelé Sāntivarman. L'ouvrage de Tāranātha fut édité et traduit par Anton Schiefner.12 Mlle Pezzali reproduit le texte de Schiefner, en y apportant quelques erreurs.18 L'édition de Schiefner repose sur quatre manuscrits. Mlle Pezzali n'a consulté aucune édition tibétaine.14 Dans sa traduction elle a essayé d'améliorer celle de Schiefner mais sans grand succès.15 Le troisième texte, reproduit par Mlle Pezzali, est emprunté à l'édition du Dpag-bsam ljon-bzan par S. C. Das. L'édition de Das est presque inutilisable à cause du grand nombre de fautes d'impression. Dans ce cas il aurait été absolument nécessaire de consulter le xylographe sur lequel M. R. A. Stein a donné des renseignements. 16 Ajoutons que l'ouvrage de Sum-pa mkhan-po date de 1748. Comme le dit Mlle Pezzali Sum-pa mkhan-po n'ajoute rien de neuf en ce qui concerne Santideva. Le dernier document, présenté par Mlle Pezzali, est un manuscrit népalais que Haraprasād Sāstri a signalé pour la première fois dans un article sur sāntideva.17 Ensuite, il a décrit le manuscrit et a reproduit le byun ba'i byan, lire rab tu byun ba'i bya ba; 127a6 po ma ses pa, lire no ma šes pa; 127b4 Thun bzed gad, lire lhun bzed gan; 127b5 bru ba chabs nen te, lire bru ba cha bas nen te; 128a3 khru dam and 'khru dam, lire 'khrud ma. 10 Ainsi f. 127a5 rjogs-par bton-te gšegs-so "il termina ainsi la récitation et il réapparut". Obermiller, p. 163: "And, after the recitation was completed, he appeared again". Il faut évidemment traduire: "Après avoir récité (le texte] complètement, il s'en alla". 11 Mlle Pezzali traduit: "Dans la région méridionale de Surāştra". Obermiller a: "In the southern country, of Saurastra". Le texte dit qu'il naquit comme le fils, appelé Sāntivarman, du roi, appelé Kalyāpavarman, du Surāştra dans le Sud. 11 Cf. ci-dessus note 2: Târanathae de doctrinae buddhicae in India propagatione narratio. Contextem Tibeticum e codicibus Petropolitanis edidit Antonius Schiefner. Petropoli, 1868. Texte et traduction furent réimprimés en 1963 à Tokyo par la Suzuki Research Foundation. 13 P. 126, 1.11 sdan, lire sňon; p. 128, 1.5 dge slon, lire dge slon; p. 128, 1.10 rtags por, lire rtags bor; p. 128, 1.20 yin n'an, lire yin na'an; p. 128, 1.21 yul gań in, lire yul gan yin. 14. Pour une édition, imprimée à Derge, voir Stein, op. cit., p. 41 et Lokesh Chandra, JA (1961), p. 509, no. 36. 15 Voir p. 126, 11.10-11 (yi-dam-gyi phyag-mchan šin-gi ral-gri gčig 'chan-gin yod), p. 126, 1.15 (gnod-kyan sla-yi; sla = bla, cf. Bu-ston f. 128al), etc. A un seul endroit Mlle Pezzali améliore la traduction de Schiefner dans une certaine mesure: p. 126, 1.13 ral-gri yan šin las med-do "son épée, qui est en bois, est inutile". Schiefner (p. 164): "sein Schwert nicht von Holz sei". Il faut traduire: "son épée n'est rien d'autre que du bois". Pour la valeur de las suivi d'une négation voir le dictionnaire de Jäschke, p. 546b; Michael Hahn, Lehrbuch der klassischen tibetischen Schriftsprache (Hamburg, 1971), p. 97. 16 Cf. JA, 1952, pp. 91-92; J. W. de Jong, op. cit., p. 210. 17 "Säntideva", Indian Antiquary, XLII (1913), pp. 49-52. Mlle Pezzali indique vol. XIII mais voir Winternitz, A History of Indian Literature, vol. 2 (Calcutta, 1933), p. 366, Page #4 -------------------------------------------------------------------------- ________________ 164 J. W. DE JONG texte dans le premier volume du catalogue des manuscrits sanskrits du gouvernement du Bengale. 18 D'après Haraprasad Sāstri l'écriture est la Newarī du 14e siècle. Le texte est assez corrompu. Les corrections, proposées par Haraprasād Šāstri, se limitent à l'addition de deux syllabes et d'un visarga.19 Mlle Pezzali reproduit le texte tel qu'il a été publié en devanāgarī en caractères romains en ajoutant des fautes d'impression et de lecture. Elle signale en note quelques corrections dont une seule est valable (lire antariksagataḥ pour antarikşagataḥ). Des corrections évidentes n'ont pas été indiquées. Par exemple: il faut corriger mātuvādeśam en māturādeśam (ataḥ sa mātur ādeśam sirasi nidhāya ...). Mlle Pezzali traduit: "Alors, lui, acceptant respectueusement le conseil de sa mère", mais ne mentionne pas que cette traduction implique la correction de mātuv en mätur. Ni Haraprasād Šāstri ni Mlle Pezzali n'ont signalé le fait que le Tanjur tibétain contient un texte qui est très proche du texte sanskrit qu'ils ont publié. Ce texte tibétain se trouve au début d'un commentaire du Bodhicaryāvatāra écrit par Vibhūticandra: Byan-chub-kyi spyod-pa la 'jug-pa'i dgons-pa'i 'grel-pa khyad-par gsal-byed ces-bya-ba = Bodhicaryāvatāratātparyapañjikā višeşadyotanī nāma.20 Dans un article sur les commentaires du Bodhicaryāvatāra Ejima Yasunari signale cette biographie de Sāntideva et ajoute que, si Vibhūticandra en est l'auteur, elle est antérieure au texte publié par Haraprasad Šāstri.21 Selon M. Ejima le commentaire de Vibhūticandra date de la seconde moitié du douzième siècle ou du début du treizième siècle. M. Ejima n'a pas tenu compte du fait que le manuscrit date du quatorzième siècle (si l'on accepte la datation de Haraprasād Šāstri) mais que le texte même peut être beaucoup plus ancien. Il est évident que M. Ejima n'a pas comparé les textes sanskrit et tibétain car, dans ce cas, il aurait vu que le texte tibétain doit remonter au même texte original que le texte sanskrit. Les dates exactes de Vibhūticandra ne sont pas connues. Les historiens tibétains racontent qu'il est n. 1. Je n'ai pas pu consulter cet article. 18 A descriptive Catalogue of Sanskrit Manuscripts in the Government Collection under the care of the Asiatic Society of Bengal, vol. I (Calcutta, 1917), no. 52 (pp. 51-53) MS. 9990. 19 Cf. ci-dessous sections VI, VIII et XV du texte sanskrit. 20 Cf. P. Cordier, Catalogue du fonds tibétain de la Bibliothèque nationale, III (Paris, 1915), p. 310 (Mdo-'grel XXVII.8). Pour le texte tibétain voir l'édition de Pékin, Dhu-ma, Sa ff. 229b6-231b5 = The Tibetan Tripitaka. Peking edition. Edited by Daisetz T. Suzuki, vol. 100 (Tokyo-Kyoto 1957), p. 236,1.6-5.5. Je n'ai pas pu consulter d'autres éditions du Tanjur. 