Book Title: Ardhamagadhi Ayadanda
Author(s): Colette Caillat
Publisher: Colette Caillat
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Page #1 -------------------------------------------------------------------------- ________________ BEI 7-8 (1989-1990) 17-45 Colette CAILLAT Ardhamagadhi ayadanda "autodestructeur" ou "armé, agressif, violent" ?! I Remarques phonétiques (m.i. aya-o: sk. atma-, átta-) II Distribution d'ayadanda Définitions traditionnelles d'ayadanda (cunni et tikā) IV Analyse sémantique V Vieil indo-aryen (etc.) atta-danda VISüyagadangasutta 1.2.3.9 et Isopanisad 3 NOTE sur Jataka II 233.2*(c) Les correspondances lexicales manifestes entre divers termes amg. (et jm.) d'une part, pa. (et BHS) d'autre part, ont permis 1. Projet "Réseau européen, Etudes de lexicographie moyen-indienne". Université de Paris 3, Unité de Recherche Associée au CNRS D 1058, "LAngues ... et Civilisations du Monde Indien 2. L. ALSDORF, Les études jaina, [Paris) Collège de France 1965, 4 Page #2 -------------------------------------------------------------------------- ________________ 18 COLETTE CAILLAT d'élucider la valeur de vocables obscurs, dont les commentateurs anciens ont donné des équivalents sk. discutables, et dont les traditions philosophico-religieuses ultérieures ont, volontairement ou inconsciemment, infléchi le sens; par suite, il est parfois difficile aujourd'hui de définir la portée qu'ils ont eue dans les plus vieux textes canoniques. W.B. Bollée en a naguère examiné quelques-uns dans ses Studien sur le deuxième anga du canon śvetambara, le Suyagadanga3. Parmi les termes qu'étudient les BSS, aya-danda mérite un complément d'analyse. L'emploi de cet adjectif paraît limité au Suy, qui l'utilise en six passages versifiés. Les jaina l'ont généralement rendu en sk. par atma-danda, c'est-à-dire, selon certaines gloses, par "qui frappe les (1)ätman", "qui châtie l'atman", ou "qui se frappe / se châtie soi-même", en somme, "auto-destructeur". BSS, de son côté, souligne les fluctuations dans les traductions que Jacobi propose de ce composé: parfois "wicked", parfois "who work the perdition of their et suivantes. 3. Sutta à bien des égards curieux, cf. Worte 8; 12. 4. Cf. infra IV. En III sont rappelées, les interprétations proposées par les ctt (Cu, et surtout, généralement suivie par JACOBI, SBE 45); en IV seront analysés les passages canoniques, examinés dans l'ordre suivant: 1.3.1.14 (178); 1.2.3.9 (-151); 2.6.23 (-809); 1.7.9 (-389); 2.6.25 (-811); 1.7.2 (-382). soit les 5. C'est-à-dire le(s) le(s) jiva, monade(s) spirituelle(s): innombrables jiva qui peuplent le monde, soit le jiva personnel de celui qui brandit le danda (cf. infra III, Cu ad Suy 2.6.23). Page #3 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Ardhamagadhi aya-danda souls", suivant les commentaires et selon les contextes'. Dès lors, W.B. Bollée s'interroge sur l'étymologie véritable du mot: il le rapproche pertinemment du pa. atta-danda, attesté dans quelques pada anciens du canon bouddhique, et parfois relayé par adinna-danda. Le sk. correspondant, atta-danda, appliqué au roi Duşyanta dans une strophe de Sakuntalā, vaut "qui a le bâton (le sceptre / l'arme) brandi". Cependant, il paraît utile de reprendre les notes et références rassemblées dans BSS et d'analyser à loisir les six emplois de Suy pour déterminer si l'adjectif y est ou non univoque, et quelle en est l'interprétation la plus appropriée. On verra sans peine que la syntaxe ou la suite des idées dissuadent de retenir la valeur réfléchie; le sens de "violent, brutal", au contraire, s'impose. Quoique BSS ne prenne pas le temps de le faire, il n'est pas superflu, avant d'aborder l'examen sémantique, de rappeler que l'équivoque et le glissement de sens éventuels, sans doute facilités, ou même encouragés par les préoccupations idéologiques des maître jaina, a des fondements linguistiques certains. En effet, le premier terme du composé amg. aya- est susceptible de 6. Cf. BSS II 74-76; JACOBI, SBE 45, passim (cité dans IV et les notes afférentes, infra). 7. Voir CPD II, s.v. adinna, avec références à vin et Dhp-a. Mais, en la II 232.2*au lieu de n'adinna-d., qui contredit le contexte, on reconstituera nânatta-dandassa (infra, V, et NOTE). 8. Cf. infra, V. Page #4 -------------------------------------------------------------------------- ________________ COLETTE CAILLAT continuer régulièrement et sk. atma- et sk. ätta Du sk. atman-, atma l'amg, a hérité deux doublets isorythmiques, attal aya. Le premier, selon un procès très répandu, conserve le groupe consonantique (sous forme de géminée dentale), en abrégeant le phonème vocalique précédent: atma- > ("atta-) > atta-'. Le second, de phonétisme plutôt oriental, garde la quantité vocalique longue de l'étymon, en simplifiant le groupe consonantique jusqu'à l'amuir: atma-> (*ätta-, *ata-, *ada-) > aya- 10. Ce dernier n'est pas rare dans le canon jaina", particulièrement à l'initiale de composé12 Or cette deuxième évolution, qu'on vient de constater dans le cas d'une occlusive géminée dentale d'époque moyen-indienne (*a(t)ra-, aya-) a pu, a fortiori, se produire dans le cas où la même géminée existait dès le vieil indo-aryen. L'adjectif verbal sk. a-t-taétait donc susceptible, dans un pk. oriental, d'aboutir phonétiquement à Lya-: forme apparemment attestée, mais rare", et désormais totalement étrangère au système du verbe A-DĀ. Il en était d'ailleurs de même du pa. atta, généralement supplanté par son doublet m.i. a-dinna dont l'analyse était aisée. 9. Pi 277. 10. Pi 87; 401. Cf. R.L.TURNER, "Geminates after long vowel in Indo-aryan", BSOAS 30 (1967) 73-82 (- Collected Papers 1912-1973, 405 ss.). 11. Nombreuses références AŚK, s.v. Zya. 12. Par exemple, aya-hiya (-hita, -säya (-svāda), cf. Súy, infra, et n. 36. 