Book Title: Pour Comprendre La Philosophie Indienne
Author(s): Johannes Bronkhorst
Publisher: Johannes Bronkhorst

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Page 8
________________ 208 ÉTUDES DE LETTRES POUR COMPRENDRE LA PHILOSOPHIE INDIENNE 209 des arguments (yukti) "9" Ces passages, et bien d'autres encore, nous permettent de conclure que l'auteur du Moksopāya était d'avis que sa position philosophique n'était pas basée sur l'autorité traditionnelle, mais étayée par les arguments présentés dans son texte. Cela ne signifie pas nécessairement qu'il prétendait avoir créé une philosophie entièrement nouvelle -- en fait il ne le fait pas mais il estimait certainement que toute personne suffisamment informée sur le monde et tenant sérieusement compte des arguments concernés, arriverait à la même philosophie que lui-même, tout à fait indépendamment de la tradition à laquelle elle pouvait appartenir. Quelle est donc cette position philosophique? L'auteur du Moksopāya enseigne un illusionnisme subjectif, qui nie l'existence d'un monde réel et doué d'une existence objective?! Le monde n'est rien d'autre qu'une imagination, même le dieu créateur Brahmā n'est pas plus réel que le modèle dans l'esprit d'un peintre??. La seule chose qui existe, c'est la conscience. Quels sont les arguments qui sont censés étayer cette position? Walter Slaje - auquel nous devons notre compréhension du Moksopāya comme texte indépendant - dédie une section de son livre ($ 5.2.3; p. 254-272) à cette question, mais ne trouve que peu de choses que nous appellerions normalement des arguments?'. C'est ce qu'il remarque dans le passage suivant (1994: 257): "La méthode d'argumentation (yukti) qui prépare la compréhension correcte du point de vue philosophique (siddhanta) du Yoga-]V[äsiştha) consiste surtout en exemples (drspanta) sous forme d'histoires (akhyana, katha)." Mais il n'y a que peu de passages dans le Yogavāsiştha qui identifient explicitement des histoires avec des arguments. Slaje cite des passages de la littérature bouddhique qui relient des histoires et des arguments. Le Saddharmapundarika, par exemple, dit: "Ces meilleurs des hommes ont tous révélé la plupart des lois sacrées au moyen d'illustrations, de raisons et d'arguments, avec plusieurs centaines de preuves d'habileté2s." Et le Lankávatāra Sutra dit: "Qu'estce qu'une proposition, un enseignement établi par la conjonction de la raison et de l'illustration...26". Toutefois, si ces deux passages bouddhiques juxtaposent les illustrations (drstanta) et les raisons (hetu. karanahetu), ils ne les identifient pas. Slaje cite encore un passage du Yogavāsistha, qui définit un drsanta comme une chose ou une situation déjà connue, qui, en tant que (moyen) auxiliaire pour atteindre cette connaissance, provoque la connaissance d'un objet ou d'une situation encore inconnus 27. Il en conclut fort justement que l'illustration n'est pas un moyen de connaissance valide (pramana) dans le Moksopāya, mais un simple auxiliaire (upakära). A nouveau, la question se pose de savoir si ces simples auxiliaires constituent les arguments dont dépend l'acceptation de l'idéalisme. Malgré les efforts de Slaje pour comprendre yukri dans le sens de drstanta, on peut demeurer sceptique. Une des raisons principales est que yukti ne signifie pas normalement drstänta. Une raison encore plus importante est que des arguments en faveur de l'idéalisme existent: certains sont contenus dans le texte même du Moksopaya-Sastra, d'autres sont exposés dans d'autres cuvres Un argument récurrent dans le Yogavāsiştha est que le monde ne peut pas être l'effet de quelque chose d'autre, parce que le monde n'a pas de cause, donc il n'existe pas. "Il n'existe pas d'effet de quelque chose qui n'a pas de cause", "Le monde n'est pas l'effet de quoi que 19. YogV 7.103.45: sästrakartari rantavya na kadacana kutracit/sästrartha eva rantavam yukriyuktanubhüridell. Cette lecture est celle que Slaje (1994: 165) a adoptée sur la base d'une évidence manuscrite supplémentaire. Lorsque c'est possible, j'utiliserai les lectures acceptées par Slaje dans son livre Vom Moksopāya-Sastra zum Yogavāsistha Mahārāmāyana (1994), ou dans ses éditions de la Moksopāyatikā de Bhāskarakantha (1993, 1995, 1996). Je suis également Slaje en référant à l'Uttarardha du livre 6 comme au livre 20. Slaje, 1991: 160 s. 21. Par ex. YogV 6.95.16 (Slaje, 1994: 260 n. 230): jagadadi na vidyate. 22. YogV 3.2.55: yatha citrakrdantaksha nirdeha bhati putrika/ tathaiva bhasate brahmä сidākāšācchararijanam // (Slaje, 1994: 198). 23. Cf. Hulin, 1987:9: "On ne trouvera guère ici d'argumentation logique, pas de démonstrations ni de réfutations proprement dites." 24. YogV 7.210.33ab pourrait être un de ces passages (asambhavadanyayukter yuktir esaiva sobhand). Slaje (1994: 267) le rend comme suit: "Parce qu'une autre argumentation (que celle qui compare avec les réves) n'est pas possible, seule cette argumentation a de l'éclat. Toutefois, le contexte qui précéde ce vers ne semble pas permettre de conclusion précise quant au sens voulu de yukti. 25. Saddharmap(V) vers 2.72 p. 33: sarvehi tehi purusottamehi prakäsita dharma bahüvisuddhah drsntakaih karanahetubhis ca upayakausalya atair anekaih/l. Tr. Kern, 1884: 49. 26. Lankav(V) vers 2.69cd p. 14: drsantaherubhir yuktah siddhanto ... Tr. Suzuki, 1932: 28. 27. YogV 2.18.50: yenehānanubhülerthe drstenarthena bodhanam/ bodhopakaraphaladam tam drsantam vidur budhah/l. Pour l'interprétation de bodhopakaraphalada, voir Slaje, 1994: 259 n. 222. Slaje, 1993: 146 lit dans le pada b: drstenarthavabodhanam, 28. Scherrer-Schaub, 1981. 29. YogV 6.94.63 (Slaje, 1994: 260 n. 231): na karanam yasya karyasya, ... tan násti.

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