21 Ejima Yasunori, “Nyübodaigyoron no chūshaku bunken ni tsuite", Indogaku bukkyōgaku kenkyū, XIV (1966), p. 646. Page #5 -------------------------------------------------------------------------- ________________ LA LÉGENDE DE SANTIDEVA arrivé au Tibet en 1204. Il fut un des neufs jeunes pandits qui accompagnaient Śākyaśrībhadra.22 D'après plusieurs colophons d'ouvrages, traduits par Vibhuticandra, il était originaire de Jagaddala dans l'Inde orientale.23 C'est aussi à Jagaddala que Śākyaśrībhadra résidait avant de partir pour le Tibet.24 Le colophon du commentaire de Vibhuticandra mentionne aussi le nom de Śākyaśrībhadra: slob-dpon 'phags-pa dpal zi-ba'i lha'i żabs-kyis(xyl. kyi)mdzad-pa byan-chub sems-dpa'i spyod-pa la 'jug-pa'i dgons-pa 'grel-pa khyad-par gsal-byed ces bya-ba rig-pa'i 'byun-gnas dbus-'gyur-gyi śar-phyogs pa-rendrar rgyal-rigs las 'khrunsśin/sa-bcu'i dban-phyug rje-btsun 'jam-pa'i dbyans-kyis rjes-su bzuń-ba/ rig-pa'i gnas rnam-pa lňa la mkhas-śin tshul-khrims dri-ma med-pa'i brgyan-gyis spras-pa / rim-pa gñis-kyi don-la rgyud legs-par sbyans-pas lam-gyi rtogs-pa goǹ-nas goǹ-du cher (xyl. char)-'phel-ba / rtsod-pa'i dus-kyi (343a) thams-cad mkhyen-pa gñis-par grags-pa / ma-'ons-pa'i sans-rgyas kha-che'i pandi-ta chen-po bsod-sñoms-pa śā-kya-śrī-bha-dra la sogs-pa pan-grub du-ma'i legs-bśad-kyis / thugs-kyi bum-pa legs-par bltams-pas phyogs phyi-nan-gi theg-pa ma-lus-pa la mǹa' brñed-śin / sgra daň tshad-ma'i mig-gis śes-bya'i de-ñid gzigs-pa/rgya-gar śar-phyogs dza-ga-ta-la bi-ha-ra'i pandi-ta chen-po śrī-mi(sic!)-bhū-ti-tsandras mdzad-pa rdzogs-so: "Fin du Khyad-par gsal-byed (Viśeṣadyotani), commentaire [expliquant] le sens (tātparyapañjikā) du Bodhicaryāvatāra, ouvrage du noble Śrīśāntidevapāda. Le commentaire est écrit par Vibhuticandra, paṇḍita du vihāra Jagaddala dans l'Inde orientale, né de la famille royale de Varendra, région orientale du pays du Milieu25, source de connaissances, lui, qui a reçu la grâce du vénérable Mañjughoșa, le seigneur des dix terres, qui est expert dans les cinq sortes de connaissances (vidyasthana), qui est orné par l'ornement de la bonne conduite immaculée, qui, l'esprit bien exercé dans les deux sortes de buts (svārtha 165 " Cf. Bu-ston, op. cit., II, p. 222; The Blue Annals, transl. by George N. Roerich, II (Calcutta, 1953), p. 600 et pp. 1063-1064. Selon ce dernier texte, Śākyaśrībhadra a vécu de 1127 à 1225, mais, selon d'autres sources, il aurait vécu de 1140 à 1238 ou de 1145 1243, cf. D. S. Ruegg, op. cit., pp. 42-43, n. 1. Sur les activités de Sakyaśrībhadra au Tibet voir Hadano Hakuyū, “Kāśmīra-mahāpandita Sākyaśribhadra”, Bunka, 21 (1957), pp. 676 (1)-656 (21). 23 Sur Jagaddala et sa location voir l'introduction de D. D. Kosambi au Subhāṣitaratnakoşa (HOS, vol. 42) (Cambridge, Mass., 1957), p. xxxvii, n. 7. 24 Cf. The Blue Annals, II, p. 1066. 25 Le texte a dbus-'gyur-gyi sar-phyogs ‘la région orientale qui se trouve au milieu' (?) ou 'la région orientale de ce qui se trouve au milieu (i.e. l'Inde)' (?). Cordier traduit dbus-'gyur par Magadha (op. cit., II, p.20), mais le texte a dbus-'gyur-tshal (Rgyud-'grel. vol. Na, f. 241a4). Le dictionnaire tibétain-mongol de Sumatiratna traduit dbus-'gyurtshal par Enedkeg-ün vačir-tu sayurin Vajrasana (Bodhgaya), cf. Sumatiratna, vol. II, p. 300. D'habitude, dans les textes tibétains, Magadha est translittéré: ma-ga-dha. Page #6 -------------------------------------------------------------------------- ________________ 166 J. W. DE JONG et parārtha), a développé de plus en plus la compréhension du chemin (margādhigama), lui qui est connu comme le deuxième omniscient de l'époque Kali, lui dont la cruche de l'esprit a été remplie par les bonnes paroles de plusieurs savants tels que le moine mendiant Sākyaśrībhadra, le grand pandita du Kaśmīr, le Buddha de l'avenir, lui qui connaît parfaitement tous les véhicules aussi bien ceux des hérétiques que ceux des bouddhistes, lui qui voit la vraie nature du connaissable avec la parole et l'ail de la connaissance." Le colophon de la Višesadyotanī ne mentionne que le nom de Vibhūticandra comme auteur et traducteur mais, tout au début du commentaire, Rnal-'byor zla-ba (Yogacandra?) est mentionné comme auteur: 'grel-pa mdzad-pa rnams-kyis kyan // 'phags-pa'i dgons-pa gsal-ma byas // de'iphyir dgons-pa'i 'grel-pa 'di || rnal-'byor zla-bas cun-zad bri //: “Les auteurs de commentaires n'ont pas élucidé l'intention du vénérable. C'est pourquoi Rnal-'byor zla-ba a écrit tant soit peu ce commentaire (qui explique) le sens (tātparyapañjikā)."26 Selon Cordier, Rnal-'byor zla-ba a traduit deux textes, l'un avec Vibhūticandra et l'autre avec 'Jam-dpal gzon-nu.27 Le colophon du premier texte, la Guņabharaņi nāma şadangayogațippaņi, dit tout d'abord que le texte a été traduit par Vibhūticandra. Ensuite, à la demande de Chos-grags dpal-bzan-po, Dpal-ldan Blo-gros brtan-pa de Dpaň a traduit et corrigé le texte (bsgyur-cin zuschen grub-pa'o). Le colophon se termine ainsi: pan-chen rnal-'byor-zlaba'i ran-'gyur la // phyed-tsam ma-bsgyur 'ol-phyir mdzad-pa las // blo-gros brtan-pas sgra-don ji-bzin bsgyur. Ce passage est assez difficile à traduire. D'habitude, l'expression ran-'gyur 'traduit par soi-même' s'emploie pour une traduction faite par l'auteur même. Ainsi, par exemple, Bu-ston dit du commentaire du Bodhicaryāvatāra par Vibhūticandra: vi-bhu-ti-tsa-ndras mdzad-pa'i spyod-'jug-gi 'grel-pa de'i ran-'gyur “Le commentaire du Bodhicaryāvatāra, écrit par Vibhūticandra, et traduit par lui-même.”28 Toutefois, on rencontre aussi l'expression sgra ran-'gyur qui semble désigner une traduction faite oralement. Par exemple, le colophon du Sadargayoga (Cordier, II, p. 21: Rgyud-'grel IV.22) dit: dpal sa-ba-ri-pa dban-phyug-gis pandi-ta ma-hā-bi-bhū-ti-tsa-ndra la gsuns-pa'o // des sgra ran-'gyur-du bsgyur-nas gsuns-pa'o // "Récité par Sri Sabarīśvara au pandita Mahāvibhūticandra. Récité par lui après l'avoir traduit en traduction orale”. Il se peut donc que l'expression 26 Tanjur, Dbu-ma, Śa f. 229b5-6. 27 P. Cordier, op. cit., II (Paris, 1909), p. 24 (Rgyud-'grel IV.34) et III (Paris, 1915), p. 397 (Mdo-'grel LII.2). 28 Chos-'byun (édition de Lhasa), f. 159a5-6. Page #7 -------------------------------------------------------------------------- ________________ LA LÉGENDE DE ŚĀNTIDEVA 167 ran-'gyur soit une abréviation pour sgra ran-'gyur. Dans ce cas, la traduction, faite oralement par Rnal-'byor zla-ba, ne peut être que la traduction de Vibhūticandra. Ainsi Rnal-'byor zla-ba ne serait qu'un autre nom pour Vibhūticandra. C'est aux futures recherches de démontrer si cette hypothèse est valable ou non. Mlle Pezzali écrit que des fragments de la Višesadyotanī, appelée Bodhicaryāvatārațippanī, ont été conservés.29 Elle ajoute que L. de La Vallée Poussin s'en est servi pour son édition.30 Dans l'introduction à son édition de la Bodhicaryāvatārapañjikā (Bibliotheca Indica, 1901-1914) de La Vallée Poussin écrit: "Some help has been found in a little tract, of which some fragments only are preserved, called Bodhicaryāvatārațippanī; this MS. was discovered in the Durbar Library at Kathmandu by Professor Cecil Bendall and was copied for him. I refer to it as Țipp". De La Vallée Poussin ne dit pas que cette ţippanī est identique à la Višeşadyotanī de Vibhūticandra. Je doute fort que Mlle Pezzali ait pu trouver ce renseignement dans le catalogue de la bibliothèque du Durbar par Haraprasad Sastri que je n'ai pas pu consulter. Probablement elle a emprunté cette information à l'introduction de P. L. Vaidya à son édition du Bodhicaryāvatāra dans laquelle il écrit: “There is also a Tippaņi called Višeşadyotanī by Vibhūticandra, fragments of which are found in the original Sanskrit and in Tanjur (T No. 3880) and they were used by Poussin". 