13. PSM, s.v., cite le composé aya-caritta, relevé dans un petit traité canonique tardif, le Samtharaga-Painnaya. Page #5 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Ardhamagadhi ya-danda 21 On conçoit donc qu'un composé amg. aya-danda ait été tenu pour le reflet (qu'il fût authentique ou non), de deux étymons sk. différents, qu'il ait prêté à confusion, ou plutôt à double interprétation, l'une "mondaine" (atta-danda), l'autre "supra-mondaine" (ärma-danda). Semblable fluctuation affecte, d'ailleurs, dans une certaine mesure, le terme pa. correspondant: les commentaires anciens proposent généralement gahita-danda comme synonyme de atta-danda, mais rendent une fois atta- par attano (ātmanah)14 II Concernant les emplois d'ayadanda, BSS particularités: inusité hors du Süy, l'adjectif se quatre tristubh, dans une anustubh (1.3.1.14 vaitaliya (1.2.3.9-151b). On remarquera, de plus, qu'il se trouve trois fois à la cadence 15, qu'il est généralement employé au nom. (sg./pl., -e/-a), une fois iic. (1.3.1.14 178a), une fois à l'oblique pl. -hi(m) (2.6.25 - 811c). Les emplois en sont donc plus ou moins figés: et le mot a toutes les apparences d'un archaïsme. C'est bien la conclusion à note quelques rencontre dans 178a) et un 14. Cf. CPD I s.v. 1 atta-danda, 2 atta-danda (sur quoi infra V). Sur les jeux de mots auxquels s'est prêté pa. atta, voir CPD I, s.v. 3 atta (mfn.). Comparer BHSD, S.V. l'existence du doublet aptamana(s), l'un et l'autre résultant, sans ättamana(s), notant doute, de la resanskritisation d'un m.i. attamana(s). 15. En 1.7.2 (-382c); 1.7.9 (-389b); 2.6.23 (-809b). Page #6 -------------------------------------------------------------------------- ________________ COLETTE CAILLAT laquelle conduira la lecture des six passages du Súy, où, comme on verra, ayadanda est accompagné tantôt d'un synonyme tantôt d'une phrase qui lui sert de glose ou aide à en cerner le sens": particularité qui ne semble pas avoir jusqu'ici retenu l'attention. Mais il faut d'abord avoir rappelé les interprétations proposées par l'exégèse traditionnelle. Sous des apparences semblables, elles présentent, en fait, de notables différences de détail: les divergences tiennent aux diverses nuances attribuées à l'un et l'autre membre du composé et à la relation syntaxique qui leur est reconnue. Le premier terme n'est pas seul à être ambigu ou embarrasser. Même danda est équivoque, puisqu'il paraît, selon les passages, être tenu pour signifier, ici, "le bâton, la massue" (l'arme dont on frappe, le coup qu'on inflige), là, le "(retour de) bâton" (le dommage, le châtiment qu'on subit)". 16. Voir infra IV. - Sur ce procédé, H. SMITH, Saddaniti IV, Lund 1949, SS 5.3.1; 6.1.1.3 ss.; M.G. DADPHALE, Synonymic collocations in the Tipitaka: A study, Poona 1980, 131 ss.; 152 ss. . 17. Sur danda, voir l'article d'Ariel GLUCKLICH, "The royal scepter (Danda) as legal punishment and sacred symbol", History of Religions 28.2 (1988), 97-122 (ubi alia): "The numerous lexical connotations of the term range from the simple stick to the concept of legal punishment" (97). Ailleurs, A.G. note la nature ambivalente du danda (114); les possibles effets destructeurs du danda sur celui qui le manie (ib.); son rôle, enfin, dans le mythe et le rite, son caractère dynamique, en sorte qu'il apparaît, en définitive, comme un rouage cosmique et eschatologique essentiel Page #7 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Ardhamagadhi aya-danda Au reste, il faut garder en mémoire d'une part le préambule des "grands voeux", qui défend de porter quelque atteinte (danda) que ce soit aux six classes d'êtres vivants (jiva-nikäya), d'autre part la cause déterminante de la violence et du mauvais karman, à savoir, précisément, l'existence de ces jiva-nikāya", qu'on maltraite à tout instant, à moins d'une attention extrême. Or on va voir les commentaires référer en plusieurs occasions à ces käya, à ces "masses" de particules vivantes reconnues dans la constitution de la terre, de l'eau, du feu..., tous éléments qu'énumère Suy 1.7.1 (-381). Il a paru nécessaire de rappeler ces points de doctrine avant de présenter les scholies elles-mêmes. Et d'abord, pour n'y plus revenir, la scholie aberrante avancée, à titre d'alternative, par T, pour expliquer Süy 1.7.2. Le texte commenté porte: ...... eebi käyehi ya żyadandezo. T examine d'abord l'équivalence amg. aya : sk. atma(n). Puis, envisage une autre possibilité, amg. aya-: sk. ayata-. T explique (118-9). Ces considérations peuvent aider à comprendre le retournement sémantique auquel amg. aya-danda paraît s'être prêté. Voir aussi, dans cette même livraison du BEI 7-8, l'article de Stanley INSLER (53), et celui de Jean FEZAS. 18. Dasav IV: icc esim chanham jivanikäyänam n'eva sayam dandam samārambhejja ... (ed. LEUMANN 615.13). 19. Cf. Süy 2.4.3 (-749): quelle est la cause du mauvais karman ?" - Réponse: "les six catégories de jiva', (acarya aha:) tattha khalu Bhagavaya chajjivanikaya hei pannatta. 20. Cf. infra, n. 39 et 40, avec les v.l. Page #8 -------------------------------------------------------------------------- ________________ 2 COLETTE CAILLAT donc: athavaibhir eva kāyair ye 'ayata-dandä dirgha-dandā): ... etan kāyān ye dirgha-kālam dandayanti - pidayantiti (T103), ceux qui, du fait de l'existence) même de ces masses (d'êtres (vivants) sontāyata-danda', (c'est-à-dire) pourvus d'une arme (de) longue (portée): ceux qui frappent - oppriment - ces masses-d'êtres long-temps". Néanmoins, comme il vient d'être rappelé, T avait au préalable accepté l'équivalence généralement admise, amg. aya, sk. atman (infra). Mais quel sens précisément, et quelle fonction, donner à atman??? La réponse des ctt varie selon les passages du Sūy. Tantôt atman, opposé à para, est tenu pour le réfléchi, tantôt le mot est donné pour synonyme de jiva, la monade spirituelle, l'âme; tantôt, enfin, la Cu propose, au choix, l'une ou l'autre de ces deux interprétations. L'équivalence atman : jīva est explicite dans la Cu, à l'occasion de Súy 2.6.23 (-809): atmana iti jīvān dandayati", "il frappe les êtres vivants". La T correspondante garde atman, moins spécifique que jīva, et explique le composé par ätmaiva dandayatiti", "c'est l'atman précisément qui frappe". T ajoute: "ceux qui ont un gourdin (une arme), ceux-là sont atmadanda, (littéralement: "ayant leur) atman comme arme"), parce qu'ils ont 21. BSS n'examine pas explicitement cette question. 