Book Title: William James Et Son Darwinisme Religieux
Author(s): Johannes Bronkhorst
Publisher: Johannes Bronkhorst
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Page #1 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Archives de Psychologie, 2006, 72, 33-48 WILLIAM JAMES ET SON DARWINISME RELIGIEUX Johannes Bronkhorst Université de Lausanne William James était déjà un homme célèbre quand, en 1901 et 1902, il prononça à Edimbourg les conférences - les Gifford Lectures on Natural Religion - qui furent ensuite publiées sous le titre anglais The Varieties of Religious Expe. rience (1902; ouvrage traduit en français sous le titre L'Expérience religieuse: Essai de psychologie descriptive, 1906). Son renom était lié, premièrement, à son grand oeuvre, The Principles of Psychology, paru en 1890 après douze ans de préparation. Un siècle plus tard, pratiquement personne ne lit plus les Principles; les Varie ties, d'autre part, restent un classique qui est réimprimé régulièrement.' Le contraste entre ces deux livres n'est pas seulement une question de popularité récente; il concerne également leurs contenus. Les Varieties, inutile de le rappeler ici, est un texte fondamental pour la psychologie des religions. Les Principles, en revanche, et cela en dépit de leur taille impressionnante (environ 1'400 pages), ne mentionnent même pas le terme «religion, dans leur index détaillé. Pourtant, les Varieties ont pour sous-titre A study in human nature. Autrement dit, les sujets des deux livres ne sont pas totalement étrangers l'un à l'autre. S'il y a eu changement entre les deux ouvrages, c'était un changement de perspective de la part de leur auteur.' Il est bien connu que les intérêts scientifiques de William James ont subi des changements importants au milieu de sa vie, changements qui se sont Plus correctement, peut-être, most experimental psychologists do not read James after 1890, if they read him at all, while theologians, ministers, and psychologists of religion tend to ignore him before Varieties of Religious Experience (Taylor, 1996, p. 7). C'est le nombre approximatif dans la réimpression Dover. Mais déjà l'édition originale en avait autant, comme en témoigne une remarque de James dans la préface: The man must indeed be sanguine who, in this crowded age, can hope to have many readers for fourteen hundred continuous pages from his pen. Cf. Taylor, 1996, p. xi-xil ... William James is typically thought to have abandoned pay. chology after publication of his Principles of Prychology in 1890. The present text suggests, instead, that all of James's work after 1890 was, in fact, informed by his interest in peychel oxy, but that his attention was directed toward studying the rise and fall of the threshold of consciousness and other phenomena related to abnormal and personality psychology rather than toward the kind of sterile academic laboratory psychology that was becoming increasingly dominant in the United States at the time of herseas related stocking Page #2 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Johannes BRONKHORST DARWINISME RELIGIEUX manifestés après la parution de ses Principles. D'autres, plus compétents que moi, ont étudié et documenté ces changements, et il serait hardi de ma part de vouloir ajouter quoi que ce soit aux études approfondies qui existent sur ce sujet. J'ai pourtant l'impression qu'il est possible de tracer ces changements, et peut-être de mieux les comprendre, si on prend en considération les positions que James prenait par rapport au darwinisme, mouvement alors nouveau. Je dis, les positions, au pluriel, parce qu'il existait déjà à son époque, plusieurs formes de darwinisme. Rétrospectivement, on peut en distinguer au moins deux, à savoir, le darwinisme scientifique et le darwinisme social. Nous savons que les deux, quoique souvent confondus dans la pratique, se doivent d'être séparés rigoureusement. Le premier point sur lequel j'aimerais attirer l'attention est le fait que William James a ajouté à ces deux darwinismes un troisième, que je propose d'appeler darwinisme religieux. Le darwinisme original - c'est-à-dire, la théorie qui trouve son expression classique dans The Origin of Species de Charles Darwin - était une théorie scientifique, ce que j'appelle le darwinisme scientifique. On sait que la publication de l'Origin en 1859 a eu un effet explosif et immédiat sur la pensée de l'époque. Personne, William James pas plus que les autres, ne pouvait rester indifférent face à cette révolution. James connaissait bien les idées de Darwin. En fait, il était étudiant à Harvard durant les années 1860, juste après la parution de l'Origin. Or, la réception des idées de Darwin occupait les esprits des professeurs de James. Parmi eux, il y avait le célèbre Louis Agassiz, d'origine suisse, devenu l'opposant le plus important des idées de Darwin aux Etats-Unis. Un autre professeur pendant ces années formatrices de James était Jeffries Wyman, qui se laissait convaincre par ces idées', non sans difficultés il est vrai. La sympathie de James était carrément du côté de Wyman, et donc des idées de Darwin (Allen, 1967, pp. 95-96). Pour ce qui concerne Agassiz, que James accompagnait comme assistant lors d'une expédition au Brésil en 1865-66, James développa à son égard un mépris qui lui fit écrire à son frère, quelques années plus tard, qu'Agassiz «ne mérite même pas que Darwin s'essuie les pieds sur lui. La familiarité de James avec les idées de Darwin est indéniable. En effet, les toutes premières publications de sa main, datant de l'an 1865, étaient deux comptes rendus d'ouvrages traitant de ces idées: de Thomas H. Huxley et d'Alfred R. Wallace respectivement.' En 1868 il écrivit deux comptes rendus d'un livre de Darwin luimême. Cette familiarité se manifeste également ailleurs dans les écrits de James, comme par exemple dans une conférence prononcée en 1880, où il parle de l'originalité triomphante de Darwin." Elle n'implique pas qu'il fût toujours d'accord avec Darwin. Bien au contraire, il exprime à plusieurs occasions certaines réserves au sujet