31 De La Vallée Poussin donne le début de la ţippani que j'ai comparé avec le début de la Višeșadyotanī. Les textes n'ont rien de commun.. Une comparaison du début de la ţippans avec les débuts d'autres commentaires, conservés en traduction tibétaine, a également livré un résultat négatif. Ci-dessous je fais suivre le texte sanskrit tel qu'il a été édité par Haraprasad Šāstri dans le catalogue des manuscrits sanskrits du gouvernement du Bengale82 et le texte tibétain d'après l'édition de Pékin. A.P. = Amalia Pezzali; H.S. * Haraprasad Šāstri; T. = la traduction tibétaine; P= l'édition de Pékin de la traduction tibétaine. La division en seize sections a été faite pour faciliter la comparaison des textes. La traduction qui suit est faite d'après le texte tibétain à fin de faciliter la comparaison des textes sanskrit et tibétain. Je tiens à exprimer mes remerciements au professeur Ojihara Yutaka qui a eu l'amabilité de me donner des renseignements précieux sur l'étymologie du mot rşi (cf. ci-dessous note 28). 19 Cf. p. 55. 30 Cf. p. 49. 81 Buddhist Sanskrit Texts, No. 12 (Darbhanga, 1960), p. X. 32 Je n'ai pas noté les consonnes géminées après r. Page #8 -------------------------------------------------------------------------- ________________ 168 J. W. DE JONG Sanskrit La légende de Santideva Textes sanskrit et tibétain Tibétain I. ++++++ nagare śrīmañju- I. 'di-skad brgyud-pa las thos-te / varmanāmno rājnaḥ putraḥ pūrva- lho'i phyogs-su dpal na-ga-ra la jinakṛtādhikāraḥ prāptamokṣabhā- mi'i-rgyal-po 'jam-dpal go-cha'i giyakuśalamülaḥ samyak mahāyā- bu-ru skyes/snon-gyi sans-rgyas la nagotraḥ1 sarvakalākuśalo yauva- bya-ba byas-pathar-pa'i charājyābhiṣekasamaye kulisayoşinnir- mthun-gyi dge-ba'i rtsa-ba thob-pa māṇarūpaya jananyā rājamahiṣya/theg-pa chen-po'i rigs yañ-dag-pa abhitaptodakais tapyamānas tāpam /rgyu-rtsal thams-cad la mkhas-pa/ asahamāna uktaḥ/ rgyal-tshab-tu dban-bskur-ba'i dussu rdo-rje-rnal-'byor-ma'i sprul-pa /rgyal-po'i btsun-mo chen-mo yum (P. yul)-gyis chu dron-pos khrusbyed-du bcug-pas / de'i drod mibzod-pa mthon-nas/ yum-gyis 'di-skad-du smras-te/ II. putra trayaḥ svargam na gacchanti rājā citrakaraḥ kavir iti / nareśvarībhūya papam kṛtvā mṛtasya nirayagatasya ato 'pi tīvrataram duḥkham te bhaviṣyaty alam anena rajyena gaccha vatsa buddhabodhisattvadeśam3 śrīmañjuvajradhiṣṭhānam tava bhadram1 bhavisyatity III. ataḥ sa mātuvādeśam śirasi nidhāyākutilahṛdayo haridaśvavaram abhiruhya calitaḥ / sa canekadināny aniśam gacchan bhojanapānādikam manasy akurvan tadadeśaikatānamānasaḥ kvacid' araṇye kanyaratnam apaśyat tayā vājinam vivṛtyāsau bhuvam avatāritaḥ // II. sñigs-ma'i dus-su rgyal-po byas-na ñon-mons-pa'i dban-gis semscan sdug-tu (230a) bcug-la // śi-nas dmyal-bar 'di-bas kyan drag-pa'i sdug-bsȧal myon-bar 'gyur-bas rgyal-srid-kyis dgos-pa med-kyi bu khyod bham-ga-la'i yul-du son / der khyod-la 'jam-pa'i dbyans-kyis byin-gyis brlob-par 'gyur źes-so / III. de-nas yum-gyi bka' de spyibor bźag-nas/ thugs drañ-po rtamchog ljan-gu la zon-te gśegs-so/ de yań zag du-ma ñin-mtshan med-par 'gro-ste / bza'-btun la sogs-pa yid-la mi-byed-par de'i-bka' gcig-po la rtse-gcig-par 'gro-ba la / bham-ga-la'i yul-gyi mtha'-mar nags-tshal-gyi nañ-na bu-mo rinpo-che zig mthon-no // bu-mo des Page #9 -------------------------------------------------------------------------- ________________ LA LÉGENDE DE SANTIDEVA 169 rta bzun-nas de rta-las babs-so // IV. sa tsșārto jalam dệstvā pātum IV. de ni śin-tu skom-pas mdun-du udyataḥ / tayā vişodakam etad ity chu mthon-nas btun-bar brtsamsuktvā nivāryānyad amstodakam so // bu-mos 'di ni dug-gi chu pāyito māmsañ cāgninā dagdhvā yin-pas ma-'thun-zig ces smras-na / bhojitaḥ / de-las bzlog-te bdud-rtsi’i chu 'thun-du bcug-pa dan / sa bsregs nas za-ru bcug-pas/ V. svasthaḥ sa tām āha / kutas V. tshim-par gyur la bu-mo la tvam āgatāsīti / sā prāha / ihāvaste smras-te / khyed gan-nas 'ons sa mahākarunārunavipanaho sad- zes-so || des smras-panags-tshal guņagaņābharaṇaḥ siddhaśrīmañ- chen-po 'di'i dbus-su yon-tan damjuvajrasamādhir asmadguruh tatsa- pa'i tshogs-kyis brgyan-pa / thugskāśād aham āgatāsmīty ukto lab- rje-can dpal-'jam-pa'i rdo-rje tindharatna, iva duḥkhito10 janaḥ ne-'dzin sgrub-pa bdag-gi bla-ma paramapramodaprāptaḥ bzugs-te / de-nas 'ons zes-so // de thos-pa tsam-gyis bkren-pas rinpo-che thob-pa Itar dga'-bde chen pos dbugs-phyun-nas VI. tam eva darśayety uktvā tayā. VI. smras-te kye de bdag-la dệto" ghotakam ādāya gato guru- ston-cig / bu-mos de 'bod-pa rta guņagaņādhāradhiragambhīram12 bzun-ste gśegs-par gyur-to / der śamadamathaprāptam gurum ālo- phyin-passin-tu zab-pa'i thugs kya turangamam ātmānañ ca na- dan-ldan-zin // lus-nag źi-ba gsermaskstya gurave nityā[ni]tyal3 du- gyi rilta-bu bla-ma'i mchog rantabhavaduḥkhābdher upadeśa- mthon-nas bdag-ñid dan rtadānena mām... ty adhişțavān -mchog phul-nas gus-pas bla-ma de-la phyag-byas-te / 'jam-pa'i dbyans-kyi tin-ne-'dzin-gyis (230b) gdams-pas bdag rjes-su 'dzin-par 'tshal-to || źes gsol-to // VII. tena ca paripātīkramād14 upa- VII. bla-mas yan de yońs-su smindişço dvādaśavarşās tatraiva samā- par mdzad-pa'i rim-pas gdams-par dhārya15 mañjuvajram adhyaksi- mdzad-do // des ni lo bcu-gñis der krtya mañjuśrījñānam labdhvā bzugs-la tin-ne-’dzin-gyis 'jam-pa'i gaccha madhyadeśam iti guruņā dbyans mňon-sum-du mdzad-cin // samādisto gatvā magadharājānam de-rjes bla-mas yul-dbus-su 'grosevate sma/ rāututvena16 acalase- bar bka'-stsal-pas son-ste / ma-gananāmā devadārukhad gena kosa- dha'i rgyal-po sten (P.rten)-cin gatena rāutucaryayaḥ17 dharmārā- śiń-gi ral-gri subs dan-bcas-pa Page #10 -------------------------------------------------------------------------- ________________ 170 mo18 viharati sma/ J. W. DE JONG VIII. kālāntarena tatsampattim asahamānair anyai rāutvai rājānam vijñapya deva devadārukňaḍgena acalasya seveti yuddhakale katham asau yudhyeta / tad deva nirupayasya khadgam iti adhṛṣyo19 'sau na śakyate niyoktum itīrṣyāśalyacitta[pi]dyamānamarmabhis tair militvā sarveṣām khaḍgo draṣṭavya iti rājājñayā vyājena sarveṣām karavālam ālokyācalasenasya nistrimśadarśanam upajātam / IX. acalasena āha na me khaḍgo draştum yujyate tridhā nivāraṇe 'pi niścalat20 nṛpatem21 cakṣur ekam pidhāya tam eva paśyeti vijane darśite tatkhaḍgajvālaya22 rājñaś cakşur ekam bhūmau patitam / prabhavadarśanad avarjitam nṛpam vicintya praśastaśilake nikṣipya (?) nirva 'rthikṛtya23 śrīnālandāmahāvihāram gatvā veśāntarena pravrajitaḥ / X. śāntidevanāmā