22. Cité par BSS 74, qui relève le pluriel. Sur jiva et atman, Bansidhar BHATT, "The concept of the self and liberation in early Jaina Agamas", dans Self and consciousness. Indian interpretations, Rome 1989, 138 ss.; sur danda, ib. 143. 23. Ainsi dans T 264. - BSS (ib.) écrit dandayanti. Page #9 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Ardhamagadhi aya-danda 25 une conduite injuste "24 Ailleurs, commentant 1.3.1.14 (=178), T, tout en s'en tenant à la susdite équation aya- : atma-, analyse et interprète un peu différemment: "est atmadanda celui par qui l'atman est frappé (dandyate) - est brisé (khandyate) - est détourné du bien (hitad bhrafyate)". On aura relevé la glose dandyate : khandyate, qui vaut implicitement pour d'autres passages. Ainsi, à propos de 1.7.2 (supra), dans la première des explications fournies par T, qui décrit bien le mécanisme mis en branle par l'individu appelé äyadanda: "parce que ces masses (d'êtres) sont agressées - opprimées (par suite) l'atman est lésé (châtié): du fait de leur agression, il devient meurtrier (castigateur) d'atman (de son propre atman)-26. A l'occasion, atman est nettement opposé à para, est donc interprété comme ayant valeur réfléchie. Expliquant 1.7.9 (-389), T dit du destructeur de plantes qu'il est qualifié d'ayadanda parce qu'il s'administre à lui-même un châtiment". "Car, en réalité, ajoute T, en frappant l'autre, c'est lui-même qu'il frappe 24. atmaiva dandayatîti: dando resam te bhavanty atma-dandā, asad-acara-pravytteh, T 264. 25. atma dandyate - khandyate s hitād bhrasvate yena sa atmadandah ( T55). Mais la Cu est ambiguë: atmanam dandayitum silam yesam te, "ils ont coutume de léser l'atman ( 7 leur åtman / eux-mêmes)". 26. Ebhih kāyaiḥ samārabhyamanaih - pidyamanair - arma dandyate, etat-samarambhad atmadando bhavati, T 103. 27. atmānam dandayatîty atma-dandah; sa hi parmarthatah parôpaghatenâtmanam evópahanti, T 105. Page #10 -------------------------------------------------------------------------- ________________ COLETTE CAILLAT Il est probable que T (49) retrouve le même réfléchi dans Sùy 1.2.3.9 (=151a-b). Plus ancienne, la Cu avait rappelé les deux valeurs possibles d'ayadanda. Tout en expliquant que les méchants, "engagés dans des violences contre autrui, s'infligent des violences à eux-mêmes aussi , elle cite l'autre interprétation: "il ne leur échoit ni ce monde-ci ni l'autre monde; ainsi, ils lèsent l'atman", autrement dit, le jīva Telles sont les explications proposées par Cú et T. Certes, le détail des interprétations paraît ne pas être en tous points définitif ou assuré. Il reste que, sauf une exception, ayadanda est tenu pour la contrepartie amg. de sk. atmadanda, et que, selon Cu et T, le terme s'applique à celui qui lèse un ou des ātman (jiva) - parfois, semble-t-il, des jīva extérieurs à l'individu malfaisant, mais en général, bien plutôt son jiva personnel, son propre atman. Les ctt paraissent pencher pour cette dernière interprétation, qui souligne les conséquences néfastes pour leur auteur lui-même des crimes qu'il aura commis: tout agresseur cause, à terme, sa propre perte, comme l'enseigne la loi universelle de la rétribution des actes. 28. Para-danda-pravytta åtmanam api dandayanti, Cu 72. 29. Athava na tesim imo logo na para-logo, tenâtmanam dandayanti, ib. (cité BSS 74). Page #11 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Ardhamagadhi aya-daṇda IV 27 Signifier que le malfaiteur se détruit lui-même, voilà, certes, qui s'accorde avec les préceptes du jinisme. Si pourtant on examine avec quelque attention les passages canoniques où l'adjectif yadanda figure, on que, sans aucun doute, ils réfèrent surtout à l'exercice même de la violence, accessoirement seulement à ses suites possibles. L'adjectif est associé à des manifestations de brutalité (LŪS, LŪS), qui se traduisent par l'anéantissement (vi+NASaya-) ou la lésion (HIMS) des autres êtres. Voici ces passages. Suy 1.3.1.14 (-18)30 fustige les infâmes qui brutalisent les religieux (kei lusant' anariya, 14d). Le premier hémistiche du śloka prend soin de caractériser parallèlement d'une part (dans le pada a) leur comportement, d'autre part (en b) leurs pensées intimes. Ces dernières sont enracinées dans l'erreur (miccha-samthiya-bhavana), qualification qui se borne à traduire l'observation d'un fait, si regrettable soit-il. Quant à leur 30. ayadanda-samāyārā miccha-samthiya-bhāvanā harisa-ppadosa-m-avanna kei lisant' anariya, "ils ont un comportement violent, des convictions erronées, une propension au désir et à l'aversion: il y a des gens des barbares - qui brutalisent (les religieux)"; ("who lead a life of iniquity", SBE 263; "weil ihr Wesen fälschlich auf ein Verhalten, das [schliesslich] für sie selbst Strafe zeitigt, gestellt ist", Worte 139 et n. 5; [cf. T supra]). JAS écrit atadanda- (sur quoi, infra n. 42); mais Suttagame 109 et JVBh - Page #12 -------------------------------------------------------------------------- ________________ COLETTE CAILLAT conduite (samācāra), elle est de même qualifiée (en a) par une constatation objective: ils sont dits ayadanda-samāyārā, par quoi Súy dénonce la violence de leurs manières, les coups qu'ils infligent aux justes. En dépit des explications fournies par TI, ce sont les agressions auxquelles les mécréants se livrent qui sont soulignées dans les bahuvrīhi, non le sort qu'ils se préparent à eux-mêmes. Même association de äyadanda et lūs- en 1.2.3.9 (151)", où le composé adjectif eganta-lasaga ("brutal à l'extrême") suit ayadanda (dans le pada b), après l'évocation (en a) de l'acharnement à se lancer dans les actions inconsidérées (arambha) notable chez ceux qu'aveuglent les désirs (150d). Les connotations "objectives" d'ayadanda sont ici corroborées par 31. Cf. n. 25. 