de points relativement mineurs, sans pour autant rejeter le noyau du darwinisme scientifique. L'expression dartinisme social (social Darwiniser) est utilisée plus souvent par ses opposants que par ses partisans. Elle renvoie à une application du darwinisme scientifique à la société, y compris certains concepts tels que survival of the fittest « la survie des plus adaptés et struggle for life, tout en y introduisant un accent prescriptif plutôt que descriptif; c'est dans ce sens que je l'utiliserai dans ce qui suit. Le darwinisme social se caractérise typiquement par des positions politiques en faveur d'un laisser-faire économique et contre toute mesure d'aide aux plus démunis. Cette position, qu'on associe souvent avec le nom de Herbert Spencer (l'inventeur de l'expression survival of the fittest), n'est pas une conséquence logique du darwinisme scientifique, comme beaucoup de ses représentants l'ont cru à tort. On peut très bien critiquer le dar. winisme social (une position politique) tout en acceptant le darwinisme scientifique. Il est pourtant vrai que, vers la fin du XIX et au début du XXe siècle, . • Voir, par exemple Taylor, 1983, p. 2. La difficulté de James de prendre des décisions fait l'objet du chapitre «The man of two minds de Louis Menand (2001, pp. 73-95). Une recherche sur Google me mène à croire que l'expression darwinisme religieux est peu fréquente en français (je l'ai trouvée sur un seul site, dans un sens différent de celui qui est vist ici). Son parallèle anglais e religious darwinism, d'autre part, est plus souvent utilisé (2310 sites trouvés), mais quasi exclusivement, il me semble, dans des contextes qui dépei gnent le darwinisme comme une religion, voire l'accusent d'en être une; cela ne correspond pas au sens visé dans cet article. Cf. Feinstein, 1984, pp. 146-153 (« Evolution at Harvard). Encore en 1909, juste un an avant sa mort, James écrivait: «Not long after Darwin's Origin of Species appeared I was studying with that excellent anatomist and man, Jeffries Wyman, at Harvard. He was a convert, yet so far a half-hesitating one, to Darwin's views; but I heard him make the following remark... When he said, a theory ants propounded over and over again, coming up afresh after each time orthodox criticism has buried it, and each time seeming solider and harder to abolish, you may be sure that there is truth in it. Oken and Lamarck and Cham. bers had been triumphantly dispatched and buried, but here was Darwin making the very same heresy seem only more plausible. (Murphy & Ballou, 1960, pp. 311-312) .That soundrel Agassizis unworthy either intellectually or morally for (Darwin) to wipe his shoes on, & I find a certain pleasure in yielding to the feeling (Allen, 1967, p. 146). Taylor, 1990, p. 11; 1996, p. 11. Bjork, 1988, p. 290 n. 2; Taylor, 1990, p. &. Il s'agit de Great men and their environment conférence tenue devant la Harvard Natu ral History Society, et publiée pour la première fois dans Atlantic Monthly, October 1880. Le passage concerné à la forme suivante (James, 1897/1956, pp. 221-222): if we look at an animal or a human being distinguished from the rest of his kind by the possession of some extraordinary peculiarity, good or bad, we shall be able to discriminate between the causes which originally produced the peculiarity in him and the causes that maintain it after it is produced and we shall see if the peculiarity be one that he was born with, that these two sets of causes belong to two... irrelevant cycles. It was the triumphant originality of Darwin to see this, and to act accordingly. Separating the causes of production under the title of ten dencies to spontaneous variation, and relegating them to a physiological cycle which he forthwith agreed to ignore altogether, he confined his attention to the causes of preservation, and under the names of natural selection and sexual selection studied them exclusively as functions of the cycle of the environment Voir Myers, 1986, pp. 591 199, note 68, pour quelques exemples. A noter que, d'apred. Richards (1982), la théorie darwinienne est à la base de beaucoup d'idées de James. Murphy & But here was naad Lamare de mine solider Page #3 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Johannes BRONKHORST pas s mal de gens, les soi-disant struggleforlifeurs, ont mélangé les deux, et pensé que leur position politique était justifiée par la théorie scientifique liée au nom de Darwin." 36 On comprend bien la confusion. La fin du XIXe siècle était l'époque du colonialisme triomphant, du capitalisme sauvage à son comble. Tout le monde croyait savoir que la seule voie vers un avenir meilleur passait par un struggle for life impitoyable, résultant en un survival of the fittest, les plus adaptés, les fittest, étant les colonialistes anglais, les capitalistes américains, et leurs semblables. John D. Rockefeller, le magnat du pétrole qui avait pris possession de 90% du marché par des méthodes peu aimables, l'exprimait en disant, The growth of a large business is merely a survival of the fittest, the working out of a law of nature and a law of God. (Townsend, 1996, p. 20). James ne partageait pas cette position, et n'aimait pas ceux qui l'acceptaient. Quoique lui-même fût l'héritier d'une fortune accumulée par son grand-père, il n'avait pas la moindre sympathie pour leurs idées politiques et sociales (Townsend, 1996, p. 20). De John D. Rockefeller, l'incarnation même du darwinisme social, il caractérisait les méthodes pratiques comme «abominables> dans une lettre à un ami (Myers, 1986, p. 423). James voyait également que le darwinisme scientifique ne justifie d'aucune façon cette position politique. Dans un compte rendu du livre Data of Ethics d'Herbert Spencer paru dans The Nation, il l'exprime de la manière suivante: The good of survival, from the moment the instinct of self-preservation is reflected on (as it is by the evolutionists), lapses thus from an objective uncriticized good into a fact relative to subjectivity. The deepest truth ceases to be, we must survive, but becomes: we feel that we must