praśāntatvāt pitakatrayam śrutvā dhyāyati sma / bhuñjāno 'pi prabhāsvaram24 supto 'pi kutim gato 'pi tad eveti bhusukusamādhisamäpannatvāt bhūsukunāmākhyātam / bzuň-pas rta-pa'i tshul mi-g.yoba'i-sde źes-pa'i min-can rgyal-pos bkur-ba spyod-pa de-ñid-kyis chos kho-na yid-la byed-ciň bźugs-so // VIII. dus gźan-źig-na rta-pa gźanrnams-kyis de'i phun-sum-tshogspa mi-bzod(P.bzad)-pas rgyal-po la smras-temi-g.yo-ba'i-sde 'di ni śin-gi ral-gris khyed bsten(P.brten)pas 'khrug-pa'i dus-su dgra-la jiItar rdeg-par 'gyur // de-bas-na de'i ral-gri blta-bar 'tshal / de-ltar yin-yan dran-por smra mi nus-pas rta-pa thams-cad-kyi ral-gri bltabar bya'o // źes rgyal-pos bka'stsal-pas kha-cig-gi (P.gis) ral-gri bltas-nas/mi-g.yo-ba'i-sde la yan ral-ġri blta'o źes bka'-stsal-to // IX. des gsuns-pa / bdag-gi ral-gri khyed-kyis blta-bar mi 'os źes-so // rgyal-pos nan-tan-gyis yan-danyaǹ-du źus-pas mi-g.yo-ba na-re cis-kyan mthon-bar 'dod-na phyogs dben-par khyed-rań kho-na lag-pas. mig gcig bkab-ste/blta-bar gyis-sig de bltas-pas ral-gri'i gzi-brjid(xyl. bzid)-kyis rgyal-po'i mig ma bkabpa nos(?) sa-la lhuň-ño // nus-pa de mthon-nas rgyal-po śin-tu mos-par 'gyur-bar dgons la mig-gi bu-gar mig bcug-ste zug-rňu med-par byas-la gtsug-lag-khan chen-po nalandar gśegs-la / mi-g.yo-ba'i-sde rab-tu byun-ste/ X. (231a) źi-ba dan-ldan-pas źi-ba'i lha źes min-btags/ der sde-snod gsum mñan(P.mñam)-pa'i rjes-la za-run ñal-run 'chags-run rgyun-tu 'od-gsal bsgom-pas bhu-su-ku źes tin-ne-'dzin la gnas-pa'i phyir bhu Page #11 -------------------------------------------------------------------------- ________________ LA LÉGENDE DE SANTIDEVA 171 su-ku zes min yońs-su grags-so // XI. samghe 'pi kālāntareņa kaiścid XI. de-nas dus gźan (P.gzag)-zigbālaiḥ kutūhalibhir ālocitam / kim na dge-dun-gyi nan-du ma-runs-pa ayam kiñcij jānāti na veti25 nirūpy- 'ga'-zig-gis / 'dis ni dge-'dun-gyi atām tāvat / tatra ca pratyabdam nan-du bya-ba gan yan ma-byasjyaişthamāsi26 śuklapakşe çddhi- par sgom-pa Itar gnas-te / ci-ses prātihāryaiḥ pūraņaprabhstayaḥ brtag-dgos zes bgros-la / dan-po śāstrā pūrvam nirākstā iti tadanu- cho-'phrul-gyi dus-su lo re-re-zin kārāya pājhaḥ kriyate tatraivāyam chos 'don-pa yod-pas / 'di-la 'chol nirūpyatāmity ayam ādiştah nāham dgos zes bsams-nas de la zus-tekiñcij jānāmīti tena punaḥ puna- (P. de) gsuns-pa bdag-gis (P.gi) parihāre syadhīşta(?)27 tair vihārād ci-yan mi-ses-so // yan-nas yan-du bahiḥ pūrvottarasyām vistirņāyām bkag-kyan de-dag-gis zus-sin gtsugdharmaśālāyām mahāpaņditaman. lag-khan-gi phyi-rol gyi dban-ldandalamadhye sa ca svayam cintayati gyi phyogs-su sa-phyogs yans-pa la sma mchod-pa'i rnam-pa du-ma bśamste / skye-bo ma-lus-pa bos-nas senge'i khri sin-tu mthon-po bśamste spyan-drans-so || des der bzugs sin bsams-te / XII. pūrvakstam sūtrasamucca- XII. mdo-sde kun-las btus-pa dan/ yam śikṣāsamuccayam bodhicary- bslab-pa kun-las btus-pa dan / āvatārākhyam granthatrayam astīti byan-chub spyod-pa la 'jug-pa zes cetasi kstvā simhāsanagataḥ prāha gzun-gsum bdag-gis byas yod-do // kim ārşam pathāmi arthārşam vā // de-la spyod-pa la 'jug-pa gdon-par 'oszes bsams-nas gsuns-te dran-songis gsuns-pa'am / de'i-rjes las byun ba gan gdon / XIII. tatra sșih paramārthajñāna- XIII. don-dam rtog-pa ni dranvān sșa gatā pity atra auņādikaḥ son-no // des mdzad-pa gsun-rabkviḥ28 ļşiņā jinena proktam ārşam bo || de-la brten-nas gzan-gyi byanano prajñāpāramitādau subhū- ba de rjes-las byui-bao || 'phagstyādideśitam katham ārşam ity pa byams-pas de gsuns-pa / atrocyate yuvarājāryamaitreyeņa // yad arthavad dharmapadopa- gan-gi don-can chos-kyi tshig samhitam dan-ldan // tridhātusamklešanivarhaņam va- khams-gsum ñon-mons dag-par cah/ byed-pa'i tshig / bhaved bhavacchāntyanusamsa- zi-ba'i phan-yon ston-par byeddarśakam29 pa de // Page #12 -------------------------------------------------------------------------- ________________ 172 J. W. DE JONG tadvat kramārşam30 viparītam draň-sron las byun de-las bzloganyathā // pa gźan || źes-so // XIV. tadākļştam āryādyair31 ar- XIV. des gan 'chad-par 'gyur-ba thärşam subhūtyādideśanā tu bha- le'u (231b) bcu-pa nas / gavadadhişthānād ity adoṣaḥ32 || bdag kyan 'jam-dbyans bka’ drin-gyis / sa rab-dga’-ba thob bar-du // rab-tu tshe-rabs dran-pa dan / rab-tu 'byun-ba'an thob-par sog // ces-pa de yan rig-par 'gyur-ro/ XV. kutūhalāt tair uktam arthār- XV. de-dag-gi no-mtshar skyesşam eva tāvat pațhyatām iti caryā- nas smras-te / gzan-pa 'don-par žu vatāram pațhati sma || tatra ca 'tshal ces brjod-pa dan / des kyan pāțhe / spyod-pa la 'jug-pa 'don-par yadā na bhāvo nābhāvo mateḥ brtsams-so || santișthate puraḥ/ de-la gan-tshe dños dan dňostadanyagatyabhāvena nirālam- min dag // ba[h] praśāmyati // blo-yi mdun-du mi gnas 'gyur // ity atra śloke bhagavān mañjuśriḥ de-tshe rnam-pa gźan med-par // pura āvirbhūtaḥ sa ca tenaiva dmigs-pa med-par rab-tu źi || sārdhamm antarīkşagataḥ34 kra- zes bya-ba 'don-pa'i skabs-su de-la mād antarhitah // mthon-lam mnon-du gyur-ba dan / 'phags-pa 'jam-dpal mdun-gyi nammkha'-la snan || de'i-rjes-la de dan-bcas-pa skye-bo-rnams la mi snan-bar gyur / XVI. tataḥ bhadradarśanasamvi- XVI. de-nas de ma-mthon-bas gnais35 tallayanavicāre poďhukuțy- "gyod-par gyur-pa'i skye-bo rnamsām38 tatpustakatrayam sūtrasamuc- kyis de'i bran-khan-du bltas-pas/ cayādi labdhvā paņditair loke pra- mdo-sde kun-las btus-pa la sogs-pa cāritam / gsum blans-te / mkhas-pa rnams kyis sgo-nas 'jig-rten-du grags-par byas-so II (début du commentaire:) tatra (début du commentaire:) de-la / sugatety ādivstteḥ / bde-gśegs sras-bcas chos-kyi sku dan-bcas // Notes afférentes au texte sanskrit 1 2 Lire samyarmahāyānagotraḥ. Lire kuliśayoginīnirmāņarūpayā, cf. T. Page #13 -------------------------------------------------------------------------- ________________ LA LÉGENDE DE SANTIDEVA 173 3 T. bhamgaladeśam. 4 Lire tatra, cf. T. der. 5 Lire mātur ādeśam. 6 A.P. lit tadā deśaio et traduit: "l'esprit uniquement tendu vers ce pays”! 7 A.P. kkacid. 8 Lire vidhrtyā°? T. bzun A.P. traduit: "A cause d'elle il détourna son cheval et mit pied à terre". Dans la traduction tibétaine babs-so ne correspond pas à avatāritah mais à avatirnah; probablement le traducteur a modifié la construction de la phrase. 9 A.P. traduit: "Ici habite notre maître, celui qui débite de la grande compassion". Le traducteur tibétain a dû lire quelque chose comme: iha mahāvana āste sa kāruņikah. 10 T. daridro. 11 Je ne comprends pas très bien le mot 'bod-pa'appeler, inviter' dans le passage tibétain correspondant. Est-ce que 'bod-pa traduit āhūto? 12 Seul le mot gambhira est confirmé par T. 13 Corruption pour niryātayati ou niryātayitvā, Cf. T. phul-nas. 14 T. traduit par la méthode qui fait mûrir' (paripācana?). Probablement une traduction erronée de paripāțīkrama. 15 A.P. traduit 'séjourné'. Je ne sais pas comment corriger samādhārya. 