Book Title: Linde Classique Et Le Dialogue Des Religions
Author(s): Johannes Bronkhorst
Publisher: Johannes Bronkhorst

View full book text
Previous | Next

Page 4
________________ 784 JOHANNES BRONKHORST semble inconnu, et je n'ai pas réussi à en trouver la moindre trace 13 11 semble clair qu'Uddyotakara ait réussi à trouver quelques phrases isolées dans un texte canonique bouddhique qui lui convenaient exceptionnellement bien. Et il avait des raisons de croire que ses interlocuteurs bouddhistes ne les connaissaient guère, ou pas du tout. 14 Cet état de choses pourrait à première vue paraître bizarre, étant donné que les bouddhistes eux-mêmes, dans des discussions sur l'existence de l'âme, se basaient fréquemment sur d'autres phrases de leur canon qu'on pourrait, à première vue, analyser de façon semblable. L'Abhidharmakośa Bhāşya de Vasubandhu en cite une dans son neuvième chapitre sous la forme suivante:15 bhagavatoktam rūpam anätmetil6 yavad vijñānam anātmeti "le Buddha dit rūpam anătmă jusqu'à vijñānam an- ärmd". Ailleurs dans le même chapitre ce texte cite sarvadharmă anåtmånah.17 Les deux phrases sont clairement empruntées à des sütras anciens. 18 La première signifie, dans son interprétation originale: “La matière n'est pas l'âme, la sensation n'est pas l'âme, la perception n'est pas l'âme, les compositions mentales ne sont pas l'âme, la conscience n'est pas l'âme". La forme en păli de la formule (rūpain anattă, etc.) prouve que le deuxième mot du couple est un substantif qui signifie "(ce qui n'est pas l'ame"; la forme correspondante en sanscrit devrait être anåtmå. Une ambiguïté dans les langues moyen-indiennes, en combinaison avec certains développements théoriques au sein du bouddhisme, ont pourtant promu une autre interprétation du composé, s'exprimant en sanscrit en des formes légèrement différentes. Au lieu de "ce qui n'est pas l'âme", on avait commencé à préférer l'interprétation "sans âme". "La matière n'est pas l'âme" - en sanscrit: rūpam anatma - est ainsi devenu "la matière est sans ame": rūpam anätma. La phrase comme elle est citée dans l'Abhidharmakośa Bhāşya est ambiguë, parce que le a final s'est joint à une voyelle, cachant ainsi sa qualité longue ou breve." La phrase sarvaanama anåtmånah - dont le sens original était également: tous les dharmas ne sont pas l'âme-m pas l'âme - montre pourtant que le sens "sans âme" l'avait emporté à l'époque de l'Abhidharmakośa Bhäşya: anåtmanah ne peut, dans ce contexte, avoir que ce sens, au pluriel.20 Un autre passage doit être cité à cet endroit, passage qui fait partie du soi-disant premier sermon du Buddha, préservé dans le Mahảvagga du Vinayapitaka du canon pali. On y trouve les phrases suivantes:21 "Par conséquent, Ô moines, toute matière, qu'elle soit passée, future ou préconséquent, o moin sente, intérieure ou extérieure, grossière ou subtile, vile ou excellente, lointaine ou proche, toute matière doit être vue ainsi, selon la réalité, grâce à la sagesse correcte: «Ceci n'est pas mien. Ceci, je ne le suis pas. Ceci n'est pas mon soi. Toute sensation, qu'elle soit passée ... (comme ci-dessus) ... Toute perception, qu'elle soit passée ... (comme ci-dessus) ... Toute composition mentale, qu'elle soit passée ... (comme ci-dessus) ... Toute conscience, qu'elle soit passée ... (comme ci-dessus) .... Ceci n'est pas mien. Ceci, je ne le suis pas. Ceci n'est pas mon soi." On voit que l'idée "je ne suis pas la matière, je ne suis pas la sensation" etc. s'exprime ici clairement. On peut en déduire qu'il n'existe aucune raison de croire 13 A ma demande, le professeur Fumio Enomoto de l'université de Osaka, auteur de Indic Texts corresponding to the Chinese Samyuktägama as found in the Sarvaistivada-Mülasarvistivada Literature (1994), a, lui aussi sans succès, cherché la source des phrases citées par Uddyotakara; qu'il en soit remercié ici. 14 Pour l'identification des interlocuteurs bouddhistes principaux de Uddyotakara, voir Frauwallner, 1933 (Vasubandhu, Dignaga). 15 Abhidh-k-bh(P) p. 464 1. 6-7. 16 Suivant Yafomitra j'ajoute iri. 17 Abhidh-k-bh(P) p. 466 l. 24. 18 Voir Honjo, Table p. 116-17 (no. 1), p. 118-19 (no. 17); Abhidh-k-bh(Pa) p. 123 (no. 499); PTC s.v. anatta; etc. 19 Le ms. utilisé par Pradhan a rupam anatma. 20 L'éditeur de l'Abhidharmakośa Bhasya, suivant Yafomitra, considère comme cita tion également la phrase närma skandhayatanadhatavah (Abhidh-k-bh(P) p. 467 I. 4; cp. Abhidh-k-vy p. 705 1. 12). Cette phrase est pourtant introuvable dans la littérature ancienne, et s'explique mieux comme n'étant pas une citation; voir Abhidh-k-bh(Pa) p. 126 nr. 512; Abhidh-k(VP) tome V p. 253. 21 Vin I p. 14: tasmät iha bhikkhave yam kinci ripam atitánāgatapaccuppannam ajjhattam va bahiddha violarikam vă sukhumam va hinam wi panitam wi yam düre vi santike wi, sabbam ripam n'etam mama, n'eso 'ham asmi, na me so atta 'ti evam etam yathabhūtam summapparinaya dafthabbam/ ya kaci vedana ... ya kaci sana ... ye keci samkhara ... yam kirici viftianam atitánagatapaccuppannam ajjhattam vi bahiddha vi olärikam vă sukhumam wi hinam wi panitam wi yam dure vi santike vi, sabham ripam n'etam mama, n'eso 'ham asmi, na me so atta 'ri evam etam yathabhūtam summapparnaya dafthabbam/ Tr. Bareau, Recherches I, p. 192. Bareau traduit également les parallèles de ce sermon dans les Vinayas - préservés en traduction chinoise - appartenant à d'autres écoles du bouddhisme.

Loading...

Page Navigation
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10