survive. If we don't feel so, nothing can coerce us to, except a further ethical proposition: «to feel so is itself good. This is the proposition the evolutionary ethicist ought to prove, but doesn't prove. The natural way of proving it would be to show that what survives has an intrinsic worth, and ideal perfection which makes its survival good. But for evolutionism all worth means mere furtherance of survival... whatever survives has all its qualities ipso facto made good (cité par Perry, 1935, I, p. 487). Ce passage, publié en 1880, montre clairement que pour James la survie n'était pas une valeur absolue. Pour qu'elle devienne une valeur, selon lui, il fallait que quelqu'un la ressente comme telle, ou qu'il prouve qu'on devrait la ressentir ainsi. Autrement dit, le survival of the fittest ne représente pas pour James un idéal à poursuivre, ni une valeur morale, mais au mieux une description de ce qui s'est produit dans le passé de notre espèce et celui des autres. Et pourtant, l'époque de James, y compris lui-même, ne pouvait pas s'empêcher de voir les développements qui avaient lieu - parmi eux le colonialisme occidental et le capitalisme sauvage - comme des étapes incontournables vers un avenir meilleur. Justifié par le darwinisme ou non, il s'agissait là de processus Menand (2001, pp. 142 sqq.) commente l'attrait du darwinisme social pour l'Amérique pendant la période suivant la guerre civile, comme justification morale de cette dernière. DARWINISME RELIGIEUX que seul un idiot pouvait rejeter. James savait également que la théorie de l'évo lution, pour la plupart des gens, était presque un synonyme de la croyance au progrès qui était presque universellement répandue à son époque. C'est donc l'expression théorie de l'évolution» qu'il utilise dans ses Varieties, pour désigner, non pas la théorie de Darwin mais plutôt la croyance au progrès qui se substituait dans l'esprit de beaucoup à la religion traditionnelle: 37 ... in that theory of evolution which, gathering momentum for a century, has within the past twenty-five years swept so rapidly over Europe and America, we see the ground laid for a new sort of religion of Nature, which has entirely displaced Christianity from the thought of a large part of our generation. The idea of a universal evolution lends itself to a doctrine of general meliorism and progress which fits the religious needs of the healthy-minded so well that it seems almost as if it might have been created for their use (James, 1902/1979, p. 104). On peut bien imaginer que cette identification de la croyance au progrès avec la théorie de l'évolution, cette invocation de la théorie darwinienne pour justifier des pratiques immorales et souvent répulsives, ont beaucoup gêné James. Il en était sans doute d'autant plus gêné qu'il n'avait pas de solution politique meilleure, plus acceptable. Pour illustrer cela, je vous propose de lire un passage des Varieties qui s'exprime au sujet des vertus saintes». Ces vertus font contrepoids à l'attitude réaliste, scientifique, c'est-à-dire au monde du darwinisme social. On y lit (James, 1902/1979, pp. 346 sqq): ...in spite of the Gospel, in spite of Quakerism, in spite of Tolstoy, you believe in fighting fire with fire, in shooting down usurpers, locking up thieves, and freezing out vagabonds and swindlers. And yet you are sure, as I am sure, that were the world confined to these hardheaded, hard-hearted, and hard-fisted methods exclusively, were there no one prompt to help a brother first, and find out afterwards whether he were worthy; no one willing to drown his private wrongs in pity fo the wronger's person; no one ready to be duped many a time rather than live on suspicion; no one glad to treat individuals passionately and impulsively rather than by general rules of prudence; the world would be an infinitely worse place than it is now to live in. James était bien entendu en faveur de ces vertus saintes, mais il les caracté rise en même temps comme irréalistes. Il le fait encore plus clairement dans le passage suivant: ... the Utopian dreams of social justice in which many contemporary socialists and anarchists indulge are, in spite of their impracticability and non-adaptation to present environmental conditions, analogous to the saint's belief in an existent king dom of heaven. They help to break the edge of the general reign of hardness and are slow leavens of a better order (James, 1902/1979, p. 350). On le voit bien, James n'était ni socialiste ni anarchiste. Leurs rêves de justice sociale, il nous le dit, sont irréalistes et non adaptés. Il ne réfute pas cette constatation, mais il ressent pourtant un malaise qu'il cherche à résoudre à Page #4 -------------------------------------------------------------------------- ________________ 38 Johannes BRONKHORST l'aide de la religion qui pourra, il l'espère, avoir un jour un effet positif sur la société humaine. Vu ainsi, la science, y compris même le darwinisme social, a raison, mais la vie humaine a également une autre dimension, la religion, qui pourra peut-être remettre les choses en ordre.14 La préface au livre The Will to Believe, paru en 1897 montre que James a essayé d'utiliser la théorie de Darwin pour ses propres fins. James, je me permets de vous le rappeler, était à la recherche d'une religion qu'il pouvait accepter, en laquelle il pouvait croire. Il était, en bref, à la recherche de la meilleure religion. Or, le darwinisme social était à la recherche de la meilleure société, et croyait que le darwinisme l'aidait à la trouver: le struggle for life et le survi val of the fittest étaient les moyens pour y arriver. Dans le passage que nous allons lire, James propose que ces mêmes méthodes pourront assurer qu'on arrive à la meilleure des religions. Je vous le cite: ... you will say, Why such an ado about a matter concerning which, however we may theoretically differ, we all practically agree? In this age of toleration, no scientist will ever try actively to interfere with our religious faith, provided we enjoy it quietly with our friends and do not make