Book Title: William James Et Son Darwinisme Religieux
Author(s): Johannes Bronkhorst
Publisher: Johannes Bronkhorst

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Page 3
________________ Johannes BRONKHORST pas s mal de gens, les soi-disant struggleforlifeurs, ont mélangé les deux, et pensé que leur position politique était justifiée par la théorie scientifique liée au nom de Darwin." 36 On comprend bien la confusion. La fin du XIXe siècle était l'époque du colonialisme triomphant, du capitalisme sauvage à son comble. Tout le monde croyait savoir que la seule voie vers un avenir meilleur passait par un struggle for life impitoyable, résultant en un survival of the fittest, les plus adaptés, les fittest, étant les colonialistes anglais, les capitalistes américains, et leurs semblables. John D. Rockefeller, le magnat du pétrole qui avait pris possession de 90% du marché par des méthodes peu aimables, l'exprimait en disant, The growth of a large business is merely a survival of the fittest, the working out of a law of nature and a law of God. (Townsend, 1996, p. 20). James ne partageait pas cette position, et n'aimait pas ceux qui l'acceptaient. Quoique lui-même fût l'héritier d'une fortune accumulée par son grand-père, il n'avait pas la moindre sympathie pour leurs idées politiques et sociales (Townsend, 1996, p. 20). De John D. Rockefeller, l'incarnation même du darwinisme social, il caractérisait les méthodes pratiques comme «abominables> dans une lettre à un ami (Myers, 1986, p. 423). James voyait également que le darwinisme scientifique ne justifie d'aucune façon cette position politique. Dans un compte rendu du livre Data of Ethics d'Herbert Spencer paru dans The Nation, il l'exprime de la manière suivante: The good of survival, from the moment the instinct of self-preservation is reflected on (as it is by the evolutionists), lapses thus from an objective uncriticized good into a fact relative to subjectivity. The deepest truth ceases to be, we must survive, but becomes: we feel that we must survive. If we don't feel so, nothing can coerce us to, except a further ethical proposition: «to feel so is itself good. This is the proposition the evolutionary ethicist ought to prove, but doesn't prove. The natural way of proving it would be to show that what survives has an intrinsic worth, and ideal perfection which makes its survival good. But for evolutionism all worth means mere furtherance of survival... whatever survives has all its qualities ipso facto made good (cité par Perry, 1935, I, p. 487). Ce passage, publié en 1880, montre clairement que pour James la survie n'était pas une valeur absolue. Pour qu'elle devienne une valeur, selon lui, il fallait que quelqu'un la ressente comme telle, ou qu'il prouve qu'on devrait la ressentir ainsi. Autrement dit, le survival of the fittest ne représente pas pour James un idéal à poursuivre, ni une valeur morale, mais au mieux une description de ce qui s'est produit dans le passé de notre espèce et celui des autres. Et pourtant, l'époque de James, y compris lui-même, ne pouvait pas s'empêcher de voir les développements qui avaient lieu - parmi eux le colonialisme occidental et le capitalisme sauvage - comme des étapes incontournables vers un avenir meilleur. Justifié par le darwinisme ou non, il s'agissait là de processus Menand (2001, pp. 142 sqq.) commente l'attrait du darwinisme social pour l'Amérique pendant la période suivant la guerre civile, comme justification morale de cette dernière. DARWINISME RELIGIEUX que seul un idiot pouvait rejeter. James savait également que la théorie de l'évo lution, pour la plupart des gens, était presque un synonyme de la croyance au progrès qui était presque universellement répandue à son époque. C'est donc l'expression théorie de l'évolution» qu'il utilise dans ses Varieties, pour désigner, non pas la théorie de Darwin mais plutôt la croyance au progrès qui se substituait dans l'esprit de beaucoup à la religion traditionnelle: 37 ... in that theory of evolution which, gathering momentum for a century, has within the past twenty-five years swept so rapidly over Europe and America, we see the ground laid for a new sort of religion of Nature, which has entirely displaced Christianity from the thought of a large part of our generation. The idea of a universal evolution lends itself to a doctrine of general meliorism and progress which fits the religious needs of the healthy-minded so well that it seems almost as if it might have been created for their use (James, 1902/1979, p. 104). On peut bien imaginer que cette identification de la croyance au progrès avec la théorie de l'évolution, cette invocation de la théorie darwinienne pour justifier des pratiques immorales et souvent répulsives, ont beaucoup gêné James. Il en était sans doute d'autant plus gêné qu'il n'avait pas de solution politique meilleure, plus acceptable. Pour illustrer cela, je vous propose de lire un passage des Varieties qui s'exprime au sujet des vertus saintes». Ces vertus font contrepoids à l'attitude réaliste, scientifique, c'est-à-dire au monde du darwinisme social. On y lit (James, 1902/1979, pp. 346 sqq): ...in spite of the Gospel, in spite of Quakerism, in spite of Tolstoy, you believe in fighting fire with fire, in shooting down usurpers, locking up thieves, and freezing out vagabonds and swindlers. And yet you are sure, as I am sure, that were the world confined to these hardheaded, hard-hearted, and hard-fisted methods exclusively, were there no one prompt to help a brother first, and find out afterwards whether he were worthy; no one willing to drown his private wrongs in pity fo the wronger's person; no one ready to be duped many a time rather than live on suspicion; no one glad to treat individuals passionately and impulsively rather than by general rules of prudence; the world would be an infinitely worse place than it is now to live in. James était bien entendu en faveur de ces vertus saintes, mais il les caracté rise en même temps comme irréalistes. Il le fait encore plus clairement dans le passage suivant: ... the Utopian dreams of social justice in which many contemporary socialists and anarchists indulge are, in spite of their impracticability and non-adaptation to present environmental conditions, analogous to the saint's belief in an existent king dom of heaven. They help to break the edge of the general reign of hardness and are slow leavens of a better order (James, 1902/1979, p. 350). On le voit bien, James n'était ni socialiste ni anarchiste. Leurs rêves de justice sociale, il nous le dit, sont irréalistes et non adaptés. Il ne réfute pas cette constatation, mais il ressent pourtant un malaise qu'il cherche à résoudre à

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