Book Title: Pour Comprendre La Philosophie Indienne
Author(s): Johannes Bronkhorst
Publisher: Johannes Bronkhorst

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Page 6
________________ 204 ÉTUDES DE LETTRES POUR COMPRENDRE LA PHILOSOPHIE INDIENNE 205 Munz (1985: 257 s.) a suggéré qu'elle devrait être bipartite. Il remarque qu'il y a d'une part l'histoire des conjectures dues au hasard et d'autre part l'histoire du processus de sélection. On pourrait appliquer un schéma bipartite semblable pour écrire l'histoire de la philosophie indienne. Il est certain qu'il y a des différences importantes. Dans l'histoire de la philosophie indienne, tout comme dans la science moderne, le processus sélectif est en marche. Ce processus est relativement restreint comparé à la science moderne, parce que la philosophie indienne ne permet que rarement une confrontation systematique avec la réalité. Mais il y avait la critique impitoyable émanant des penseurs des autres écoles, et, par conséquent, l'attitude critique des penseurs envers leurs propres idées. A quoi cela a-t-il mené? A l'acceptation de positions qui pouvaient être considérées comme des solutions à des problèmes perçus. Comprendre les positions et les doctrines spécifiques de la philosophie indienne signifie souvent, par conséquent, être conscient des problèmes que ces positions et doctrines étaient censées résoudre. Une histoire idéale de la philosophie indienne nous présentera les deux: les solutions fournies par les textes, ainsi que les problèmes et les défis intellectuels qui ne sont pas toujours spécifiés dans les textes. Afin d'illustrer ma revendication précédente, à savoir que les penseurs indiens ont développé quelques positions frappantes pour répondre à des situations problématiques d'un genre intellectuel, je vais brièvement discuter deux cas de penseurs qui ont, semble-t-il, cru qu'ils n'avaient pas besoin de la tradition pour découvrir la vérité sur le monde. Ces cas, bien qu'ils soient exceptionnels dans l'histoire de la philosophie indienne, montrent que les défis intellectuels ne sont pas seulement responsables de développements doctrinaux particuliers dans certaines écoles, mais peuvent à l'occasion être responsables de philosophies entièrement nouvelles. Il semble que par deux fois au moins dans l'Inde classique, on créa une philosophie qui s'efforça d'être indépendante de toute tradition. Une de ces philosophies ainsi créées, le Vaišeşika, devint bientôt une tradition elle-même, à laquelle les penseurs postérieurs ont pu appartenir et qu'ils essayérent de défendre contre la critique. L'autre, la philosophie du Moksopāya, fut bientôt représentée dans un texte augmenté connu sous le nom de Yogavasishacomme une sagesse révélée, communiquée par le sage Vasistha au héros épique Räma. Mais la destinée ultérieure de ces deux philosophies ne change rien au fait que leurs formulations initiales semblent avoir été des tentatives de se passer du soutien de la tradition. Cela ne signifie pas que ces deux philosophies sont des constructions entièrement nouvelles, sans connexion avec rien de ce qui se passait intellectuellement au moment de leur création. Bien au contraire, nous verrons que les deux peuvent être comprises comme des réponses à des défis intellectuels qui étaient d'actualité à leurs époques respectives. Je puis être bref en ce qui concerne le Vaiseşika, car j'ai déjà exprimé mes vues sur sa création dans une autre publication. Le système Vaišeşika, comme j'en ai argumenté, est dans une grande mesure construit autour de quatre idées fondamentales - que j'ai nommées des axiomes - qui peuvent être décrites comme suit: 1) le Vaišesika se base sur l'hypothèse qu'une énumération complète de tout ce qui existe est possible, et de fait, il offre une telle énumération; 2) les objets composites existent par eux-mêmes, à part de leurs parties constituantes; 3) il y a une correspondance directe entre les mots et les choses, avec la conséquence que certaines choses doivent exister parce qu'il existe un mot qui les désigne; 4) le monde est caractérisé par un atomisme spatial et temporel. Ces quatre axiomes, comme je l'ai montré, ont des parallèles proches dans une école de pensée bouddhique qui existait déjà avant le Vaisesika et qui se nomme Sarvāstivāda. Là aussi, nous trouvons une énumération complète de tout ce qui existe-même si les éléments énumérés par cette école sont entièrement différents de ceux qui sont énumérés dans le Vai esika. Là aussi, nous trouvons la conviction que le monde est caractérisé par un atomisme spatial et temporel. Et là aussi, nous rencontrons l'opinion selon laquelle les objets qui constituent le monde phénoménal correspondent aux mots du langage. Il est vrai que le Sarvāstivāda n'accepte pas que ces objets existent vraiment, mais c'est parce que ces Bouddhistes adhérent à une position qui est exactement à l'opposé du second axiome du Vaiseşika: là où le Vaišeşika maintient que les objets composites existent par eux-mêmes, à part de leurs parties constituantes, le Sarvāstivāda maintient que les objets composites n'existent pas seules les parties constituantes existent. 13. La philosophie de Dignāga pourrait constituer un troisième exemple: la contribution de Leonard van der Kuijp au colloque de Leiden allait dans ce sens. Voir également Bronkhorst, 1999: $11.17. 14. Bronkhorst, 1992.

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