a public nuisance of it in the marketplace. But it is just on this matter of the market-place that I think the utility of such essays as mine may turn. If religious hypotheses about the universe be in order at all, then the active faiths of individuals in them, freely expressing themselves in life, are the experimental tests by which they are verified, and the only means by which their truth of falsehood can be wrought out. The truest scientific hypothesis is that which, as we say, works best; and it can be no otherwise with religious hypotheses. Religious history proves that one hypothesis after another has worked ill, has crumbled at contact with a widening knowledge of the world, and has lapsed from the minds of men. Some articles of faith, however, have maintained themselves through every vicissitude, and possess even more vitality to-day than ever before: it is for the science of religions to tell us just which hypotheses these are. Meanwhile the freeest competition of the various faiths with one another, and their openest application to life by their several champions, are the most favorable conditions under which the survival of the fittest can proceed. They ought therefore not to lie hid each under its bushel, indulged-in quietly with friends. They ought to live in publicity, vying with each other; and it seems to me that (the régime of tolerance once granted, and a fair field shown) the scientist has nothing to fear for his own interests from the liveliest possible state of fermentation in the religious world of his time. Those faiths will best stand the test which adopt also his hypotheses, and make them integral elements of their own. He should welcome therefore every species of religious agitation and discussion, so long as he is willing to allow that some religious hypothesis may be true (James, 1897/1956, preface, pp. xi-xii, souligné par nous). 14 Le passage suivant (Varieties p. 478 n.) exprime peut-être, dans l'esprit de James, sa vengeance ultime contre la science: ... the rigorously impersonal view of science might one day appear as having been a temporarily useful eccentricity rather than the definitely triumphant position which the sectarian scientist at present so confidently announces it to be. DARWINISME RELIGIEUX Notez l'emploi des expressions survival of the fittest et species. Aucun lecteur avisé ne peut rater ces allusions au darwinisme. Le darwinisme n'est cette fois pourtant pas le darwinisme scientifique, ni même le darwinisme social, mais une nouvelle forme de cette dernière, à savoir, ce que j'appelle le darwinisme religieux. Darwinisme religieux et darwinisme social partagent la conviction que le mécanisme du survival of the fittest mène à quelque chose de bon, de meilleur que ce que nous avons déjà. Ils diffèrent quant au champ d'amélioration: la société dans un cas, la religion dans l'autre. Aujourd'hui, plus de cent ans après que William James ait écrit ces mots, nous aurons peut-être tendance à sourire en les lisant. A une époque où les différentes religions se confrontent par bombes et mitrailleuses interposées, à yne époque encore où la religion gagnante dans le bien-aimé pays de James, les États-Unis, menace d'interdire l'enseignement du darwinisme scientifique, la théorie même sur laquelle James se base pour justifier une libre compétition entre religions, à une telle époque nous sommes peu enclins à croire que le sur vival of the fittest dans le domaine des religions nous apportera du bien. L'agitation religieuse, encouragée par James, est parmi les choses dont nous aimerions nous débarrasser au plus vite. Il est certain que la situation envisagée par James en écrivant ce passage était tout autre que la réalité que nous vivons aujourd'hui. Dans l'ambiance feutrée de l'université de Harvard, en s'adressant à des clubs d'étudiants, de philosophes ou semblables, la compétition entre religions dont il parle est la discussion polie et cultivée entre intellectuels, chacun prêt à peser les arguments pour et contre les différentes croyances, y compris la sienne. On a à première vue quelque peine à croire que James ait pris son darwinisme religieux très au sérieux. Le parallélisme avec le darwinisme social, qu'il avait rejeté, est trop évident. Mais il y a pourtant une qualification à faire. James avait critiqué la survie comme valeur absolue, il n'avait pas, à ma connaissance, rejeté la notion selon laquelle la voie du darwinisme social était la meilleure ou même la seule voie vers un avenir meilleur. En fait, nous avons vu qu'il jugeait les socialistes et les anarchistes comme étant des rêveurs irréalistes. Je n'exclus donc pas que James ait été convaincu, malgré lui, de l'amélioration inévitable qui résulte des mécanismes de struggle for life et de survival of the fittest. N'oublions pas qu'à son époque les idées évolutionnistes ne se limitaient pas aux sciences biologiques et à la politique; les sciences humaines aussi - parmi elles l'anthropologie qui, avec la publication de Pri mitive Culture de Tylor en 1870 (édition américaine en 1874), s'était établie comme une science indépendante - les acceptaient comme base. On a même suggéré que James considérait le protestantisme libéral comme la culmination de l'évolution religieuse (Hollinger, 2004, p. 15). Dans cette ambiance, il n'est pas étonnant que James ait entretenu l'idée que les concepts de base du darwinisme scientifique pourraient jouer un rôle dans l'amélioration de la religion, et cette fois James n'avait aucune réserve vis-à-vis de la survie comme valeur absolue: pour lui la survie de la meilleure religion était une valeur qu'il acceptait. Page #5 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Johannes BRONKHORST DARWINISME RELIGIEUX Pourtant, cette application de notions darwiniennes au domaine de la psy. chologie et de la religion va à l'encontre de ce que James avait dit contre une telle application une vingtaine d'années plus tôt. Dans les Baltimore et Lowell Lectures données en 1878, il plaidait pour une limitation du darwinisme au domaine matériel, à l'exclusion de