32. .......giddha nara kamesu (v.l. -ehi mucchiya (8) je iha arambha-nissiya ayadada eganta-lusaga gantă te pava-logayam cira-rayam asuriyam disam (9). [On retiendra la note de SCHÚBRING, Worte 136 n.5: "metrisch ist nur asuriyam disam, wie Chat". - Cu est citée dans JAS 27 n.20: asuriyam: na tattha surovidyate. Mais T glose: asuranam iyam asuri, tam disam yanti (T 49). Comparer les hésitations dans l'Isopanisad, infra VI. - Au reste, selon la cosmologie jaina, les Asura sont réputés violents, et habitants des enfers supérieurs; les enfers les plus bas sont appelés tamas et tamas-tamas: on peut donc penser que Súy invite à surimposer les deux sens); "ils sont plongés dans les affaires, sont agressifs, brutaux à l'extrême: ceux-là vont au monde des méchants pour un long temps - à la région ténébreuse(/des Asura) ("who work the perdition of their souls", SBE 259; "eine Gewalttat gegen sich selbst", Worte 136; (cf. T supra). Mais BOLLEE: aggressiv", BSS 74). Sur (samlárambha, cf. Dasav IV (supra n. 18); et infra n. 35. Page #13 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Ardhamagadhi aya-danda deux détails significatifs: 1) ayadanda se loge, comme on vient de voir, entre précisément deux expressions de la violence, lesquelles sont énoncées avec insistance dans chacun des deux premiers päda; 2) il est, en outre, précisé que celle-ci s'exerce hic et nunc (iha). Il est donc peu probable qu'ayadanda interrompe l'énoncé, qui paraît sémantiquement unitaire, de a-b: c'est dans la suite du vaitāliya (en c-d) que sont indiquées les conséquences funestes des brutalités signalées dans les päda a-b". Une structure identique modèle 2.6.23 (-809)", dont le deuxième hémistiche (c-d) avertit les méchants des tourments qu'ils se préparent pour l'au-delà. En revanche, le premier s'en tient à la description des cruautés présentes, définies par la violation des cinq grands voeux: du premier, qu'on enfreint étourdiment du fait même de presque toutes les activités humaines (arambhaya, supra), au dernier, qu'on transgresse parce qu'on veut accaparer et posséder (pariggaha)". Meurtrier, (menteur, voleur, licencieux), avide, tel, en somme est dépeint l'individu dit ayadanda. 33. Les commentaires ne tiennent pas compte des détails relevés ci-dessus. Pourtant, il est probable que ayadanda est, en fait, glosé par l'adjectif qui le suit, eganta-lasaga. 34. rambhayam c'eva pariggaham ca aviussiya nissiya ayadanda tesim ca se udae jam vayasi....., "n'ayant renoncé ni aux affaires ni aux acquisitions, ils y restent cramponnés, ont un comportement agressif; pour eux, l'issue que tu indiques .... 35. Sur l'association (samlarambha-pariggaha pour résumer l'ensemble des actes de violence et des infractions aux grands voeux, voir J. Deleu's Felicitation Volume (sous presse). Page #14 -------------------------------------------------------------------------- ________________ COLETTE CAILLAT En fait, même s'il est généralement vrai que la transgression d'un voeu risque d'entraîner celle de tous les autres, c'est surtout contre le premier mahavvaya (proscrivant les violences) que pêchent les ayadanda. L'adjectif, en effet, se trouve associé à la racine HIMS en deux passages. Sūy 1.7.9 (+389) présente d'abord "celui qui anéantit les semences", "qui (ajoute b) ne sait pas se maîtriser", qui est ayadanda; les pāda c-d enchaînent: "il viole la (vraie) Loi, celui qui abîme les graines, etc., pour son plaisir"36. Rien n'est précisé, dans ce début de stance, sur les conséquences ultérieures du méfait; seules sont relevées, on ne peut plus clairement, les atteintes portées à la vie végétale. Sūy 2.6.25 (-811) n'est pas moins net que 1.7.99. Il n'y est fait aucune référence au châtiment dont seront ultérieurement punies les violences. La stance n'envisage que le présent: elle s'insurge 36. vinasayante bryai assamjaya ayadande ahahu: se loe anajja-dhamme biydi je himsai aya-säe, ... anéantissant les semences, etc., il ne sait pas se contrôler, il est agressif; or di(sen)t-Il(s): ces gens suivent une loi de barbares, qui endommagent les semences, pour leur satisfaction personnelle (aya-saya). te retiens biyai, suivant Cu (citée JAS 70 n. 1 et 4): 'bijaditi' bijankuradi. T préfère bijani ca} (2 careless man does' harm to his own soul", SBE 293; (cf. T 105, supra, n. 26). 37. ahimsayam savva-payánukampi dhamme thiyam .... tam dyadandehi samayaranta! "s'ils mettent sur le même plan les brutes et l'(homme) inoffensif, compatissant vis-à-vis de toutes les créatures, ancré dans la (vraie) Loi ..."; ("those wicked men", SBE 414). Page #15 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Ardhamagadhi aya-danda 31 contre la comparaison éventuellement établie entre les ayadanda et le juste, inoffensif (ahimsaya), plein de compassion envers toutes les créatures (savva-payanukampi), ferme dans la (vraie) Loi (dhamme thiya). Le contraste est clair: ce sont bien deux comportements, non pas deux destinées, que l'on oppose. Enfin Súy 1.7.2 (-382) est fait d'une juxtaposition de formules, assez lâchement reliées entre elles, chaque pāda gardant une relative autonomie. Il est donc prudent de préférer pour chacun le sens le plus obvie, en dépit de T (supra), suivie par Jacobi”. Le texte canonique porte: eyai kāyāi paveiyal; eesu jäna padileha sāyam; eehi käehi ya ayadande; eesu ya vippariyas' uventi. Les deux premiers pāda constatent et recommandent simplement: "voilà les masses (d'êtres) qui ont été enseignées; en ce qui les concerne, sache, vérifie leur(s) goût(s)"; le dernier pada ajoute que les êtres, à la mort, "se transforment (indéfiniment) en ces (masses d'êtres)**1. Mais comment interpréter le päda (c) ? T voit dans l'oblique en ehim un instrumental, ce qui amène à comprendre: "du fait de ces masses d’êtres (qu'on endommage 38. Pour les päda (b) et surtout (d), voir les concordances rassemblées dans Acår i Gloss., s.v.' "vippariyasa et saya (s.v. svad). 