Book Title: Pour Comprendre La Philosophie Indienne
Author(s): Johannes Bronkhorst
Publisher: Johannes Bronkhorst

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Page 2
________________ 196 ÉTUDES DE LETTRES POUR COMPRENDRE LA PHILOSOPHIE INDIENNE 197 1982: 11). Il s'en suit qu'aucune raison objective, non sociale, ne justifie le changement de paradigme. De ce point de vue, l'histoire de la science relève de la sociologie, et de rien d'autre. La position de ces sociologues de la science - le soi-disant "programme fort' n'est pas généralement acceptée, et même bien des sociologues pensent qu'elle va trop loin'. Personne ne met en doute le fait que les traditions scientifiques peuvent et devraient elles aussi être étudiées par les sociologues, qui peuvent en effet contribuer à une meilleure compréhension du développement de la science. Mais bien des chercheurs maintiendraient qu'il y a aussi d'autres éléments, des éléments qui ne sont pas du ressort du sociologue, qui jouent un rôle dans son développement. Je n'ai pas l'intention d'entrer dans ce débat à présent. Mais je n'ai aucune raison de cacher ma sympathie pour ceux qui croient que des facteurs autres que simplement sociaux et politiques sont impliqués. Je mentionne la controverse qui concerne l'histoire des sciences naturelles dans le but de soulever une question semblable en ce qui concerne le développement de la philosophie indienne (non sans tenir compte de la mise en garde du Professeur Staal: "Mais peut-être est-il trop tôt pour introduire... quelque chose d'aussi éloigné que la philosophie occidentale de la science dans ce sujet ..." (1985:53 n. 21)). Bien entendu, la philosophie indienne n'est pas exactement la même chose que la science naturelle, et il se peut que le parallélisme entre les deux ne soit pas évident. Toutefois, on peut de façon raisonnable se demander comment il faut comprendre la philosophie indienne, en supposant qu'une certaine sorte de compréhension, quelle qu'elle soit, est possible. La philosophie indienne a connu de nombreux penseurs, qui sont d'habitude (et souvent avec leur consentement explicite) assignés à un nombre plutôt limité d'écoles, et les doctrines de ces écoles ont subi des développements plus ou moins importants. Contrairement à la science moderne, les opinions philosophiques des penseurs indiens étaient souvent déterminées dans une grande mesure par des facteurs sociaux et religieux évidents: les brahmanes adhéraient à des philosophies brahmaniques, les bouddhistes à des philosophies bouddhiques, les jaïnas à des philosophies jaina. Il est possible que des recherches plus détaillées mettront en lumière des liens encore plus étroits entre des écoles de pensée spécifiques et des mouvements religieux spécifiques ou des (sous-castes ou familles spécifiques!. L'influence déterminante de la dimension sociale est donc claire dans la pensée indienne, bien plus claire que dans la science moderne. Cette dernière conclusion devient encore plus claire lorsque nous réalisons que bien des écoles philosophiques de l'Inde étaient, parfois intimement, liées à des traditions exégétiques. Différentes écoles de philosophie indienne se présentent comme des écoles d'interprétation, Les écoles de pensée bouddhiques et jaïnas prétendaient que leurs positions dérivaient respectivement du Bouddha et du Jina, ce qui signifie en pratique de l'exégèse des textes qui sont censés préserver les enseignements de ces deux maîtres. (Le fait que certains jaïnas croyaient déjà à une date ancienne que les textes originaux étaient perdus ne change pas la situation de façon fondamentale. On peut faire pratiquement la même observation en ce qui concerne les écoles brahmaniques qui sont regroupées sous la dénomination commune de Mimämsä. La Mimämsă est divisée en deux branches principales, la Purva-Mimāmsā et l'Uttara-Mimāmsā, cette dernière étant mieux connue sous le nom de Vedānta (ou Vedāntisme). Ces deux branches ont encore des subdivisions, mais elles prétendent toutes être mimamsă, ce qui signifie 'examen'. Ce qui est examiné, c'est le Veda, et les différentes écoles de la Mimāmsā prétendent dériver leurs positions doctrinales de cette procédure hermeneutique. Le courant de pensée brahmanique connu sous le nom de Samkhya ne se représente pas comme une tradition exégétique d'un canon existant. Toutefois, il prétend qu'il représente l'enseignement d'un personnage mythique nommé Kapila. Malheureusement, nous ne possédons pas de détails concernant la manière dont cet enseignement traditionnel est parvenu jusqu'à l'époque classique. Il est possible que d'autres penseurs aient également été plus redevables à la tradition textuelle que leurs écrits ne le révèlent immédiatement. Je n'exclus pas, par exemple, que 'vieille école du Nyāya-Vaiseșika - à savoir (probablement) Prasastapäda, Uddyotakara, Bhāsarvajña, Vädi Vāgiśvara --étaient des Saivites, ou plus spécifiquement des Pasupatas. Voir Bronkhorst, 1996 (Prasastapāda): le colop final du Nyāyavärttika (Uddyotakara); Ingalls, 1962: 284: Sarma, 1934 (Bhāsarvajña); Raghavan, 1942 (Vadi Vägisvara). De façon peut-être significative, le doxographe jaina Haribhadra, dans son Saddarsanasamuccaya, attribue la devată Siva aux adeptes du Nyāya et Vaišeşika(Qvarnström, 1999: 181). 3. Selon Gopikamohan Bhattacharya (1984: 15 sq.), la famille Mandara du Käsyapagotra á Mithila a produit de nombreux grands Naiyāyikas au cours de plusieurs siècles (parmi eux Vateśvara, Sivapati, et Yajñapati). 1. Voir, par ex., Busino, 1997, 1998; Gross et Levitt, 1994: 42 s. 2. Il est par exemple frappant de voir qu'un certain nombre de penseurs de la

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