tout ce qui concerne le domaine mental (cité par Bjork, 1988, p. 113): In these recent days we hear a great deal of the marvellous achievements of science, how Darwinism has made us understand so much about animal and vegetable forms, and how in particular the physiologists by the deep insight they have been acquiring into the nervous system and brain, have to a great extent banished the mystery which used to hang about the action of the mind and constituted a new psychology which explodes and renders obsolete the old views of mental action all based on a priori speculation. Whilst this is triumphantly repeated by the sectaries of physical science, it is as indignantly denied by another class of persons. The latter fancy that they see the most brutal materialism lurking behind what the for mer call enlightenment and scientific progress, like some hideous heathen idol whose form is dimly seen through the glare of fire-works and golden dust and dazzling vapours of incense with which its followers continually fill the air before it. quer que, dans la compétition entre religions envisagée par James, on ne pour rait pas comparer des faits, mais seulement des expériences. Les expériences étant, par leur nature, personnelles et privées, leur comparaison, elle aussi, ne peut qu'être personnelle et privée." James était conscient de ces difficultés, et il cherchait à les résoudre dans ses Varieties of Religious Experience. Il ne fait plus allusion explicite à la théorie de Darwin dans ce livre." Cela ne l'empêche pas d'y apporter une solution au problème que son darwinisme religieux lui avait posé. Il fait la constatation que la religion ne peut se séparer de conceptions et de constructions. Ce fait permet, selon lui, l'introduction de la philosophie, qui peut jouer le rôle de modérateur au milieu de la confrontation d'hypothèses, de médiateur parmi les critiques des constructions de l'un par l'autre." La philosophie qui exécute ces tâches, James l'appelle la science des religions. Voyons ce qu'il dit à son sujet (1902/1979, p. 416): Religious experience... spontaneously and inevitably engenders myths, superstitions, dogmas, creeds, and metaphysical theologies, and criticisms of one set of these by the adherents of another. Of late, impartial classifications and comparisons have become possible, alongside of the denunciations and anathemas by which the commerce between creeds used exclusively to be carried on. We have the beginning of a Science of Religions, so-called... Si nous réintroduisons ici la notion de darwinisme religieux, la science des religions joue le rôle que joue la sélection (naturelle, culturelle, ou autre) dans le darwinisme scientifique. La manière dont elle peut le faire est décrite ainsi (James, 1902/1979, pp. 436-437): The spontaneous intellect of man always defines the divine which it feels in ways that harmonize with its temporary intellectual prepossessions. Philosophy can by comparison eliminate the local and the accidental from these definitions. Both from dogma and from worship she can remove historic incrustations. By con fronting the spontaneous religious constructions with the results of natural science, philosophy can also eliminate doctrines that are now known to be scientifically absurd or incongruous. Le darwinisme religieux fut donc une idée nouvelle, James y revient, mais de nouveau de manière implicite plutôt qu'explicite, dans le passage suivant des Varieties (p. 325, souligné par nous): What I then propose to do is, briefly stated, to test saintliness by common sense, to use human standards to help us decide how far the religious life commends itself as an ideal kind of human activity... It is but the elimination of the humanly unfit, and the survival of the humanly fittest, applied to religious beliefs; and if we look at history candidly and without prejudice, we have to admit that no religion has ever in the long run established or proved itself in any other way L'emploi des terms unfit et fittest saute aux yeux. On voit que James, une fois de plus, part de l'hypothèse que l'élimination du unfit mène inexorablement à quelque chose de meilleurs Continuons encore un moment l'analyse de cette idée. A première vue il est difficile de comprendre comment la compétition entre religions, telle qu'elle est conçue par James, pourrait jamais faire survivre la religion la plus adaptée, la plus fit. C'est que James se déclare avocat de ce qu'il appelle l'empirisme radical. C'est un empirisme, because it is contented to regard its most assured conclusions concerning matters of fact as hypotheses liable to modification in the course of future experience (James, 1897/1956, p. vii). Cela devrait impli * Ces difficultés sont commentées par Rorty (2004). Quelques années plus tard, en revanche, il inclut une remarque énigmatique dans ses notes pour un cours donné en 1905, qui suggère qu'il n'avait pas abandonné l'idée d'un lien entre darwinisme et religion: So far I have been ahistic. But if evolution - Gods may be one of the results (Myers, 1986, p. 174). Since the environment to which an organism consciously reacts is the environment as it exists for that organism's consciousness, and since the environment as so viewed is the pro duct of selective elimination on the part of the consciousness concerned, it follows that COMERCIONS section create the known world is precisely the same in which trasla iornates the species. Brennan (1968, p. 72) cite ce passage (avec les italiques) comme s'il s'agit des mots de James, mais donne une référence à un livre (Howard V. Knox, The Evolu hion Truth, London 1990, p. 23) auquel ne n'ai pas eu ache pour vérifier la source de cette citation. A noter que la sélection est une fonction essentielle de la conscience d'aprés James v. Principles I, pp. 284 sq., 402 sq. etc. Cf. Bjork, 1988, p. 108 " Cf. Dennett, 2006, p. 269: « James gives us a very Victorian version of Darwinism: what sur vives must be good, because evolution is always a matter of progress toward the better. A noter que la plupart des évolutionnistes de l'époque qui