39. "By (hurting) these beings (men) do harm to their own souls", SBE 292 [cł. T supra III). 40. BSS 75 n. 13 cite (à l'instr. sg.: eena käyena (cf. LSJA 103; Sutt 120); mais T (suivie par JACOBI) porte ebhih käyaih...[supra III et n. 26) de même JVBh. 41. Cf. JVBh: 'puno-puno vippariyās’uveti'. Voir cy, citée JAS 68 n. 7: etesv eva punab punah vippariyas' uveti [sic]. Page #16 -------------------------------------------------------------------------- ________________ COLETTE CAILLAT inévitablement), l'atman (ou jīva du fautif) est frappé", autrement dit "du fait des dommages (inévitablement infligés) à ces masses d'êtres, on se frappe (se châtie) soi-même (par contre-coup)". Dans cette hypothèse, on peut être tenté de lier étroitement les deux pada (c-d), et de faire de (d) un prolongement explicatif de (). La Cu, cependant, retient le locatif, eesu käesu tu atadande?; chacun des päda reste alors pleinement autonome, comme il l'était, apparemment, lorsqu'ont été assemblés les éléments de la stance". On comprend alors: "vis-à-vis de ces êtres, on est violent". Pas plus dans cette strophe que dans celles qui ont été passées en revue précédemment ayadanda n'est chargé de valeur réfléchie". 42. Citée ib. n. 5. On notera la dentale intervocalique, atareflétant un authentique phonème du haut m.i. (et renvoyant à sk. atta-) ? - ou simple convention orthographique (ta-śruti) ? [De même ata- JAS 178 (-1.3.1.14), supra n. 30). 43. Noter le contraste entre le sg. ayadande (en c), et le pl. uventi (en d). 44. Comparer Süy 1.15.3 (-609), mettim bhuchi kappae,"is kind towards his fellow-creatures" (ACOBI). Sur le loc. pl. dit "oriental" en -hi, LÜDERS (-WALDSCHMIDT). Beobachtungen über die Sprache des buddhistischen Urkanons, Berlin 1954, SS 220-225. 45. La leçon de JAS 827 (b) (-2.6.41) est fautive. On ne lira pas pananam ihâyadandam, mais, avec les autres éditions: Savvesi pañana nihaya dandam [T: 'nidhaya parityajya), cf. SBE 416: pada dont existe la contrepartie bouddhique, Dhp 142c, Sn 35a, etc.). La valeur de dyadanda paraît comparable à celle de la locution verbale (1-sattham samara(m)bhai, "prendre une arme contre, agresser (tel être vivant)", expression qui revient plusieurs fois dans Ayar (cf. la première leçon d'Āyar 1.1, intitulée Sartha-parinna, "connaissance-et-abandon [parinna] des armes", c'est-à-dire de toute action qui leserait des êtres vivants (sur ce Page #17 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Ardhamagadhi aya-danda Ainsi, la lecture attentive des stances du Sūy ne permet guère de doute: dans tous les passages où apparaît ayadanda, le contexte immédiat montre qu'il est employé comme synonyme de (-)lūsaga, vināsayanta, (-)himsaya: dans le texte du Súy, l'adjectif, qui est déjà archaïque, vaut "agressif, violent, destructeur"; les violences sont en quelque sorte, brutes de toute réflexion, s'attaquent à autrui, et s'expliquent par l'ignorance et l'étourderie de leurs auteurs. En dépit, donc, des anciens commentateurs, cet Zyadanda paraît continuer non pas sk. atma-danda, mais bien un bahuvrīhi atta-danda, dont le premier membre est l'a.v. du verbe a-DĂ. En v.i.a., la langue épique emploie atta-Sastra attayudha, que signale BSS (76). A ces deux bahuvrihi on ajoutera, précisément, åtta-danda, que les bardes de sa cour appliquent au roi Dusyanta dans Sakuntala". Le qualificatif, glosé grhita-danda, "qui a saisi le danda, porte-sceptre", est ici clairement l'insigne et du pouvoir royal et du châtiment: a-t-il été recharge de sens par Kalidasa? texte, B. BHATT, loc. cit., supra, n. 22). 46. PW III 571, s.v. DA (a-DA), renvoyant à l'éd. BÖHTLINGK strophe 105 - SCHARPE, acte 5, str. 7): niyamayasi vimärga-prasthitän attadandah. Page #18 -------------------------------------------------------------------------- ________________ 34 COLETTE CAILLAT Toujours est-il que c'est dans les langues du bouddhisme qu'il se trouve employé avec des nuances exactement comparables à celles qu'on vient de constater en amg. Une strophe pa., probablement assez ancienne, définit le "brahmane" authentique. Les deux premiers pada décrivent ce juste à l'aide de deux couples d'adjectifs (privatifs/positifs) qui se répondent en chiasme; ils louent (en a): "celui (qui est) sans hostilité (même) au milieu de gens hostiles", aviruddham viruddhesu, puis, (en b), celui qui, au milieu des attadanda, reste "tranquille, paisible, pacifique" (nibbuta): attadandesu nibbutam. A l'évidence, le premier mot de (a) correspond au dernier de (b), nibbuta; lequel contraste avec attadanda qui le précède, et qui, lui-même, apparaît comme le proche synonyme de son antécédent immédiat, viruddha. En somme, le premier pāda fournit par anticipation l'interprétation du second, qui, dès lors, ne fera pas de doute. Spk glose simplement atta-danda par para-vihethan'attham gahita-danda ("qui s'est saisi d'un gourdin pour molester autrui"), et, d'autre part, nibbuta par vissartha-danda ("qui a jeté son gourdin")48. Dans sa traduction du Dhp, Radhakrishnan rend l'image: "Him I 47. Sn 630 Dhp 406 (cf. SI 236.21"): aviruddham viruddhesu attadandesu nibbutam tam aham brumi brahmanam. ********************* - 48. Spk I 354.4-5 (cf. Ps III 438.17 [ad M ch. 98 - Väsettha-sutta]). Sn, Page #19 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Ardhamagadhi aya-danda call a Brahmin who is peaceful among those with uplifted staves"49. Les autres interprètes, jugeant sans doute que le pittoresque étymologique fausse quelque peu le sens, préfèrent écrire simplement: "at rest among those who have embraced violence" (K.R. Norman), ou "who is peaceful among the violent" (I.B. Horner-W. Rahula), ou encore "him cool mid violence" (E.M. Hare)50. Quelque traduction que l'on adopte en définitive, le sens général n'est nulle part en litige: le contexte aura gardé pa. attadanda de toute dérive sémantique. 