Book Title: Pour Comprendre La Philosophie Indienne
Author(s): Johannes Bronkhorst
Publisher: Johannes Bronkhorst

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Page 4
________________ 200 ÉTUDES DE LETTRES POUR COMPRENDRE LA PHILOSOPHIE INDIENNE 201 ancienne de ces écoles n'étaient pas, ou pas seulement, déterminés par la tradition, mais par des problèmes et des défis rencontrés en chemin. Tout ceci implique que la philosophie indienne peut du moins en partie etre comprise à la lumière de la logique interne de son développement. Cela ne veut pas dire que d'autres facteurs n'ont pas joué un rôle dans ce développement. Mais la logique interne de la philosophie indienne mérite notre attention, même si ce n'est pour aucune autre raison que le fait que ce genre de logique doit avoir inspiré les acteurs eux-mêmes, les penseurs qui ont créé, préservé et développé la philosophie indienne. Le Professeur Staal a fait l'intéressante observation suivante en ce qui concerne la science: "(Une) science est évaluée en fonction de ses résultats et de ses conséquences, non pas en fonction de son arrièreplan ou de ses origines. Si l'on acceptait l'hypothèse que la science dépend du contexte et de circonstances telles que les croyances des gens qui ont contribué à sa création, alors le théorème de Pythagore serait rejeté parce qu'il croyait en la réincarnation, l'astronomie de Kepler à cause de son astrologie, la physique de Newton à cause de sa théologie, et la plus grande part de la chimie à cause de l'alchimie. Au contraire, et en accord avec les principes de sélection qui gouvernent l'évolution biologique, les gens ne se rappellent que de la science, et, à moins d'être historiens, oublient tout le reste. Ici Staal remarque à juste titre que c'est le procédé de sélection qui fait la science. Dans le cas des sciences naturelles, la confrontation avec la réalité et la critique sont deux facteurs cruciaux dans ce procédé de sélection. Le second des deux, la critique, est présent dans l'histoire de la philosophie indienne, et l'on pourrait argumenter que c'est cela qui en fait de la philosophie, plutôt qu'une simple collection de croyances transmises. De cette façon, la comparaison avec la science moderne nous inspire à poser des questions semble-t-il importantes concernant la philosophie indienne. La science moderne, de par sa nature même, est en mouvement constant. Des positions sont adoptées, critiquées et souvent subséquemment rejetées. Il serait hors de propos de dire que la science moderne est statique. La philosophie indienne, d'autre part, est souvent décrite comme statique: un nombre d'écoles limité est représenté comme défendant quelques positions rigides et quasiment immuables. Si, comme on l'a suggéré plus haut, la dynamique qui est à l'auvre dans la philosophie indienne est par certains aspects semblable à celle qui actionne la science moderne, comment peut-on donc avoir cette opinion de la philosophie indienne? Souvenons-nous que sous aucune de ses formes la philosophie indienne n'a recherché systématiquement la confrontation avec la réalité qui caractérise la science moderne. Ceci implique qu'une fois qu'un système cohérent et défendable avait été créé, aucune nouvelle impulsion vers un changement n'allait venir de cette direction. Les systèmes auraient beau continuer à ergoter sur des détails, aucun d'entre eux ne se sentirait plus obligé de réviser ses doctrines de fond en comble sous la pression des critiques dirigées contre lui. Des développements additionnels pourraient encore se produire, mais ils concerneraient soit des détails de ce genre, ou alors ils seraient des réactions à des influences qui ne sont pas strictement philosophiques, mais, par exemple, avant tout religieuses. La partie la plus dynamique de l'histoire de la philosophie indienne est de ce fait la période durant laquelle les positions classiques des différentes écoles furent élaborées et discutées, et qui est donc, au sens strict, préclassique. Cette distinction entre classique et préclassique devrait être prise dans un sens aussi vague que possible. La date à laquelle les positions classiques sont fixées varie d'une école à l'autre, et même à l'intérieur des courants de pensée isolés, suivant la position classique dont on parle. Il est aussi important de se rappeler que tous les participants du débat en cours, qui constitue l'histoire de la philosophie indienne, ne sont pas entrés dans le débat au même moment. Il est probable qu'à tout moment de l'histoire intellectuelle de l'Inde, il y avait, outre les penseurs qui défendaient leurs positions contre la critique des autres, ceux qui ne s'intéressaient pas à cette interaction avec des gens qui appartenaient à des courants différents. De nombreux, peut-être la plupart des brahmanes sacrifiants, des ascètes pratiquants, et des adeptes de cultes divers n'ont peut-être jamais recherché une comparaison systématique de leurs croyances avec celles des autres, et ont 7. Staal, 1994: 2917. 8. Collins (1998: 534) décrit le processus scientifique comme suit: "La science est basée sur des rivalités et des controverses lorsqu'un sujet est au premier rang de la recherche. A la longue, ces controverses sont résolues, et les positions perdantes sont abandonnées. A ce moment, la position gagnante est considérée comme une connaissance sûre, alors que le domaine de la recherche passe à une controverse sur quelque chose d'autre." La raison du consensus concernant les résultats précédents est donnée à la p. 535: "La science atteint un consensus social parce que le front de la recherche continue à avancer, et qu'il est plus facile de se faire une réputation la plutôt qu'en se cramponnant à des vieilles controverses."

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