s'intéressaient à la religion (parmi eux Spencer et Tylor, mais également Max Müller), considéraient l'histoire de celle-ci comme l'histoire d'un déclin; plusieurs d'entre eux pensaient que la religion n'avait plus de place dans la société moderne. Levinson, 1981, p. 74 99 Page #6 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Johannes BRONKHORST DARWINISME RELIGIEUX Sifting out in this way unworthy formulations, she can leave a residuum of concep tions that at least are possible. With these she can deal as hypotheses, testing them in all the manners, whether negative or positive, by which hypotheses are ever tested. She can reduce their number, as some are found more open to objection. She can per haps become the champion of one which she picks out as being the most closely ver ified or verifiable. She can refine upon the definition of this hypothesis, distinguish ing between what is innocent over belief and symbolism in the expression of it, and what is to be literally taken. As a result, she can offer mediation between different believers, and help to bring about consensus of opinion. She can do this the more successfully, the better she discriminates the common and essential from the indi vidual and local elements of the religious beliefs which she compares. Le parcours proposé par James devrait aboutir en déterminant quelle est la meilleure religion, celle qui porte la bénédiction de la science des religions, et qui est d'une certaine manière construite par cette dernière. James recule devant cette conclusion. Non, dit-il à la fin de ses Varieties, la science des religions n'équivaut pas à une religion: la science des religions ne donne que de la connaissance, tandis que pour une religion vivante il faut de la foi." On voit que la science des religions de James est, ou devrait être, un moyen pour trouver la meilleure religion, elle est, ou devrait être, le facteur qui, comme la sélec tion naturelle dans l'évolution de la vie, est responsable pour l'amélioration de la religion; elle ne peut pas remplacer celle-ci. James n'était pourtant pas sans appréhension au sujet de la science des religions, comme en témoigne sa remarque, ... the conclusions of the science of religions are adverse as they are to be favorable to the claim that the essence of religion is true (James, 1902/1979, p. 468). Si l'analyse de la pensée de William James (ou plutôt d'une petite partie de sa pensée) que je viens de donner est correcte, il sera clair que cet auteur, après ses Principles, commença à se détourner de la science. La science, d'après lui, était inséparable de la conviction prévalente à son époque, selon laquelle le progrès de la société passait forcément par les struggle for life et survical of the fittest de la théorie darwinienne. James était trop scientifique pour pouvoir reje ter cette science. Il lui fallait donc quelque chose à côté de la science pour lui faire contrepoids. Il le trouva, ou crut qu'on pourrait le trouver dans la religion. Une fois de plus, il était trop scientifique pour accepter n'importe quelle religion traditionnelle; il lui fallut une religion vraie. Pour distinguer la religion de la science, et pour pouvoir lui prêter un degré de véracité aussi élevé, voire plus élevé, qu'à la science, sa position philosophique, à savoir l'empirisme radical, s'avéra extrêmement utile. La science, dit-il, est superficielle (shallow) de par sa nature, contrairement à tout ce qui concerne l'expérience directe. La rai. son en est, pour citer ses propres mots (1902/1979, p. 476), que « as long as we deal with the cosmic and the general, we deal only with the symbols of reality [... but) as soon as we deal with private and personal phenomena as such, we deal with realities in the completest sense of the term (c'est James qui souligne). Il lui restait le problème de trouver une religion vraie. Ici il invoque l'aide de la science des religions. Étant donné que son but était d'avoir quelque chose à côté de la science et indépendante d'elle, cette procédure comportait de graves risques: la science des religions peut facilement se comporter justement comme une science, et se séparer de la quête religieuse qu'elle devrait servir. James était conscient du problème, mais n'avait pas d'autre choix. Le monde que nous habitons aujourd'hui est très différent de celui de James. Nous, ou au moins certains d'entre nous, ne sommes plus convaincus du progrès automatique résultant d'un laisser-faire complet dans les domaines du struggle for life et de la survival of the fittest. Le darwinisme social est pour nous un des excès de l'histoire de la pensée, une justification trop facile, et aujourd'hui inacceptable, pour des comportements plus que répréhensibles. La science est toujours, peut-être même davantage qu'alors, l'objet de méfiance et de suspicion, mais elle n'oblige plus personne à exploiter les pauvres ou à créer des colonies (même si elle donne les moyens de le faire). On peut aujourd'hui être scientifique et avoir des rêves de justice sociale. On est même autorisé à croire que la science peut aider dans la réalisation de ces rêves. Cela signifie que, quels que soient les avantages d'une foi religieuse, on n'en dépend pas pour entretenir une vision moins dure et plus humaine de la société. La science ne s'y oppose pas (au moins pas en principe) et, comme je l'ai déjà suggéré, elle pourrait se révéler etre l'instrument le plus important pour sa réalisation. La proposition selon laquelle la science des religions devrait avoir comme but de permettre d'identifier, ou de créer, la meilleure religion, me semble être une Mauvaise Idée. En la modifiant un tout petit peu, on peut arriver à ce que je considère comme une Bonne Idée. Si la science des religions réussit à décortiquer les éléments communs qui se cachent, pour ainsi dire, dans les pratiques et pensées de différentes religions, elle aura fait du progrès vers une meilleure compréhension de la nature humaine. La nature humaine étant, d'après le sous-titre, le sujet d'étude des Varieties, la proposition de James aurait dans ce cas