35 Des siècles plus tard, la contrepartie sanskrite de Dhp 406, dans l'Udanavarga, modifie légèrement la syntaxe et la teneur du troisième päda; mais non le vocabulaire des deux premiers. En (b), nirvrtaḥ est opposé sans la moindre ambiguïté à attadandesu. Que la tradition se soit, chez les bouddhistes, transmise sans faille, c'est ce dont paraît témoigner la version en m.i. gandhari: avirudhu virudheşu ata-danesu nivudu 52 Dans cette langue, un vocable transcrit ata- est normalement prononcé [atta-], et continue sk. atta-; alors que le sk. atma(-) 49. Cf. The Dhammapada with RADHAKRISHNAN. English translation by S. 50. Cf. The group of discourses... translated by K.R. NORMAN. With alternative translations by I.B. HORNER and W. RAHULA, PTS Trsl. 44; Woven cadences of early Buddhists, SBB 15. 51. Ed. F. BERNHARD, Göttingen 1965, 33.39: to attadandesu nirvrtaḥ bravimi brahmanam hi tam. aviruddho viruddhesu 52. Gāndhäri Dhp 29. Page #20 -------------------------------------------------------------------------- ________________ COLETTE CAILLAT est devenu atval-159. Cependant, les ctt pa. semblent avoir, à l'occasion, envisagé la filiation pa. atta- : sk. atmas, comme le prouve une glose du Sn (935). Le Sn commence le sutta appelé Attadanda (935-954) précisément par l'adjectif attadanda, substantivé, à l'ablatif: attadanda bhayam jātam: janam passatha medhakam, "Du fait de l'agresseur (ou: de l'agression) naît l'insécurité: voyez les populations qui se disputent-St. Ici encore se répondent le premier mot du påda (a), et le dernier du päda (b): attadanda ... medhakam, celui-ci étant glose himsakam, bädhakam (Pj II 566.12). Dans le texte canonique, donc, attadanda vaut indubitablement "agressif, violent". Il n'empêche que Pj explique ce terme par attano duccarita-käranā, "en raison de son propre méfait". Si les ctt pa., à l'instar de leurs homologues jaina, sont tentés de voir dans le premier membre atta- une possible contrepartie de sk. atma- c'est évidemment en vertu d'une réinterprétation tardive, comme on peut s'en convaincre par la lecture intégrale du sutta. On observera que l'Attadanda développe des réflexions apparentées à celles que professe le Súy jaina (supra IV). Le Sn recommande, en 53. Cf. John BROUGH, The Gandhari Dharmapada, London 1962, Intr. $53; index s.v. 54. "Lo! see the folk at strife, How violence breeds fear!" (HARE); "Fear comes from the one who has) embraced (violence] / [from bad conduct]" (NORMAN / HORNER-RAHULA). Page #21 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Ardhamagadhi aya-danda vue d'échapper aux dangers et à la peur, de respecter la vérité (sacca), d'éviter toutes les causes de mensonge (941), de se méfier des possessions (945 ss.), d'être sans attache (a-nissita, 947), de connaître le dhamma (ñatva dhammam). Le sutta conclut: virato so viyarambha khemam passati sabbadhi, "ayant renoncé à se démener inconsidérément, il voit la paix universellement" (953). Exactement comme la première stance, l'argumentation de l'ensemble du sutta invite bien à voir dans żyadanda un vocable qui exprime l'agressivité objective. Il reste que le premier membre du composé pa., atta- (de même qu'en amg. aya-) n'a plus que des liens obscurs avec le verbe a-DA dont il dérive étymologiquement. On sait qu'en pa. cet a.v. a été supplanté par a-dinna - qui le supplée, effectivement, dans le nouveau bahuvrihi adinna-danda (mfn). CPD en cite trois exemples, relevés dans le Vin, le Dhp-a, ainsi que dans une stance des Ja (II 233.1* -2*). Dans ce dernier passage, cependant, la structure du sloka, aussi bien que le contexte général, dénoncent l'absurdité du texte ainsi constitué (ghara nadinnadandassa, leçon qui, pratiquement, interdirait à l'homme entreprenant la vie de maître de maison !), et invitent, au contraire, à reconnaître (par delà les traditions manuscrites) un plus ancien: gharà nânattadandassa, "(vivre dans les maisons la bourgeoise), ce n'est pas (ce qu'il faut) pour le non-violent -55 55. Voir la NOTE sur Ja II 233.2*(c), infra. Page #22 -------------------------------------------------------------------------- ________________ COLETTE CAILLAT La lecture ici proposée rend sa cohérence à la stanice, dont le texte traditionnel a visiblement fort embarrassé les exégètes. Strictement parallèle aux deux pāda initiaux du śloka, et glosée par le pada final de la stance, cette phrase, elle aussi, souligne que la vie laïque est inévitablement agressive, donc totalement incompatible avec la pratique réelle des vertus bouddhiques, dont la compassion ou la bonté. VI des de tous les s. Ainsi, que l'on considère les emplois et les champs sémantiques anciens ou les évolutions ultérieures, les concordances entre pa. atta-danda et amg. aya-danda sont manifestes. Au reste, dans les diverses communautés indiennes, les exégètes s'efforcent généralement de tirer profit de tous les sens dont les mots sont prégnants. Dans des idéologies qui enseignent inlassablement l'inexorable rétribution des actes, ils devaient naturellement exploiter l'ambiguïté étymologique des bahuvrihi pa. et amg.: on est passé sans peine d'une valeur objective et générale, qui a un bâton, une arme (danda) brandi(e) (ätta)", "agressif", à des sens plus étroits, idéologiquement marqués, "qui a une arme /un châtiment (danda) à l'encontre des atman", c'est-à-dire des monades spirituelles; ou plutôt: "qui a (levé) l'arme contre son propre) atman, contre soi-même". Le transfert exorabi. Dans 56. Cf. DHADPHALE, op. cit.; Nalini BALBIR, "Le discours étymologique dans l'hétérodoxie indienne", dans Discours érymologiques. Edités par J.P. Chambon et G. Lüdi. Tübingen, 1991, 121-134. Page #23 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Ardhamagadhi aya-danda