Book Title: Pour Comprendre La Philosophie Indienne
Author(s): Johannes Bronkhorst
Publisher: Johannes Bronkhorst

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Page 7
________________ 206 ÉTUDES DE LETTRES POUR COMPRENDRE LA PHILOSOPHIE INDIENNE 207 Comme j'en ai argumenté dans cette même publication, la manière la plus simple d'expliquer la présence de parallèles si proches dans le Vaisesika et dans le Sarvästivāda, c'est de supposer que le Vaišesika fut créé en réaction contre l'école bouddhique. Alors que le Sarvästivāda prétendait préserver les enseignements du Bouddha, le Vaišesika, lui, ne pouvait prétendre rien de tel. Le Vaiseșika en vint à être catégorisé comme une école de pensée brahmanique, qui respectait donc l'autorité du Veda, et il se peut bien qu'il ait été créé par un brahmane védique; nous n'en savons rien. Rien dans les parties les plus essentielles et distinctives de sa philosophie n'est védique, ni d'ailleurs basé sur un quelconque autre enseignement traditionnel. Le plus plausible, c'est que quelqu'un, peut-être un brahmane védique, l'a formulé tout simplement pour être capable de rendre la monnaie de leur pièce à tous ces penseurs bouddhistes qui promouvaient la philosophie Sarvāstivāda. Il va sans dire que cette opinion sur l'origine du Vaisesika, si l'on présume qu'elle est correcte, ne répond pas encore à toutes les questions possibles. Est-ce que le créateur du Vaišeşika acceptait six catégories, comme l'école classique, ou seulement trois, ou un autre nombre, peut-être dix, ou sept, comme certains penseurs de l'école le maintiennent? Dans quelle mesure utilisait-il des idées qui existaient déjà avant lui? Il reste un grand travail à faire avant de pouvoir répondre à ces questions, et à bien d'autres encore, si l'on y arrive jamais. Mais une chose est sûre: les systèmes philosophiques ne poussent pas sur les arbres; ils ne se produisent pas par une espèce de croissance organique, mais seulement par les efforts intellectuels d'un individu ou peut-être de quelques individus. Lorsque nous sommes confrontés à un système philosophique, comme dans le cas du Vaišeşika, nous pouvons être certains que quelqu'un, à un moment spécifique, a pour la première fois créé ce système. Ce qui s'est passé avant cette personne, quels matériaux elle a pu incorporer dans le système, tout ceci appartient à la préhistoire de ce système, qui peut être éclairée par ce que Wilhelm Halbfass a appelé l'archéologie du système Vaišesika. Il est possible que le vrai créateur du système Vaišeşika ait utilisé ces matériaux, mais il ne semble pas avoir adhéré de façon consciente à une tradition intellectuelle existante. Tout au contraire, il en créa une nouvelle. Toutefois, pour comprendre ses liens avec ce qui s'est passé avant lui, nous devons tenir compte du fait que le créateur du système Vaišesika semble avoir réagi à un défi intellectuel auquel il était confronté sous la forme d'un développement particulier de la philosophie scolastique bouddhique. Il a rejeté la philosophie bouddhique et créé à la place sa propre philosophie, mais non sans adopter un certain nombre des présuppositions sous-jacentes de la philosophie qu'il rejetait. Venons-en maintenant au Moksopāya, qui est contenu dans le Yogavasistha. Selon Walter Slaje (surtout 1994), qui s'est abondamment penché sur cette question, le Moksopāya était le noyau original autour duquel le Yogavāsistha s'est développé7. La position de l'auteur du Moksopaya original est exprimée dans les termes suivants: "Même lorsqu'il a été composé par un être humain, un traité doit être accepté s'il enseigne sur la base d'arguments (yukti). D'autre part, [tout le reste devrait être abandonné, même si cela dérive des 'voyants' (rsi). Il faut adhérer exclusivement aux règles de la logique (nyaya). Les énoncés étayés par des arguments (yukti) doivent être acceptés même émanant d'un enfant. Tout) le reste devrait être abandonné comme de l'herbe [inutile), même si cela a été proféré par (le dieu) Brahmä "Et encore: “Jamais, et en aucun cas, on ne devrait être satisfait de l'auteur d'un traité; on devrait être satisfait du contenu d'un traité, (à condition qu') il fournisse une expérience étayée par 15. Netz (1999: 273) argumente de façon semblable que l'histoire ancienne des mathématiques grecques fut catastrophique, et non graduelle: "La croyance que l'histoire ancienne des mathématiques grecques fut graduelle revient à formuler l'hypothèse que plus on remonte haut, plus rudimentaires sont les niveaux pre-euclidiens que l'on rencontre.... Nous devrions imaginer que les gens de couvrent graduellement le livre 1 des Elements d'Euclide: la première proposition prendrait quelques années, disons, et ensuite de nouvelles propositions seraient découvertes une à une, environ chaque année, jusqu'à ce que le livre en tier soit découvert, jetant ainsi les bases pour de nouveaux développements. Ceci est impossible. Quel qu'ait été le premier acte de communication contenant la connaissance des mathématiques grecques, il contenait quelque chose qui valait la peine d'être communiqué... Et à la p. 275: "De toute évidence, les mathématiques apparaissent soudainement, dans leur pleine vigueur. C'est aussi ce à quoi nous devrions nous attendre a priori." 16. Cf. Halbfass, 1992: 75 s. 17. Staje fait l'observation suivante sur la date du Moksopaya original (1994: 56): "Avec son illusionnisme concernant la théorie de la connaissance et son enseignement de la non-naissance du monde phénoménal (adtatva), il se pourrait - historiquement parlant que cette cuvre constitue une voie parallèle à Gaudapáda (env. 500), au Lankavatārasutra, et à Mandana (env. 700)." 18. YogV 2.18.2-3. api puurusam, ūdevam sastram ced yukribodhakam/ anyar iv, aryam api yayam, bhavyam nyayatkasevina// yukriyuktam wpadeyam vacanam balakad api/ anyar Irnam iva tajyam, apy uktam padmajanmanäll. Cf. Slaje, 1994: 167.

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