16 T. traduit rāutu par rta-pa 'chevalier'. A.P. lit raututvena et traduit: "en qualité de rauta". 17 La traduction mot-à-mot du passage tibétain correspondant est: "respecté par le roi avec la même conduite (tayaiva caryayā?)". 18 A.P. propose de lire: rautacaryayā dharmarato. Il faut évidemment garder dharmārāmo. 19 A.P. adhrașyo et, en note, lire: adhrsyo? Le texte imprimé dans le Descriptive catalogue a adhrsyo. 20 T. nirbandhāt? 21 Lire nspate 22 A.P. tatkhadgaccălayā-et, en note, lire khadgacalāyā. Le texte imprimé dans le Descriptive catalogue a ojvālayā. 23 Lire nirvraņikriya? Cf. T. 24 Il y a probablement une lacune dans le texte, cf. T. 25 H.S. et A.P. naveti. 26 T.: "au temps des prodiges” (cho-'phrul-gyi dus). Au Tibet cho-'phrul zla-ba "le mois des prodiges” est le premier mois de l'année (cf. G. Tharchin, ed., Yig-bskur rnam-gzag, Kalimpong, 1956, p. 161). La tradition tibétaine attribue à Tson-kha-pa l'institution de la fête de la grande prière (smon-lam chen-mo) en 1409. Cette fête qui a lieu pendant la Page #14 -------------------------------------------------------------------------- ________________ 174 J. W. DE JONG première quinzaine du premier mois commémore les miracles faits par le Buddha, cf. George N. Roerich, The Blue Annals, II, Calcutta, 1953, p. 1077; Luciano Petech, I Missionari Italiani nel Tibet e nel Nepal, II, Roma, 1953, p. 262; Albert Grünwedel, Die Tempel von Lhasa, Heidelberg, 1919, p. 58; Rudolf Kaschwesky, Das Leben des lamaistischen Heiligen Tsongkhapa Blo-bzan-grags-pa, I, Wiesbaden, 1971, p. 164 et p. 279, n. 36. Selon Claus Vogel le premier mois tibétain correspond au mois Magha ("On Tibetan Chronology", CAJ, IX, 1964, p. 230). Celà est confirmé par le colophon d'une traduction faite par Bu-ston (cf. J. W. de Jong, "Notes à propos des colophons du Kanjur", Zentralasiatische Studien, 6, 1972, p. 533, no. 485: cho-'phrul chen-po rta; mong.: qubilyan mag sara). Dans deux des colophons, publiés par Bacot, se rencontre le mois cho-'phrul zla-ba mais l'équivalent sanskrit n'y est pas mentionné ("Titres et colophons d'ouvrages non canoniques tibétains", BEFEO, XLIV, 1954, p. 294, no. 39 et p. 316, lignes 1-2). Dans l'Inde même les opinions des bouddhistes sur le début de l'année ont beaucoup varié (cf. Claus Vogel, "Die Jahreszeiten im Spiegel der altindischen Literatur", ZDMG, 121, 1971, pp. 296-303). Nous ne savons pas si, au treizième siècle, le "temps des prodiges" était un autre nom pour le "mois des prodiges" et quel mois indien était censé correspondre au "temps des prodiges". 27 A.P. punaḥ puna[h] parihäre syadhista[h]. 28 Lire ṛşi gatav ity atra auṇādikaḥ kin. Note du professeur Ŏjihara: Lire '(auṇādikaḥ) k-in', au lieu de (...) kviḥ'. Un. 4.119 (= 559, d'après la numérotation de la SK., Uṇādiprakaraṇa): - 'ig-upadhāt k-it' ('in', 4.117 = 557) su. qu'illustre la SK. par 'kṛṣiḥ / rşiḥ śuciḥ / lipiḥ //' Tattvabodhinī: - 'kṛşa vilekhane, ṛṣī gatau, śuca śoke, lipa upadehe, ityäder ig-upadhād dhātor in syāt, sa ca k-it'. Même remarque chez les lexicographes. Ainsi "Tīkāsarvasva" ad Amara 2.7.43a ('ṛṣayaḥ satyavacasaḥ'): - jñānasya para-gamanad ṛṣiḥ / "ṛṣī gatau" / "ig-upadhat kiḥ" iti kiḥ" (sic éd. Ganapati S., TSS LI, p. 37) - Lire ici aussi ... k-it" iti k-in', quoique la leçon 'kiḥ' ressemble bien plus à celle de Haraprasad S. 'kviḥ'; Sabdakalpadruma, s.v. rși: 'ṛṣati präpnoti sarvãn mantran, jñānena paśyati samsara-pāram vā, iti / ṛṣ+ "ig-upadhat k-it" iti uṇādisūtreņa in /k-ic ca / jñāna-samsara-yoḥ pāra-gantā //' Cf. Vācaspatyam, cité par MW (Dictionary, s.v. rşi, init.): 'rṣati jñānena samsarapāram'. Etant donné la paraphrase de Vrs- par pra-vap-, ainsi que la mention pāragamana- ou °-gantṛ-, il paraît bien que les commentateurs indigènes ont compris 'rşī gatau' (dh. 6.7) comme signifiant "VrṢ-, au sens de 'mouvement'." De cette même racine, le mot ṛkşa- est censé dériver avec l'un. -sa-: Un. 3. 66 sq. (= 346 sq., SK.), d'abord nt. comme - Page #15 -------------------------------------------------------------------------- ________________ LA LÉGENDE DE SANTIDEVA 175 synonyme de naksatra-, puis msc. "ours". 29 Lire bhavec ca yacchāntyo. Cf. Ratnagotravibhāga V.18. 30 Lire tad uktam ārşam. 31 A.P. äryyadvair. 32 Le texte de T. est tout à fait différent. La stance citée est Bodhicaryāvatāra X.51. 33 Lire nirālambā. Cf. Bodhicaryāvatārapañjikā, ed. L. de La Vallée Poussin, p. 417. 34 A.P. sārdham mantarīkşagatah et, en note, lire antariksagataḥ. 35 Lire tatas tadadarśanasamvignais? 36 A.P. pothukuthyām et, en note: poțhokuthyām pour pothikundyām. Traduction du texte tibétain I. Ainsi est raconté par la tradition. Il naquit dans le Sud à Srīnagara comme fils du roi Mañjuśrīvarman. Il avait servi les Buddha du passé et il avait obtenu des racines de bien conduisant à la libération. Il appartenait à la vraie lignée du Mahāyāna et était expert en tous les arts. Au moment de sa consécration comme prince héritier, sa mère, la reine principale, incarnation d'une kuliśayogini, le fit baigner dans de l'eau chaude. Quand elle vit qu'il ne supportait pas la chaleur, elle lui dit: II. “Si, à l'époque de la corruption (kaşāyakāle), tu es roi, tu feras souffrir les êtres vivants par la force de la passion. Après la mort tu souffriras en enfer des souffrances encore plus terribles que celle (produite par l'eau chaude). Le royaume ne te servira à rien. Va au pays Bhamgala. Là tu obtiendras la bénédiction de Mañjughosa". III. Alors, lui, acceptant respectueusement l'ordre de sa mère, droit d'esprit, s'en alla, monté sur un cheval bai. Jour et nuit, il continua son chemin pendant plusieurs jours sans penser ni à la boisson ni à la nourriture, l'esprit tout entier résolu à exécuter son ordre. A l'extrémité du pays Bhamgala il vit dans une forêt une belle fille. La fille retint son cheval et il descendit de son cheval. IV. Extrêmement assoiffé et voyant de l'eau devant lui il fut sur le point de la boire. La fille lui dit: "C'est de l'eau empoisonnée. N'en bois pas!” L'en détournant, elle lui fit boire de l'eau ambroisique, cuisit de la viande et l'en nourrit. V. Rassasié, il dit à la fille: “D'où viens-tu?” Elle répondit: "Au milieu de cette grande forêt vit mon maître; paré d'une masse de qualités excellentes et compatissant, il a accompli le samādhi de Sri Mañjuvajra. Page #16 -------------------------------------------------------------------------- ________________ 176 Je viens de chez lui". Rien qu'en entendant cela il fut réconforté par une grande joie comme un pauvre qui a obtenu un joyau. VI. "Montre-le moi", dit-il et, invité (?) par la fille, il prit son cheval et partit. En arrivant il vit l'excellent maître à l'esprit très profond et au corps et à la parole apaisés, semblable à