était d'autant plus aisé en amg. que l'a.v. du verbe a-DĀ, aya (sk. atta) y était pratiquement inconnu, alors que aya, héritier du sk. atma- n'y est pas rare, surtout en début de composé. L'enseignement ne pouvait qu'y gagner: les maîtres avaient désormais toute latitude pour piquer la curiosité de leurs auditeurs, en développant un paradoxe riche de sens métaphysique: les crimes, les méfaits, font certes souffrir autrui: bien davantage, ils nuisent spirituellement à leur auteur. Peut-être faut-il également compter, dans la compilation de certains passages et leur interprétation ultérieure, avec le souvenir latent de formules anciennes, et avec des reminiscences védiques Par exemple, on se rappelle Süy 1.2.3.9, soulignant que les individus agressifs et violents iront aux mondes sans soleil/des Asura, je iha........... .................yadandah ganta te pava-logayam cira-rayam asuriyam disam (supra). Plusieurs des expressions ici employées, et jusqu'à certaines ambiguïtés, renvoient comme un écho de l'Isopanişad 3: asurya náma té loká andhena támasávytāḥ tám té prétyäbhigacchanti pé ké câtmaháno jánā), "démoniaques', ainsi appelle-t-on ces mondes; ils sont couverts de ténèbres aveugles. C'est dans ces (mondes) que vont, après leur 57. Cf. supra n. 12; 36. 58. Sur d'éventuelles réminiscences védiques, Lehre S 37. Page #24 -------------------------------------------------------------------------- ________________ 40 COLETTE CAILLAT trépas, ceux-là qui sont meurtriers d'âme "59 On imaginerait aisément qu'un tel avertissement ou des assertions semblables, qui paraissent avoir suggéré aux vedäntin des interprétations diverses, aient pu laisser quelque empreinte au-delà des cercles brahmaniques, aient alimenté à l'occasion les spéculations jaina, aient, d'ailleurs, généralement légué des images et des formules percutantes, qui auront été réutilisées ou remaniées pour servir à l'expression de doctrines rivales. 59. Traduction suivant P. THIEME, JAOS 85 (1965) 92 sq. (Kleine Schriften 231), q.v., pour les différentes interprétations auxquelles cette stance a donné lieu, et pour l'explication d'ensemble des stances 1 à 3 de cette Upanisad. Le syntagme verbal correspondant au composé atma-hán se rencontre Mbh VII 131.58: ...rosânvito jantur hanyad ätmanam apy uta "envahi par la fureur, la créature peut tuer jusqu'à Soi". Sur les ambiguïtés et les diverses interprétations proposées, pour ätmahano janah (comparables à celles qui affectent amg. ayadanda), cf., récemment, Arvind SHARMA and Katherine K. YOUNG, JAOS 110 (1990), 595-602. Page #25 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Ardhamagadhi aya-danda NOTE sur Ja II 233.2* (c) ghara nadinnadanıdassa 41 La forme nädinnadandassa n'a guère trouvé d'analyse satisfaisante. A la lumière des explications qui viennent d'être proposées pour les bahuvrihi pa. atta-danda, adinna-danda, il semble utile de reprendre la lecture du Jātaka 235, où le syntagme ghara nadinnadandassa est employé. Le Vacchanakhajataka (II 231-233) oppose, dans deux stances antithétiques, 1) le bonheur d'une plantureuse vie de château et 2) les réfrènements que pratique, du fait même de ses convictions et prises de voeux, l'ascète itinérant (isi-pabbajjam pabbajitvi, 232.3). Comme il souhaite partager avec son ami Vacchanakha les plaisirs de son opulence, le roi Brahmadatta lui fait remarquer que "la vie de religieux errant est misérable, (tandis qu'il est) agréable (d'avoir) une résidence fixe", pabbajjā nāma dukkha, sukho ghardvaro (232.14-15). Le roi énonce donc la première stance: sukha ghara Vacchanakha sa-hiraññā sa-bhojanā, yattha bhuva ca pirvi ca yeyyitha anussuko ti (17-18), "c'est le bonheur que (de vivre dans) des demeures, V., pleines de trésors et de vivres où tu mangeras et tu boiras, et puis t'en iras te coucher tranquillement". Page #26 -------------------------------------------------------------------------- ________________ COLETTE CAILLAT A quoi Vacchanakha répond qu'il va renverser cette proposition et faire connaître à son ami les vices qui entachent la vie des laïcs (gharavāsassa te agunan kathessāmi, 26). 11 indique donc comment l'existence du maître de maison et l'idéal auquel tend le religieux maître de soi sont antinomiques. Et il énonce la seconde stance (dont sont clairs les deux premiers et le dernier päda), ghară nânihamanassa, ghara nabhanato musa gharā nadinnadandassa paresam anikubbato [Ee Ce Se Nel "non, (des vies en) des maisons à la bourgeoise) ne conviennent) pas pour celui qui ne nourrit pas de désir, non, elles ne (conviennent) pas pour qui ne profere pas de mensonge, non, elles ne (conviennent) pas /.../ - pour qui n'offense pas autrui". Ce même sloka est inséré après S I 15.18 par une tradition thaïe (qui écrit anikrubbato), citée par O. v. Hinüber, "Pāli manuscripts from Northern Thailand - a preliminary report", Journal of the Siam Society 71 (1983) 75-88. O. v. Hinüber note au passage que la traduction en est incertaine, propose de lire (en s'inspirant des v.l. auxquelles la glose littérale du troisième pāda donne lieu): na adinnadandassa, et de comprendre: "There are no houses for one who does not exert himself, ..., there are no houses for one who does not punish" (81). Toutefois, dans le présent contexte (supra), cette interprétation n'est guère satisfaisante, d'autant qu'il semble inévitable d'analyser n(a) adinnadandassa, l'existence dudit bahuvrihi étant assurée d'ailleurs. La leçon nâdinnadandassa est ancienne, puisqu'elle est citée (il est vrai avec des hésitations et quelque gaucherie) dans la glose littérale (v.l. Ee 233 n. 8): ... amusa bhanato pi ghara nama que la com passage glase litté propose de lire na adinnales la Page #27 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Ardhamagadhi aya-danda n'atthi, ghara nadinnadandassa paresam anikubbato' ti naadinnadandassapi - agahitadandassa - nikkhittadandassa, paresam anikubbato ghara nama n'atthi (7°-9"), "les (vies de maîtres de) maisons ne sont pas faites non plus pour celui qui est non-adinnadanda, (c.