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Johannes Bronkhorst
Les reliques dans les religions de l'Inde
Sramana se distingue du védisme et s'y oppose encore à d'autres égards. La distinction qui nous intéresse en ce moment, l'attitude tout à fait différente envers les reliques du côté de l'hindouisme d'une part et du bouddhisme de l'autre, s'explique donc largement par les origines distinctes de ces deux religions.
Soit dit en passant, l'idéologie de la pureté rituelle est à la base du système des castes, et nous avons vu que cette idéologie a des origines anciennes. C'est dans ce cadre qu'il faut comprendre les arguments des bouddhistes à l'encontre du statut spécial que s'arrogent les brahmanes dans la société. Il s'agit là non pas, ou pas exclusivement, d'un conflit d'idées concernant l'organisation idéale de la société, mais du rejet par les bouddhistes de la conception d'une pureté rituelle dont les brahmanes prétendaient être les détenteurs privilégiés. Un sermon ancien qui decrit la rencontre entre le Bouddha et un brahmane du nom Ambasta (pali Am. bartha) le montre clairement." Pour commencer, le brahmane refuse de s'asseoir à côté du Bouddha en raison du statut présumé inférieur de ce dernier, accusant le clan du Bouddha d'être inférieur. Le Bouddha, à son tour, explique que le brahmane Ambāsta est en réalité le descendant d'une esclave et de son propre enfant noir impur. La discussion toume autour de la supériorité, liée à la pureté, des brahmanes; le Bouddha n'accepte ni l'une ni l'autre. Un autre sermon - l'Aggatha Sutta - traite également du fossé qui sépare les brahmanes de toutes les autres couches de la société. Les brahmanes, y lit-on, sont purs, tandis que les autres ne le sont pas. Une fois de plus, le Bouddha ne partage pas cette opinion."
Il faut cependant rester circonspect. L'histoire des religions indiennes est complexe. Elle se laisse pourtant comprendre, du moins partiellement, comme le résultat d'une interaction constante entre les deux grandes traditions que nous venons de mentionner: la tradition védique et le mouvement des śramana. La tradition vé. dique apparait comme le grand gagnant de cette rencontre. C'est elle qui s'est imposée jusqu'au point ou pratiquement toutes les expressions religieuses indigenes de l'Inde d'aujourd'hui se réclament, au moins en théorie, du Veda. N'oublions pas que le bouddhisme a quasiment quitté le sous-continent il y a presque un millénaire. Le jainisme, quant à lui, constitue une petite minorité fort hindouisée. Il semble que le jainisme a en effet complètement adopté les exigences de pu
reté propres au védisme, au point de concurrencer les brahmanes eux-mêmes sur ce terrain. Ce processus a sans doute été facilité par le fait que le jainisme, lui aussi, se caractérise depuis une période fort ancienne par l'importance prétée à la purification, même si la purification jaina était à l'origine d'une tout autre nature que celle des brahmanes. Cette victoire apparente du védisme est pourtant trompeuse. Beaucoup de traits qu'on considère comme inséparables de l'hindouisme-comme la croyance en la réincarnation et en la retribution des actes, ainsi que l'accent sur la libération définitive de ce monde - proviennent directement du mouvement des śramana, et n'ont pas de prédécesseurs dans la religion védique. D'autre part, certains traits qu'on trouve déjà dans les textes védiques et para-védiques - comme l'accent sur la pureté rituelle - se sont maintenus dans toutes les expressions religieuses qui se réclament du Veda.
C'est ainsi que la vénération des reliques dans le bouddhisme continue un trait du mouvement des śramana." Ce trait trouve également son expression dans le jalnisme ancien. La plupart des autres descendants du mouvement des sramana n'ont, à l'évidence, pas pu résister à la védicisation, ou brahmanisation, croissante, s'étant soumis, au moins en théorie, à l'autorité suprême du Voda
L'attitude propre au mouvement des sramana à l'encontre des cadavres de personnes jugées saintes semble cependant avoir laissé des traces dans l'hindouisme, comme le dévoile la coutume suivante: lors des funérailles de certains ascètes hindous, le cadavre, contrairement à l'usage général, n'est pas incinéré, mais enterré. Ce traitement est réservé aux ascètes appelés samnyasin, renonçants qui se trouvent, au moins en théorie, dans la quatrième et dernière étape de vie selon la schématisation classique du brahmanisme ; certaines sources le limitent aux seuls cadavres des sanyasin adorateurs du dieu Siva. Cette coutume a survécu jusqu'à nos jours. Le Père jésuite Coeurdoux la décrit dans ses Moeurs et coutumes des indiens, composées en 1777. Cet ouvrage sera à la base du texte publié plus tard par l'abbé Dubois, sans que ce dernier en révèle la source. On y trouve les extraits suivants (Murr, 1987: 1: 131 sq.):
associé à l'ajvikisme (Bronkhorst, 2003). et sans doute un représentant du mouvement des Sramana (Schopen, 1996: 571 sq.). Les plaques ou pierres commemoratives tiennent une place importante au sein du jainisme, voir Upadhye, 1982Settar & Korisettar, 1982. Il est possible que l'érection de piliers ou de pierres commémoratifs trouve elle-même son origine dans une
pratique bouddhique, voir Patil, 1982. 13 Walshe, 1987: 111 sq. Cp. Meisig, 1993, 14 Meisig, 1988: 80 81 15 Le statut des castes ainsi que l'in'efficacité des ablutions conme moyen d'éliminer le démérite
restent des thèmes privilégiés dans la critique du brahmanisme par le bouddhisme, voir Eltschin ger. 2000:2003:50, Enomoto, 2002
16 CI Dumont, 1966: 82 n. 25h: sous le rapport des durées d'impureté les Jains apparaissent au
Gujerat el concurrence avec les Brahmanes Nagar ... 17 Trainor (1997: 114-115) observe: ...despite the concern for purity and impurity in the Indian
milieu in which the Buddhist tradition has its roots, the Buddha's corporeal relics do not appear to carry the connotations of impurity (which one would) expect. The reasons for this must remain, at best, very speculative. Trainor ne prend pas en considération que les racines de la tradition bouddhique ne se trouvent justement pas dans le milieu indien od pureté et impureté jouent un
rôle central. 18 On trouve une breve mention de cette coutume dans un traité français qui date d'environ 1700
Caland, 1923: 153): ... quelques jougui... ils les enterrent dans un tronc rond, ou ils les mettent accroupis, les genoux ployez, les couvrant de terren