________________
Johannes Bronkhorst
Les reliques dans les religions de l'Inde
51
fournit ainsi un exemple d'une forme de vénération qui est complètement parallele avec ce qu'on trouve dans le bouddhisme: l'arbre sous lequel le Bouddha a atteint l'éveil reste un objet de vénération pour les bouddhistes. Mes ces mêmes pelerins ne vénèrent pas les restes corporels de Ramakrishna
Deuxième réponse: Le monde est illusoire dans l'hindouisme
pas conçu comme la parole de quelqu'un, mais plutôt comme un texte éternel, c'est-à-dire comme un texte sans début. La valeur du Veda ne derire donc pas de la sainteté d'un auteur présumé, bien au contraire, certaines personnes, premièrement les brahmanes, doivent leur sainteté à leur proximité du Veda. Les adeptes de l'hindouisme ne peuvent par conséquent pas vénérer les reliques d'un fondateur, pour la bonne raison que leur religion n'admet pas de fondateur.
Cette explication néglige le fait que le bouddhisme, du point de vue du bouddhisme lui-même, n'a pas de fondateur non plus.. Le Bouddha historique est conçu comme le dernier d'une longue liste de Bouddhas qui tous préchent la même vérité éternelle. La recherche modeme ne donne pas raison à ce point de vue et maintient que le Bouddha historique, le Bouddha Säkyamuni comme l'appellent les bouddhistes, fut le premier à prêcher le message dorénavant connu sous le nom de bouddhisme. Ces partis pris de la recherche moderne ne nous aident pourtant pas à comprendre la vision du monde d'un bouddhiste indien. Pour ce dernier, le Bouddha Säkyamuni était un sage qui ne faisait que répéter une vérité que d'autres avaient déjà énoncée avant lui. Autrement dit, cette prétendue différence entre le bouddhisme et l'hindouisme n'est pas fondée.
il y a plus. L'hindouisme, lui aussi, connait toute une série de personnages qui correspondent plus ou moins à ce qu'on appelle dans le christianisme des saints, et autour desquels une littérature hagiographique s'est développée. Certains de ces personnages sont légendaires, d'autres historiques. Prenons l'exemple du philosophe Sankara. Bien qu'il soit difficile de lui assigner une date avec précision, on peut estimer qu'il vivait aux alentours de l'an 700 de notre ère. Sankara est le plus important représentant de la philosophie dite advaita-vedänta, une pensée qui est devenu extrêmement populaire au deuxième millénaire, et qui l'est resté jusqu'à nos jours. La vie de Sankara est glorifiée dans de nombreuses biographies légendaires, et les monastères qu'il est censé avoir fondés sont imprégnés du respect qu'on montre à leur fondateur. Et pourtant, il n'existe pas de culte des os ou des dents de Sankara. Un exemple beaucoup plus récent est celui du mystique Ramakrishna (1836-86), qui avait pour habitude de médiater sous un grand arbre dans un certain temple au Bengale. Cet arbre attire des pèlerins aujourd'hui encore, et
Une autre explication est la suivante. L'hindouisme a tendance à regarder le monde physique comme une illusion. Les reliques d'une personne sainte n'ont donc pas une grande valeur spirituelle.
Cette explication n'est pas satisfaisante non plus. Il est vrai que certains mouvements dans l'hindouisme ont tendance à considérer le monde physique comme étant illusoire; d'autres par contre ne partagent pas cette conception. L'idée d'un monde physique illusoire n'a, en outre, jamais empêché les dévots de vénérer leurs maitres, leurs gourous, sans la moindre limitation: certains vont même, jusqu'à considérer que le gourou représente la réalité suprême. Ce n'est pas la spéculation philosophique sur la vraie nature du monde physique, qui détermine le comportement religieux de la majorité des gens. Beaucoup d'hindous ont accepté de vénérer leur gourou, ou un autre étre humain, sans pour autant consentir à vénérer ses reliques corporelles après sa mort. Pourquoi?
Troisième réponse: Le cadavre est une source de pollution dans l'hindouisme
Une autre dimension de l'hindouisme semble à même d'expliquer ce qui empêche les hindous de vénérer les reliques de leurs saints: l'accent omniprésent sur la pureté rituelle et sur son opposé, la pollution rituelle. Louis Dumont a fait valoir la grande importance de ces concepts, et dans quelle mesure ils font partie d'une idéologie cohérente qui permet de comprendre plusieurs aspects de la société hindoue, présente et passée. Pour citer Robert Deliège (1993: 55-56): Comment expliquer qu'un homme urine accroupi, mange de la main droite en jetant sa nourriture dans la bouche, ferme la porte de la chambre du dieu lorsqu'il y a un mort dans la maison ou encore qu'il se rende chez certaines personnes avant de prendre son bain? C'est la pollution rituelle qui permet d'expliquer tous ces
2 3
4 5
Cp. Snellgrove, 1978: 13 sq. Voir, par exemple, les articles réunis dans le tome Constructions hagiographiques dans le monde indien: Entre mythe et histoire, sous la responsabilité de Françoise Mallison (2001). Cf. Hulin, 2001: 18 sq. Cette absence de culte pour les restes physiques de sages s'étend aux lieux avec lesquels ils ont été en contact. Voir Michaels, 2003: 367-368: _ heilige Orte im hochtraditionellen Hinduismus (verbinden sich) nur selten mit historischen Ereignissen. ... Die hinduistischen Pilgerkarten fühTen selten zu Station von Heiligen. Orte, an denen sich Kabir, Tulsidas oder Samkara aufgehalten haben sollen, werden nicht in die Prozessionslisten aufgenommen Bharati, 1963: 150.
7 8
Cp. Steinmann, 1986: passim, 1988 Eugene Burnouf disait déjà en 1844: J'ai... quelque peine à comprendre comment les Brahmanes auraient permis que l'on venérât des restes aussi misérables à leurs yeux que les os d'un cadavre consumé sur le bucher. On sait l'horreur invincible qu'ils éprouvent pour tout ce qui a eu vie, et les soins qu'ils prennent de se purifier, quand ils rencontrent un de ces objets dont la Vue seule est pour eux une souillure. (Bumouf, 1876: 314 315)
6