une montagne d'or. Faisant l'offrande de soi-même et de son cheval excellent, il vénéra le maître avec respect. Il lui dit: "Faites-moi la grâce de m'enseigner le samadhi de Mañjughoṣa". J. W. DE JONG 1 VII. Le maître l'instruisit par la méthode systématique. Quand il eut séjourné là pendant douze ans, par la méditation il obtint une vision de Mañjughoṣa. Ensuite le maître lui ordonna d'aller au Madhyadeśa. Il y alla et entra au service du roi de Magadha, en qualité de chevalier sous le nom d'Acalasena, avec une épée en bois pourvue d'un fourreau. Respecté par le roi, il le servit, l'esprit uniquement occupé du dharma. VIII. Après quelque temps les autres chevaliers ne supportant pas sa fortune dirent au roi: "Cet Acalasena vous sert avec une épée en bois. En temps de guerre comment pourrait-il frapper les ennemis? Veuillez examiner son épée". Puisqu'il ne pouvait pas dire la vérité le roi ordonna d'examiner les épées de tous les chevaliers. Ayant examiné l'épée de plusieurs, il dit à Acalasena: "Je désire voir ton épée”. IX. Il lui dit: "Mon épée ne doit pas être vue par vous". Quand le roi le demanda avec insistance à plusieurs reprises, Acalasena lui dit: "Si vous désirez la voir à tout prix, regardez-la dans un endroit solitaire après avoir couvert de la main un œil." Le roi regarda mais par l'éclat de l'épée l'œil du roi qui n'était pas couvert tomba à terre. Pensant que le roi était converti par la vue de sa puissance il mit l'œil dans son trou et il le guérit de sa souffrance. Il se rendit au grand vihāra de Nālandā. Acalasena devint religieux. X. En raison de sa tranquillité on lui donna le nom Śantideva. Ayant écouté les trois pițaka, il méditait sur la lumière sans interruption en mangeant, en dormant et en marchant. Persistant ainsi dans le samadhi appelé bhusuku, il fut connu sous le nom de Bhusuku. XI. Après quelque temps un homme très méchant dans la communauté réfléchit: "Lui, il ne fait rien dans la communauté et se comporte comme s'il médite. Il faut examiner ce qu'il sait". Il pensa: "Chaque année au temps des prodiges on récite le dharma. C'est alors qu'il faut l'examiner". Sur sa demande (de réciter le dharma) il lui dit: "Je ne sais rien". Bien qu'il refusa à plusieurs reprises, ils (continuèrent) à demander. Ensuite ils préparèrent plusieurs sortes d'offrandes dans un grand espace au nord-est en dehors du vihāra. Ils convoquèrent tout le monde et, ayant Page #17 -------------------------------------------------------------------------- ________________ LA LÉGENDE DE ŚĀNTIDEVA 177 préparé un siège de lion élevé, l'invitèrent à y prendre place). Il s'y assit et réfléchit: XII. "J'ai composé trois livres, appelé Sūtrasamuccaya, Sikşāsamuccaya et Bodhicaryāvatāra. Il convient de réciter le Bodhicaryāvatāra”. Il dit: "Est-ce que je récite ce qui est dit par les rşi ou ce qui est venu à la suite de cela?" XIII. Le rşi est celui qui comprend le sens suprême. C'est lui qui a composé les écritures sacrées. Ce qui est fait par d'autres en s'y basant est "ce qui est venu à la suite de cela". Le noble Maitreya a dit: “La parole qui est pourvue de sens, qui est en possession des paroles du Dharma, qui purifie les souillures du triple monde et qui montre les avantages de l'apaisement de l'existence, provient des rși. Toute autre (parole) en est l'opposé”. XIV. Il faut aussi savoir (le vers suivant) du dixième chapitre qui sera expliqué par lui: "Puissé-je toujours me rappeler mes naissances et obtenir la sortie du monde jusqu'à ce que, par la grâce de Mañjughoşa, j'obtienne la Terre Pramuditā". XV. Étonnés, ils dirent: "Nous vous prions de réciter autre chose". Il commença de réciter le Bodhicaryāvatāra. Quand il récita: “Lorsque ni existence ni non-existence ne se présentent plus devant l'esprit, alors, n'ayant plus de champ (l'esprit) privé de point d'appui s'apaise", le noble Mañjuśrī apparut dans l'air devant lui dans son champ de vision. Ensuite il disparut avec lui de la vue des hommes. XVI. Ne le voyant plus, les hommes, pleins de remords, examinèrent sa cellule. Ils en prirent les trois livres, Sūtrasamuccaya, etc., qui furent (ensuite) répandus dans le monde par les savants. Il est évident que les textes sanskrit et tibétain doivent remonter au même texte original. Les différences entre les deux versions dans les sections XIII et XIV sont dûes à des additions. Le texte sanskrit a ajouté une phrase sur l'étymologie de sși (rșī gatāv ity atra auņādikaḥ kin) et une référence à l'enseignement de Subhūti: nanu prajñāpāramitādau subhūtyādideśitam katham ārşam "Comment ce qui a été enseigné par Subhūti dans la Prajñāpāramitā, etc. peut-il être ārşa?”33 Le passage précédent explique qu'ārşa est ce qui est dit par le rşi, i.e. le jina. Le texte tibétain est légèrement différent: des mdzad-pa gsun-rab-bo= tatkrtam pravacanam. Ensuite le texte tibétain continue en expliquant qu'arthärşa (Tib. 33 Mlle Pezzali traduit: "C'est ce qui, n'est-ce pas, a été, au début de la Prajnaparamita, montré à Subhūti et aux autres. 'Comment est l'ārsa'?”. Page #18 -------------------------------------------------------------------------- ________________ 178 "ce qui est venu à la suite de cela") est ce qui est fait par d'autres en s'y basant: tadāśritam anyaiḥ kṛtam (?). Cette explication se trouve dans la section XIV du texte sanskrit: tadākṛṣṭam āryādyair arthārṣam (lire tadākṛṣṭam anyādyair arthārṣam?). Ensuite le texte sanskrit ajoute: subhūty adoṣaḥ alors que la version tibétaine cite une stance du dixième chapitre du Bodhicaryavatāra. Dans la section XIII Vibhuticandra, auteur de la légende de Santideva, cite une stance du Ratnagotravibhāga (V.18). Probablement, il a lu cette stance dans la Bodhicaryāvatārapañjikā de Prajñākaramati (éd. L. de La Vallée Poussin, p. 432.14-17) et non dans le Ratnagotravibhāga même. Vibhuticandra ne cite pas la stance suivante du Ratnagotravibhāga qui explique que pareil à ārșa est tout ce qui est dit par des gens à l'esprit non-distrait en se référant au Jina comme le seul maître et ce qui est conforme au chemin de l'accumulation qui fait obtenir la délivrance: ... J. W. DE JONG = yat syad avikṣiptamanobhir uktam śāstāram ekam jinam uddiśadbhiḥ mokṣāptisambhārapathānukulam mūrdhnā tad apy ārṣam iva praticchet. Le Ratnagotravibhāga ne fait pas de distinction entre ārṣa et arthārṣa (Tib. de-rjes las byun-ba), mais dit que tout ce qui est dit en conformité avec certaines conditions est ärşam iva. Pour ārșa Mlle Pezzali renvoie à la Bodhisattvabhumi (éd. Wogihara p. 385.1734) où le nirvāņa est dit être ārșa. Edgerton avait déjà remarqué qu'ārșa est ici une corruption. pour ārṣabha.35 L'édition de la Bodhisattvabhūmi par Nalinaksha Dutt a, en effet, ärṣabha au lieu d'ărșa (p. 266.6). Le mot ārșa se rencontre dans le Mahāyānasūtrālamkāra (XVIII.31): ārṣaś ca deśanadharmo, mais le commentaire ne l'explique pas. Il se peut très bien que le mot arthārṣa soit corrompu mais la version tibétaine qui en donne une traduction libre ne permet pas de le corriger. On ne retrouve la distinction entre ärşa et arthārşa ni chez Bu-ston ni chez Taranatha. Le premier parle de ce qui était connu autrefois (snar grags-pa) et ce qui ne l'est pas (ma grags-pa) et le dernier de ce qui existait autrefois (snar byun-ba) et ce qui ne l'est pas (ma byun-ba).36 Pour conclure cette discussion signalons encore que, dans section XV, le texte sanskrit a arthārṣam mais la version tibétaine gźan-pa anyad. 