Book Title: William James Et Son Darwinisme Religieux
Author(s): Johannes Bronkhorst
Publisher: Johannes Bronkhorst

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Page 4
________________ 38 Johannes BRONKHORST l'aide de la religion qui pourra, il l'espère, avoir un jour un effet positif sur la société humaine. Vu ainsi, la science, y compris même le darwinisme social, a raison, mais la vie humaine a également une autre dimension, la religion, qui pourra peut-être remettre les choses en ordre.14 La préface au livre The Will to Believe, paru en 1897 montre que James a essayé d'utiliser la théorie de Darwin pour ses propres fins. James, je me permets de vous le rappeler, était à la recherche d'une religion qu'il pouvait accepter, en laquelle il pouvait croire. Il était, en bref, à la recherche de la meilleure religion. Or, le darwinisme social était à la recherche de la meilleure société, et croyait que le darwinisme l'aidait à la trouver: le struggle for life et le survi val of the fittest étaient les moyens pour y arriver. Dans le passage que nous allons lire, James propose que ces mêmes méthodes pourront assurer qu'on arrive à la meilleure des religions. Je vous le cite: ... you will say, Why such an ado about a matter concerning which, however we may theoretically differ, we all practically agree? In this age of toleration, no scientist will ever try actively to interfere with our religious faith, provided we enjoy it quietly with our friends and do not make a public nuisance of it in the marketplace. But it is just on this matter of the market-place that I think the utility of such essays as mine may turn. If religious hypotheses about the universe be in order at all, then the active faiths of individuals in them, freely expressing themselves in life, are the experimental tests by which they are verified, and the only means by which their truth of falsehood can be wrought out. The truest scientific hypothesis is that which, as we say, works best; and it can be no otherwise with religious hypotheses. Religious history proves that one hypothesis after another has worked ill, has crumbled at contact with a widening knowledge of the world, and has lapsed from the minds of men. Some articles of faith, however, have maintained themselves through every vicissitude, and possess even more vitality to-day than ever before: it is for the science of religions to tell us just which hypotheses these are. Meanwhile the freeest competition of the various faiths with one another, and their openest application to life by their several champions, are the most favorable conditions under which the survival of the fittest can proceed. They ought therefore not to lie hid each under its bushel, indulged-in quietly with friends. They ought to live in publicity, vying with each other; and it seems to me that (the régime of tolerance once granted, and a fair field shown) the scientist has nothing to fear for his own interests from the liveliest possible state of fermentation in the religious world of his time. Those faiths will best stand the test which adopt also his hypotheses, and make them integral elements of their own. He should welcome therefore every species of religious agitation and discussion, so long as he is willing to allow that some religious hypothesis may be true (James, 1897/1956, preface, pp. xi-xii, souligné par nous). 14 Le passage suivant (Varieties p. 478 n.) exprime peut-être, dans l'esprit de James, sa vengeance ultime contre la science: ... the rigorously impersonal view of science might one day appear as having been a temporarily useful eccentricity rather than the definitely triumphant position which the sectarian scientist at present so confidently announces it to be. DARWINISME RELIGIEUX Notez l'emploi des expressions survival of the fittest et species. Aucun lecteur avisé ne peut rater ces allusions au darwinisme. Le darwinisme n'est cette fois pourtant pas le darwinisme scientifique, ni même le darwinisme social, mais une nouvelle forme de cette dernière, à savoir, ce que j'appelle le darwinisme religieux. Darwinisme religieux et darwinisme social partagent la conviction que le mécanisme du survival of the fittest mène à quelque chose de bon, de meilleur que ce que nous avons déjà. Ils diffèrent quant au champ d'amélioration: la société dans un cas, la religion dans l'autre. Aujourd'hui, plus de cent ans après que William James ait écrit ces mots, nous aurons peut-être tendance à sourire en les lisant. A une époque où les différentes religions se confrontent par bombes et mitrailleuses interposées, à yne époque encore où la religion gagnante dans le bien-aimé pays de James, les États-Unis, menace d'interdire l'enseignement du darwinisme scientifique, la théorie même sur laquelle James se base pour justifier une libre compétition entre religions, à une telle époque nous sommes peu enclins à croire que le sur vival of the fittest dans le domaine des religions nous apportera du bien. L'agitation religieuse, encouragée par James, est parmi les choses dont nous aimerions nous débarrasser au plus vite. Il est certain que la situation envisagée par James en écrivant ce passage était tout autre que la réalité que nous vivons aujourd'hui. Dans l'ambiance feutrée de l'université de Harvard, en s'adressant à des clubs d'étudiants, de philosophes ou semblables, la compétition entre religions dont il parle est la discussion polie et cultivée entre intellectuels, chacun prêt à peser les arguments pour et contre les différentes croyances, y compris la sienne. On a à première vue quelque peine à croire que James ait pris son darwinisme religieux très au sérieux. Le parallélisme avec le darwinisme social, qu'il avait rejeté, est trop évident. Mais il y a pourtant une qualification à faire. James avait critiqué la survie comme valeur absolue, il n'avait pas, à ma connaissance, rejeté la notion selon laquelle la voie du darwinisme social était la meilleure ou même la seule voie vers un avenir meilleur. En fait, nous avons vu qu'il jugeait les socialistes et les anarchistes comme étant des rêveurs irréalistes. Je n'exclus donc pas que James ait été convaincu, malgré lui, de l'amélioration inévitable qui résulte des mécanismes de struggle for life et de survival of the fittest. N'oublions pas qu'à son époque les idées évolutionnistes ne se limitaient pas aux sciences biologiques et à la politique; les sciences humaines aussi - parmi elles l'anthropologie qui, avec la publication de Pri mitive Culture de Tylor en 1870 (édition américaine en 1874), s'était établie comme une science indépendante - les acceptaient comme base. On a même suggéré que James considérait le protestantisme libéral comme la culmination de l'évolution religieuse (Hollinger, 2004, p. 15). Dans cette ambiance, il n'est pas étonnant que James ait entretenu l'idée que les concepts de base du darwinisme scientifique pourraient jouer un rôle dans l'amélioration de la religion, et cette fois James n'avait aucune réserve vis-à-vis de la survie comme valeur absolue: pour lui la survie de la meilleure religion était une valeur qu'il acceptait.

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