Book Title: Pour Comprendre La Philosophie Indienne
Author(s): Johannes Bronkhorst
Publisher: Johannes Bronkhorst

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Page 10
________________ 212 ÉTUDES DE LETTRES POUR COMPRENDRE LA PHILOSOPHIE INDIENNE 213 dire qu'il y a une relation de cause à effet entre Brahma et le monde, puisqu'il n'y a pas de causes auxiliaires. Un élément central de ces arguments est que le monde n'existe pas parce qu'il n'a pas de cause. En soi, cet argument ne semble pas très convaincant. Pourquoi le monde ne serait-il pas né de rien? Pourquoi devrait-il avoir une cause? Ces questions nous rappellent une discussion qui a préoccupé les esprits de pratiquement tous les philosophes de la première partie du premier millénaire. Ils se préoccupaient tous de savoir si, et si oui, comment, quelque chose peut se produire. Certains, surtout les adeptes du satkāryavāda, estimaient que, d'une certaine manière, les choses ne se produisent pas, parce qu'elles sont déjà présentes dans leurs causes. De même, le Yogavāsiştha nie que le monde s'est produit, mais rejette le satkāryavāda. Il rejette la position selon laquelle l'univers, bien qu'il ne soit pas manifesté durant la periode intermédiaire entre deux périodes du monde, est néanmoins présent sous une forme non manifestée. On trouve cette idée dans le passage suivant, ou Vasistha répond à une question que Räma soulève: "(Rāma:) D'autres (pensent] que lorsqu'un mahakalpa s'achève, le (monde) visible est présent comme le germe dans une graine; dismoi, renaît-il de ce même (substrat]? Seigneur, dis-moi clairement et en vérité, afin d'écarter les doutes de tout un chacun, si ceux qui pensent ainsi sont ignorants ou sages. (Vasistha:) Celui qui prétend que ce [monde) visible est présent pendant la grande destruction comme un germe dans une graine, il est complètement ignorant et commet une stupidité". "La position du Yogavāsiştha, comme Slaje le montre justement, est plus proche de celle que l'on trouve dans la Gaudapā. dakārikā, aussi connue sous le nom de Agamaśāstra et attribuée à un auteur nommé Gaudapāda. On y trouve non seulement une critique similaire du satkāryavāda, mais aussi l'acceptation du soi-disant ajā tivāda, la position selon laquelle rien n'est produit. Comme nous l'avons vu, il s'agit d'un aspect important de la philosophie du Moksopāya. La relation précise entre le Yogavāsistha et la Gaudapā. dakārikā reste peu claire, et Slaje nous a annoncé une étude qui traitera de cette question. Toutefois, la Gaudapādakārikā est particulièrement intéressante dans ce contexte, parce qu'elle mentionne de façon explicite un argument essentiel qui demeure d'habitude implicite dans le Yogavāsistha. Prenons le passage suivant de la Gaudapādakārika: "Délibérant entre eux, certains docteurs admettent que quelque chose d'existant se produit; d'autres, tout aussi) intelligents, (pensent que quelque chose de non existant (se produit). Rien de ce qui existe ne se produit, et rien de ce qui n'existe pas ne se produit; délibérant ainsi, les défenseurs proclament que rien ne se produit. Nous acceptons la position qu'ils proclament, que rien ne se produit. Nous ne débattons pas avec eux, écoute pourquoi il n'y a pas de débatt." Ce passage contient un argument, à savoir: "Rien de ce qui existe ne se produit, et rien de ce qui n'existe pas ne se produit." On trouve cet argument dans toutes sortes de textes de l'Inde classique, qui en tirent des conclusions différentes Le premier usage de cet argument - du moins, le premier qui nous soit parvenu est attesté dans la Mulamadhyamakakārikā de Nägarjuna. Il y revêt la forme suivante: "Si une entité non produite se trouvait quelque part, elle pourrait être produite. Puisque cette entité n'existe pas, qu'est-ce qui est produit?"" Nagarjuna en conclut que rien n'existe", d'autres en concluent qu'une chose existe avant de se produire (c'est le soi-disant satkāryavāda), et d'autres encore ont trouvé d'autres solutions. La Gaudapādakärikä сonclut de cette situation que rien ne se produit, mais sans maintenir que rien n'existe. Le Yogavāsistha présente également la position que rien ne se produit, sans maintenir que rien n'existe (car Brahma existe), Est-il possible qu'il base cette position sur le même argument? tasmad brahmamayam jagar; 3.18.18cd: na hi karanatah karyam udety asadrśam kvacit (Slaje, 1994: 80). 44. YogV 3.21.37; na brahmajagatām asti karyakaranatodayah/ karananam abhāvena sarvesām sahakārinām/l; 3.3.28 (Slaje, 1994: 204-205; = 28 dans Slaje, 1995: 47); karyakaranată tv atra na kimcid upapadyatel yadrg eva param brahma, tādrg eva jagartrayam/l. 45. YogV 4.1.19-21: (Rama:) mahākalpaksaye dryam āste bija ivankurah/ pare, bhủya udety etat tata eveti kim, vadallevambodhäh kim ajnah syur, utajna iti ca sphutam/ yathāvad bhagavan brūhi sarvasamsayaśāntayell (Vasistha:) idam bije inkura iva drsyam aste mahāksaye/ brüte yah, param ajnarvam etartasyästi saišavam// (Slaje, 1994:203 n. 22) Il se peut que l'attribution de certaines parties du texte à Vasistha et à Rāma soit un trait qui fut introduit pendant le premier remaniement du Moksopaya original; voir Slaje, 1994: 57 s, 142 s. 46. Voir Slaje, 1994: 197 n. 3. 47. GK 4.3-5:bhūtasya jätim icchanti vadinah kecid eva hil abhūtasyāpare dhira vivadantah parasparamil bhūtam na jāvate kincid abhūtam naiva jāyatel vivadanto 'dvayā hy evam ajătim khyapayanti tell khyāpyamanam ajārim tair anumodămahe wayam/vivadāmo na taih sārdham avivadam nibodhatall. 48. MadhK(de]) 7.17: yadi kaścid anutpanno bhāvah samvidyate kvacillutpadyeta sa kim tasmin bhāve utpadyare 'satill. 49. Oetke, 1991, qui contient des références à des articles plus anciens du même auteur

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