34 Mlle Pezzali renvoie à p. 385, 1.15. 35 Buddhist Hybrid Sanskrit Dictionary, s.v. ārṣa et ārṣabha. 36 Bu-ston, Chos-'byun, éd. de Bkra-sis lhun-po f. 127a3 (A.P., p. 6); Taranatha, éd. Schiefner, p. 127.8 (A.P., p. 14). Page #19 -------------------------------------------------------------------------- ________________ LA LÉGENDE DE SANTIDEVA 179 En dehors du passage sur ārșa et arthārșa la légende de Santideva contient plusieurs éléments qui mériteraient d'être étudiés pour comprendre l'origine et le développement de la légende. Il ne semble guère possible d'y découvrir un noyau historique qui permettrait de déterminer où et quand Śantideva a vécu. En ce qui concerne les dates de Santideva il y a deux hypothèses. La première remonte à Bendall qui s'est servi de l'ouvrage de Taranatha.37 Bendall conclut que Santideva a vécu au milieu du VIIème siècle car, selon Taranatha, il naquit pendant le règne d'un fils du roi Harşa, nommé Śila, qui aurait vécu pendant 140 ans et qui aurait régné presque cent ans. On ne peut pas avoir beaucoup confiance en ce que raconte Taranatha car, comme le dit Bendall lui-même: "It is true that neither this 'Çila' (if that be his real name) nor any other son of Çrīharṣa is known to either Indian or Chinese records" (pp. III-IV). Ajoutons que, si Santideva était né pendant le règne centenaire d'un fils de Harșa, il aurait vécu plus tard qu'au milieu du VIIème siècle. Bendall signale aussi que, selon Taranatha, Santideva a dû être un contemporain plus jeune de Dharmapāla (p. III, n. 3). Nous sommes assez bien renseignés sur Dharmapala et Ui Hakuju a même essayé de calculer exactement ses dates (530-561).88 Bendall pensait que Dharmapāla avait vécu au début du VIIème siècle comme l'avait dit Takakusu.39 On voit donc que les renseignements, donnés par Taranatha, sont contradictoires. Si Santideva naquit pendant le règne du fils de Harșa, il a dû vivre pendant la deuxième moitié du VIIème siècle ou même plus tard. En tant que contemporain de Dharmapala il n'a pas pu vivre plus tard que la deuxième moitié du VIème siècle. Signalons encore que Taranatha ne semble pas être bien renseigné sur Dharmapala car il le confond avec Dharmapala de Suvarṇadvipa, le maître d'Atīsa (982-1054).40 La deuxième hypothèse a été avancée pour la première fois par B. Bhattacharya en 1926.41 Selon lui, Santideva a dû vivre après le départ de l'Inde d'I-tsing car ni I-tsing ni Hsüan-tsang mentionnent Santideva. D'autre part, il a dû vivre avant le départ de Sāntirakṣita pour le Tibet car ce dernier cite une stance du Bodhicaryāvatāra (I.10) dans un ouvrage, 37 Çikshasamuccaya (Bibliotheca Buddhica, I, 1897-1902), Introduction, pp. III-VI. 38 Indo tetsugaku kenkyū, vol. V (Tokyo, 1929; réimprimé en 1965), pp. 128-132. Déjà, en 1911, Noël Peri avait écrit que Dharmapala mourut vraisemblablement aux environs de l'année 560, "A propos de la date de Vasubandhu", BEFEO, XI (1911), p. 383. 39 Cf. l'introduction à sa traduction d'I-tsing, A Record of the Buddhist Religion (Oxford, 1896), p. lviii. 40 Cf. Taranatha, trad. A. Schiefner, pp. 161-2. 41 Cf. sa préface à l'édition du Tattvasamgraha (Gaekwad Or. Ser., vol. XXX (Baroda, Page #20 -------------------------------------------------------------------------- ________________ 180 J. W. DE JONG intitulé Tattvasiddhi, que le colophon lui attribue. En rectifiant les dates, mentionnées par Bhattacharya, Mlle Pezzali conclut que la vie de Santideva, ou tout au moins la période productive de sa vie en tant que maître bouddhiste, se situe entre 685 et 763.42 Ce raisonnement serait irréfutable si la Tattvasiddhi était, en effet, l'ouvrage de Santirakṣita et si, d'autre part, le fait qu'I-tsing ne mentionne pas Santideva, signifiait qu'il n'a pas pu vivre avant 685. Il faut attendre la publication de la Tattvasiddhi pour pouvoir vérifier l'exactitude de l'attribution de cet ouvrage à Śantirakṣita. En ce qui concerne l'argumentum ex silentio, inutile de dire qu'il faut le manier avec circonspection. Pour autant que je sache, on n'a pas encore montré que Hsüan-tsang et I-tsing aient mentionné tous les maîtres bouddhistes de quelque importance qui ont vécu pendant ou avant leur séjour dans l'Inde. Bendall avait déjà remarqué que la date de la traduction tibétaine du Šikṣāsamuccaya fournit le terminus ad quem. Selon lui, le terminus ad quem est l'année 800 (p. V). On arrive presque à la même date en tenant compte des dates des traducteurs du Bodhicaryavatāra. Cet ouvrage a été traduit par Sarvajñadeva et Dpal-brtsegs d'un manuscrit provenant du Kaśmir. Ensuite, la traduction a été corrigée à l'aide d'un manuscrit venant du Madhyadeśa par Dharmaśrībhadra, Rin-chen bzań-po et Śā-kya blo-gros. Cette traduction fut révisée par Sumatikīrti et Blo-ldan śes-rab.43 Dpal-brtsegs est un traducteur bien connu. Il a travaillé au début du neuvième siècle. Il est, en outre, un des compilateurs d'une liste de traductions existant dans le palais de Ldan-kar.44 Cette liste indique après chaque titre le nombre total des śloka composant l'ouvrage. Mlle Lalou s'est demandée quel est le sens du mot sloka quand il s'agit d'ouvrages en prose et en vers ou uniquement en prose. Le même problème se poserait d'ailleurs un ouvrage, écrit en vers, utilisait d'autres mètres 1926)), p. XXIII: "The evidence of Tattvasiddhi where Santarakṣita quotes a full sloka from the Bodhicaryavatāra once for all settles the question (of Santi Deva's date). It proves that Santi Deva flourished in a period between the departure of I-Tsing from India in 695 and before Santarakşita's first visit to Tibet in A.D. 743." (T. R. V. Murti, The Central Philosophy of Buddhism (London, 1955), p. 100, n. 6). Je cite ce passage d'après l'ouvrage de Murti car l'édition du Tattvasamgraha n'est pas à ma disposition. 42 Kanakura que Mlle Pezzali ne mentionne pas arrive à une conclusion semblable. Selon lui Säntideva naquit dans la deuxième moitié du VIIème siècle et exerça son activité aux environs de l'année 700 (Kanakura Enshō, Satori ye no michi (Tōkyō, 1957), pp. 232-3). 43 Cf. Friedrich Weller, Über den Quellenbezug eines mongolischen Tanjurtextes (Berlin, 1950), p. 88. 