contribué au but qu'il envisageait, même si ce n'est pas exactement dans le sens voulu par lui. Notons, pour conclure, que le darwinisme religieux de James comme décrit ci-dessus ne s'occupe pas de la question de la valeur des religions pour la survie des êtres humains. James avait quelques idées à ce sujet. Il semble avoir cru que la religion, pour ainsi dire, est bonne pour la survie. C'est qu'on pourrait conclure du passage suivant des Varieties: " James, 1902/1979, p. 467:... should [we) all espouse the science of religions as our own religion... Knowledge about a thing is not the thing itself... For this reason, the science of religions may not be an equivalent for living religion;... a point comes when she must drop the purely theoretic attitude, and either let her knots remain uncut, or have them cut by active faith Pas seulement dans la religion. En 1897 - en faisant l'éloge d'un soldat, Robert Gould Shaw, tué au combat après avoir accepté d'être le commandant d'un régiment noir-il dit: . That lonely kind of courage (civic courage as we call it in peacetimes) is the kind of valor to which the monuments of nations should most of all be reared, for the ritual of the finest has not bred it into the home of human being the bred military sulor, and of five hundred of us who could storm a battery side by side with others, perhaps not one could be found who would risk his worldly fortunes all alone in resisting an enthroned abuse (Menand, 2001, p. 147-48). Page #7 -------------------------------------------------------------------------- ________________ DARWINISME RELIGIEUX Johannes BRONKHORST gion qui va survivre, aux dépens d'autres qui n'ont pas cette qualité. Ce type de réflexion nous éloigne pourtant de la pensée de William James, raison pour laquelle je m'arrête ici. Religion... makes easy and felicitous what in any case is necessary, and if it be the only agency that can accomplish this result, its vital importance as a human faculty stands vindicated beyond dispute. It becomes an essential organ of our life, per forming a function which no other portion of our nature can so successfully fulfill. From the merely biological point of view, so to call it, this is a conclusion to which, as far as I can now see, we shall inevitably be led (James, 1902/1979, p. 68; c'est James qui souligne. Cp. Levinson, 1981, p. 76.) Il n'est pas nécessaire de vous rappeler que le darwinisme, même le darwinisme scientifique, n'a plus la cote parmi une grande partie des chercheurs qui étudient la ou les religions. L'explication de cette indifférence se trouve sans doute dans le fait que des erreurs majeures ont été faites par ceux qui ont voulu combiner les deux: étude des religions et pensée évolutionniste. Il suffit de mentionner le nom de James Frazer pour donner le frisson à beaucoup de scientifiques dans ce domaine. On comprend et apprécie la détermination de vouloir ne plus jamais tomber dans ce type de discours, qui était accompagné de la conviction de la supériorité de l'homme blanc européen et présentait d'autres défauts. Pourtant, je crois que ces scientifiques ont jeté le bébé avec l'eau du bain. Le darwinisme scientifique (contrairement aux théories de Frazer) est sorti renforcé d'un siècle et demi de tests sévères et poussés. Les sciences humaines, y compris la science des religions, ne peuvent pas se permettre d'ignorer cette théorie qui n'a pas de compétitrice crédible pour expliquer le développement des hommes tels qu'ils sont Admettre l'importance du darwinisme scientifique pour l'étude de l'homme n'équivaut pas à savoir comment l'utiliser. Certains chercheurs font des efforts, avec des résultats pas toujours convaincants. Une des questions qu'ils posent aujourd'hui, plus d'un siècle après la parution des Varieties, est précisément celle de la valeur de survie de la religion pour l'homme. Quelques-uns soulignent que l'évolution de la culture a comme produit annexe et inévitable des mésadaptions (« maladaptations»), parmi lesquelles on pourrait compter un nombre de comportements et idées religieuses. D'autres croient que certaines religions contribuent au fitness de ceux qui y adherent; ces chercheurs se concentrent dans leurs études sur les aspects des religions qui peuvent avoir un tel effet (voir par exemple Wilson, 2002). J'ai moi-même fait un modeste pour montrer que certains aspects maladaptifs de nombre de religions - je me suis concentré sur l'ascese - ne sont pas pour autant dus au hasard (Bronkhorst, 2001a). Voilà un champ de recherche qui n'était pas celui de William James. Il y a bien entendu, quelques points de contact. Si une certaine religion contribue à la survie de ses adhérents, c'est également cette reli RÉSUMÉ La familiarité de William James avec le darwinisme est bien documentée. Ses toutes premières publications (1865) étaient des reunes de livres ayant affaire au darwinisme. Plus tard (1868) il rédigea deux articles sur un livre écrit par Charles Darwin lui-même L Origine des espèces de Darwin venait juste de sortir quand il est devenu étudiant à Harvard, il s'est immédiatement impliqué dans la bataille autour des idées de Darwin qui opposaient plusieurs de ses professeurs. James a résolument opté pour le darwinisme. Malgré tout, James devint à l'évi dence de plus en plus déçu de la vision scientifique sur le monde Pire, le darti nisme scientifique a été employé (sous la forme de ce qui sera appelé le darwinisme social») pour justifier des politiques sociales pour lesquelles James n'avait aucune sympathie. Malgré son dégout, il n'avait aucune alternative crédible face aux croyances dans le progrès et dans l'évolution de la société qui caractérisait son temps. I cherche refuge dans la religions, mais il ne put pas simplement adopter une des religions existantes. Chose intéressante, dans sa volonté de croire (1896) il fait appel à un mécanisme darwinier, la survie du plus fort (fit) qui laisse la meilleure religion gagner. James se rendait compte des côtés faibles de ce que nous pourrions appeler son darwinisme religieux. Dans la compétition entre les