-à-d.) qui ne brandit pas de gourdin, qui a déposé son gourdin - qui ne s'attaque pas aux autres". Au contraire, elles conviennnent pour celui qui rend coup pour coup: yo pana adinnadando butvā paresam ... tasmim tasmim aparadhe aparādhanurupam vadha-...-vasena karoti, tass eva gharavāso samthahatiti attho (9-11). Le strict parallélisme qui unit les trois premiers pada suggère que leurs trois génitifs ont même statut, et que tous trois ont chance d'être pareillement, et clairement, privatifs. L'asymétrie qui surgit avec (d) n'en est que plus frappante: elle conduit le ct littéral à voir dans ce dernier pāda une sorte de redondance - en somme une glose de (c), selon un procédé rencontré en plusieurs passages pa. et amg. (supra). C'est bien un vocable qui signifie 'non agressif" qu'on est en droit de présumer en (c), bref le privatif de adinnadanda. Dès lors, on pourrait supputer une haplologie et admettre une leçon gharà nânladinnadandassa. Il semble néanmoins plus économique, compte tenu des antécédents linguistiques de adinna-danda, de rétablir le doublet ancien, et de retrouver, par delà la tradition manuscrite: gharà nânattadandassa, "les (vies de) maisons la bourgeoise), ce n'est pas ce qui 60. Sur les haplologies, Wackernagel, Altindische Grammatik, I 278 et suivantes. Page #28 -------------------------------------------------------------------------- ________________ 44 COLETTE CAILLAT convient) pour qui refuse d'être agressif": leçon qui s'insère parfaitement dans le contexte, - texte satisfaisant et pour le sens et pour le mètre, exemple de ce "pali d'intérêt linguistique" auquel Helmer Smith invitait à prêter attention. * ABREVIATIONS: Langues: amg. - ardhamāgadhi; BHS - "sanskrit bouddhique hybride"; gdh. - gandhåri; jm. - māhārāştri jaina; m.i. - moyen indo-aryen pa. - päli; pk. - prakrit; sk. - sanskrit; v.i.a. = vieil indo-aryen. Textes, etc.: pour les textes pa., mêmes abréviations que dans le CPD. - Acar - Acaranga-sútra. Erster Srutaskandha. Text, Analyse und Glossar von Walther Schubring, Leipzig 1910. - AIG - J. Wackernagel - A. Debrunner, Altindische Grammatik. - AŚK - Ācārya Tulasi - Yuvācārya Mahaprajña, Agama-Sabda-Koša, Ladnun 1980 (Jain Visva Bharati). - Ayar - Ayarangasutta. - BSS - W.B. Bollée, Studien zum Süyagada II, Wiesbaden 1988 (Schriftenreihe des Südasien-Instituts der Univ. Heidelberg, 24, 31). - CPD - A Critical Pali Dictionary. - ct(t) - commentaire(s). - Cu - cunni (cumni). - Dasav - Dasaveyaliya-sutta (ed. by E. Leumann, ZDMG 46 (1892), références aux chapitres. - GDhp - 'The Gandhari Dharmapada, ed. J. Brough, London 1962 (London Oriental Series, 7). - JAS - Jaina-Agama-Series, Bombay (Shri Mahavira Vidyalaya). - JVBh - Jain Visua Bharati, Ladnun . LSJA - Lala Sunderlal Jain Agamagranthamala Delhi (re-ed with app. etc., by Muni Jambūvijaya, of Ayar and Sūy (with Nijjutti and Ti of the text Originally ed. by Sägärānandasuri). - Lehre - Walther Schubring, Die Lehre der Jainas, Berlin-Leipzig 1935. - NOTE - NOTE sur Ja II 233 2*(c), supra. - Pi - R. Pischel, Grammatik der Prakrit-Sprachen (references aux SS. - SBE - Sacred Books of the East (Jaina Sūtras translated from Prakrit by Hermann Jacobi: 45, London 1895 : trad. du Suy); réimpr. Delhi 1964. - Sutt - Suttagame, éd. Pupphabhikkhū, Gurgaon 1953.- Súy - Süyagadanga-sutta, ed. Jambūvijaya, JAS 2.2, 1978 (1. références suivant la numérotation de Jacobi dans SBE; 2. indication de la numérotation continue de JAS; éventuellement leçons de JVBh, éd. Muni Nathmal, 1973, et de Sutt). - T - tika. - Kritische Vebersetzungen aus dem Kanon der Jaina, von Walther Schubring, Göttingen-Leipzig, 1926 (Quellen der Rel.-Gesch. 14-7) [Traduction allemande de Süy 1.1, 1.2, 1.3, 1.4, 1.12, 2.1, 2.7) Page #29 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Ardhamagadhi aya-danda 45 SUMMARY In his Studien zum Suyagada II (pp. 74-76), W.B. Bollee has called attention to the rare word zyadanda (which occurs 6 times in Suy, and nowhere else). Though the old commentaries usually consider it as continuing Sanskrit atma-danda, Bollee rightly points to the affinities between Ardhamagadhi aya-danda and Pali atta-danda ("with uplifted staves", "violent") in which the first part of the compound is the past participle of the verb a-DA (Sanskrit atta). It should be remembered that, in some Eastern variety of Prakrit, aya- could represent any Old Middle Indian form *atta (whether it continues Old Indo-aryan atman or atta). In the present paper the 6 Suy occurrences of ayadanda are scrutinised. From the context it appears clearly that only the meaning "aggressive" was intended in the canonical text, where the word is generally located in the vicinity of near synonyms (-lusaya, -himsaya). Similar patterns are found in the Buddhist tradition (Pali, Buddhist Sanskrit, Gandhari Prakrit). In Pali also, this rare word has sometimes been connected by the commentaries with atta from Sanskrit atman. Nevertheless, the link uniting Pa atta and the verb a-DA has not disappeared altogether, before the old compound atta-danda was completely obsolete, it was renovated, the ancient participle (atta) giving way to the Middle Indo-aryan adinna To sum up: there is no doubt that, already in the old Suyagada, Ardhamagadhi Zyadanda was an archaic term. The rendering atma-danda, usual though it is in the commentaries, is misleading. Of the two translations retained by H. Jacobi (Sacred Books of the East 45), "wicked" and "who work the perdition of their souls", only the first hits the mark: in Suy the word means "aggressive", "destructive". As for the second, which draws attention to the self-damaging consequences of all violence, it can be regarded as an obvious reminder of one of the fundamental tenets of Jainism, in the form of an exegetical gloss.