44 Marcelle Lalou, "Les textes bouddhiques au temps du roi Khri-sron-lde-bcan", JA (1953), pp. 313-353. M. Tucci suppose que la liste a été compilée en 812, cf, G. Tucci, Minor Buddhist Texts, II (Roma, 1958,) pp. 46-8, n. 1. Page #21 -------------------------------------------------------------------------- ________________ LA LÉGENDE DE ŚĀNTIDEVA 181 que le śloka. Sans aucun doute, les compilateurs de cette liste ont suivi l'usage indien d'utiliser le śloka comme unité de mesure, le śloka désignant un texte contenant 32 syllables qu'il soit écrit en prose ou en vers. Selon la liste de Dpal-brtsegs, le Bodhicaryāvatāra contient 600 śloka et deux bam-po. Tāranātha mentionne trois recensions du Bodhicaryāvatāra, une recension kaśmīrienne en plus de 1000 śloka, une recension orientale en 700 śloka et une recension du Madhyadeśa en 1000 sloka. L. de La Vallée Poussin et Sylvain Lévi ont déjà étudié ce passage de Tāranātha.45 La liste de Dpal-brtsegs leur était inconnue. Le fait que le traducteur même du Bodhicaryāvatāra indique que l'ouvrage ne contient que 700 śloka n'est pas dénué d'intérêt. L'ouvrage actuel contient 913 vers en dix chapitres. Selon Tāranātha, les orientaux supprimèrent les chapitres II et IX.46 On arrive ainsi à un total de 679 vers. Le colophon de la traduction tibétaine dit que Dpal-brtsegs s'est servi d'un manuscrit kaśmīrien, mais, d'après Tāranātha, ce n'est pas la recension kaśmīrienne mais la recension orientale qui contient 700 śloka. Bu-ston s'est aussi occupé de ce problème dans un passage de son Chos-'byun que Mlle Pezzali n'a pas signalé: byan-chub sems-dpa'i spyod-jug zi-ba lhas mdzad-pa rrog-'gyur / 'di dkar-chag chen-mo gsum-gar śu-log drug-brgya bam-po gñis zes 'byun mod-kyi śu-log ston-du grags-so || spyod-'jug le’u dgu-pa blo-gros mi-zad-pas mdzad zer-ba de dan 'di mi-gcig ces smra-ba man-yan sdigbśags-kyi le'u logs-su byas ma-byas-kyi khyad-par dan 'gyur sňa-phyi'i khyad ma-gtogs-pa gcig-par kho-bo smra'o47 - "Le Bodhicaryāvatāra, écrit par sāntideva, et traduit par Rrog (i.e. Blo-ldan ses-rab, cf. ci 45 L. de La Vallée Poussin, "Çāntideva et la composition du Bodhicaryāvatāra d'après Tāranātha", Muséon, XI (1892), p. 68 sq.; "Une version chinoise du Bodhicaryāvatāra", Muséon, n.s. IV (1903), p. 313 sq.; Sylvain Lévi, "Une version chinoise du Bodhicaryăvatāra”, BEFEO, II (1902), pp. 253-255. 46 Mlle Pezzali traduit: "Ils abrégèrent les chapitres sur la confession et sur la sagesse" (p. 14), mais 'chad-pa ne signifie pas 'abréger' mais 'supprimer' (cf. Jäschke: 'chad-pa 'to be cut off'). Schiefner traduit: "es fehlt der Abschnitt von dem Sündenbekenntniss, der Abschnitt von der Weisheit” (pp. 165-6). 47 Éd. de Lhasa f. 159a2-4. 48 Le catalogue du palais Ldan-dkar (dkar-chag ldan-dkar-ma) doit être un de ces trois grands catalogues. Bu-ston s'y réfère dans une énumération de catalogues (cf. Seyfort Ruegg, op. cit., p. 19, n. 2). Le premier catalogue, mentionné par Bu-ston, est le catalogue du palais de Ldan-dkar: Pho-bran stod (xyl ston)-than ldan-dkar-gyi dkarchag. Les deux autres catalogues sont probablement le catalogue du monastère 'Phan-than-ka-med (phan-than-ka-med-kyi dkar-chag ou dkar-chag 'phan-than-ma) et le catalogue de Mchims-phu près de Bsam-yas (bsam-yas mchims-phu'i dkar-chag). Sur Mchims-phu voir A. Ferrari, Mk'yen brtse's Guide to the Holy Places of Central Tibet (Roma, 1958), p. 115, n. 145. Les catalogues de Ldan-dkar et de 'Phan-than-kamed sont aussi mentionnés dans le dkar-chag du Kanjur d'Urga, cf. Lokesh Chandra, "A newly discovered Urga Edition of the Tibetan Kanjur", IIJ, 3 (1959), p. 181. Page #22 -------------------------------------------------------------------------- ________________ 182 J. W. DE JONG dessus). Il est dit dans les trois grands catalogues48 qu'il contient 600 sloka et deux bam-po mais c'est un fait bien connu qu'il contient 1000 sloka. Il y en a beaucoup qui disent que le neuvieme chapitre du Bodhicaryavatara a ete ecrit par Blo-gros mi-zad-pa (Aksayamati) et qu'il [l'ouvrage en 600 vers?] n'est pas identique a celui-ci [l'ouvrage en 1000 vers?), mais je declare qu'ils sont identiques, abstraction faite de la difference (resultant) de l'exclusion ou non du chapitre II et de la difference entre l'ancienne et la nouvelle traduction."49 On a beaucoup discute du probleme que pose l'attribution d'un Sutrasamuccaya a santideva.50 Pour autant que je sache, on n'a pas signale le fait que, dans la section des sastra du Mahayana, la liste de Dpal-brtsegs enumere au debut les cinq ouvrages suivants: (655) Siksasamuccaya, (656) Jatakamala, (657) Mdo-sde sna-tshogs-kyi mdo btus-pa (titre sanskrit reconstruit par Mlle Lalou: Visvasutrasamuccaya), (658) Sutrasamuccaya, (659) Bodhicaryavatara. Le Sutrasamuccaya designe certainement l'ouvrage que le Tanjur attribue a Nagarjuna. Tous les deux sont en cinq bam-po.51 Le Mdo-sde sna-tshogs-kyi mdo btus-pa n'existe plus aujourd'hui et la possibilite n'est pas exclue que cet ouvrage soit identique au Sutrasamuccaya que les commentateurs indiens du Bodhicaryavatara et les historiens tibetains attribuent a Santideva. La monographie que Mlle Pezzali a consacree a santideva ne nous aide guere a avoir une idee exacte des recherches faites jusqu'alors. 52 Santideva est un des plus grands ecrivains de l'Inde bouddhique. Il y a encore beaucoup de problemes a resoudre en ce qui concerne sa vie et ses ouvrages et il faut esperer que la decouverte de donnees nouvelles aideront a dissiper des obscurites qui sont encore plus epaisses qu'on ne le suppose generalement. 49 Kanakura cite le debut de ce passage, op. cit., p. 238, n. 6. 50 Aux indications bibliographiques, donnees par Mlle Pezzali (pp. 80-87) il faut ajouter: Sasaki Koken, "Siksasamuccaya, Sutrasamuccaya no kankei ni tsuite", Indogaku Bukkyogaku kenkyu, XIV (1965), pp. 180-3; Ichishima Masao, samuccaya no sakusha ni tsuite", id., XVI (1968), pp. 844-6; "Sutra-samuccaya ni tsuite", Tendai gakuho, 8 (1967), pp. 49-53; "Sutra-samuccaya no bonbun danpen", id., 14 (1972), pp. 165-169. 61 Cf. Marcelle Lalou, op. cit., p. 335; P. Cordier, Catalogue, III p. 323: Mdo-'grel XXX.29. 62 Il parait superflu de signaler toutes les fautes et erreurs commises par Mlle Pezzali mais il faut, au moins, signaler que la traduction mongole est indubitablement basee sur la version tibetaine. Selon Mlle Pezzali, M. Weller insiste sur l'impossibilite de preciser actuellement si la version mongole est basee sur la version tibetaine ou l'original sanscrit (p. 59). Citons M. Weller lui-meme: "Bedurfte es dieses Beweises noch, dass Mo [i.e. la traduction mongole) aus dem Tibetischen ubersetzt wurde, dann ware er aus den beiden eben angestellten Betrachtungen schlussig abzuleiten" (op. cit., p. 2).