expé. riences personnelles qui pour James constituent la religion, quel mécanisme précis pourrait opérer la sélection? Une réponse est proposée dans les Varieties of religious Experience (1902): la science des religions doit faire la sélection. On pourrait dire que dans le darwinisme religieux de James, la science des religions joue le role qu'a la sélection naturelle dans le darwinisme scientifique. Cette réponse ne laissait pas James sans appréhension, comme il le dit dans les Varieties, car les conclusions de la science des religions sont tout aussi capables d'être opposées que favorable à la prétention que l'essence de la religion est vraie. Cet article observe en conclsion qu'il y a de meilleures utilisations de la théorie darwinienne dans l'étude des religions que celle proposée par James. SUMMARY William James's familiarity with Darwinism is well documented. His very first publications (1865) were reviews of books dealing with Darwinism. Later on (1868) he wrote two reviews of a book written by Charles Darwin himself. Dar win's Origin of Species had just come out when he became a student at Harvard where he immediately became involved in the battle around Darwin's ideas that opposed several of his teachers; James resolutely opted in favour of Darwinism. In spite of all this, it is clear that James became increasingly disenchanted with the scientific world view. Worse, scientific Darwinism was used in the form of what came to be known as social Darwinism) to justify social policies for which James A noter que la critique de Frazer est parfois exagérée; voir Bronkhorst, 2001a. * James, quant à lui, était confortable avec une conception hiérarchique des races humaines, au moins en 1868; Menand, 2001, p. 144. Pour une discussion de la notion de maladaption, of Boyd & Richerson, 2005, pp. 9 sqq. Une prise de conscience des dangers que posent les religions traditionnelles commence à s'exprimer dans des publications récentes, par exemple Dennett, 2006; Harris, 2005, Page #8 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Johannes BRONKHORST DARWINISME RELIGIEUX auch günstig. In den Schlussbemerkungen des Artikels wird die Auffassung der treten, dass es bessere Anwendungen der darwinistischen Theorie im Studium der Religionen gibt, als die von James vorgeschlagene. had no sympathy. In spite of his distaste, he had no credible alternative for the belief in progress and in the evolution of society that characterized his day and age. He sought refuge in religion, but was not able to simply adopt one of the existing religions. Interestingly in his The Will to Believe (1896) he appeals to a Dartinian mechanism, the survival of the fittest, to let the best religion win. James was aware of the weak sides of what we may call his religious Darwinism. What exact mech anism would select between the private experiences which for James constitute religion? An answer is proposed in the Varieties of Religious Experience (1902): the Science of Religions must do the selecting. One might say that in James's religious Darwinism the Science of Religions plays the role which natural selection plays in scientific Darwinism. James telas not without misgivings about this answer, for, as he says in the Varieties, the conclusions of the science of religions are as likely to be adverse as they are to be favorable to the daim that the essence of religion is true. The paper concludes with the observation that there are better ways to use Darwinian theory in the study of religions than the one proposed by James. ZUSAMMENFASSUNG Die Familiarität von William James mit dem Darwinismus ist gut dokumentiert. Seine allerersten Veröffentlichungen (1865) snaren Rezensionen von Bucher, die den Darwinismus betreffen. Erwas später (1868) veröffentlichte er zwei Artikel über ein von Charles Darwin selbst geschriebenes Buch. Darwin's Ursprung der Arten war gerade berausgekommen als er Student in Harvard wurde; er hat sich dort sofort an der Kontroverse über die Ideen von Darwin beteiligt, an der einige seiner Professoren mit gegensätzlichen Auffassungen teilnahmen. James hat sich entschieden für den Darwinismus ausgesprochen. Trotzdem ist klar, dass James immer enttäuschter von der wissenschaftlichen Perspektive der Welt wurde. Besonders weil der wissenschaftliche Darwinismas dazu benutzt wurde in Form des spåter sogenannten sozialen Darwinismas)die soziale Politik zu rechtfertigen für die James keinerlei Sympathie batte. Trotz seiner Abschen hatte er keine glaubhafte Alternative für den Glauben an den Fortschritt und an die Evolution der Gesellschaft, die für seine Zeit charakteristisch war. Er suchte Zuflucht in der Religion, konnte aber nicht einfach eine der existierenden Religionen annehmen. Interes santerweise übernimmt er in seinem Willen des Glaubens (1896) einen darwinistischen Mechanismus, das Überleben des Stärksten (fit), der die beste Religion gewinnen lässt. James war sich der Schwächen seines religiösen Darwinismus wie wir ihn nennen könnten) bewusst. In dem Wettstreit der persönlichen Erfahrun gen, die für James die Religion ausmachen, welcher Mechanismus könnte die Auswahl treffen? In der Vielfalt religiöser Erfahrung (1902) wird eine Antwort vor geschlagen: die Religionswissenschaft muss die Anstahl machen. Man könnte sagen, dass im religiösen Darwinismus von James die Religionswissenschaft die Rolle spielt, die die natürliche Auswahl im wissenschaftlichen Darwinismus innehat. Diese Antwort hinterliess bei James doch eine Besorgnis, denn wie er es in der Vielfalt ausdrückt, die Schlussfolgerungen der Religionswissenschaft sind dem Anspruch, dass die Essenz der Religion wahr sei, sowohl entgegengesetzt als RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ALLEN, G.W. (1967). William James: A biography. New York: The Viking Press. BJORK, D.W. (1988). William James: The center of his vision. New York: Columbia University Press. BOYD, R., & RICHERSON, PJ. (2005). The origins and evolution of cultures. Oxford: Univer sity Press. BRENNAN, B.P. 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