Book Title: Linde Classique Et Le Dialogue Des Religions
Author(s): Johannes Bronkhorst
Publisher: Johannes Bronkhorst

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Page 7
________________ 790 JOHANNES BRONKHORST L'INDE ET LE DIALOGUE DES RELIGIONS 791 aux notres. Mais vu de cette façon, l'existence même de certains mots en sanscrit prouve que les objets correspondants existent. Le mot mame n'étant pas l'invention d'un fou, prouve qu'il y ait un objet y correspondant. C'était, premièrement, le point de vue des brahmanes, pour qui le sanscrit, la langue du Veda, a ces qualités. Il est vrai que l'école d'Uddyotakara était prudente quant à l'application rigide de ce point de vue. Le Nyāya Bhăşya, par exemple, constate:36 Ce n'est pas à cause de la seule parole qu'on a confiance (en l'existence] d'un objet imperceptible tel le ciel, les Apsaras, les Kuru septentrionaux, les sept continents, l'océana, «la constitution du monde, on a plutôt confiance (en l'existence de ces objets) parce que cette parole a été prononcée par des personnes fiables. l'attention de beaucoup de penseurs indiens, brahmaniques aussi bien que bouddhistes et jaïnas, tels des énonces du type la cruche se pron " fait une cruche". Ces deux phrases décrivent une situation dans laquelle on ne trouve justement pas de cruche, simplement parce que la cruche concernée ne s'est pas encore produite, ou n'a pas encore été faite. La question de l'origine des choses qui se manifeste dans les débats autour de ce type de phrases est omniprésente dans les textes philosophiques de la première moitié du premier millénaire de notre ère, et donne lieu a des réponses très variées. Certains penseurs arrivent à la conclusion que rien ne peut se produire. D'autres croient plutôt que la cruche existe, d'une façon ou d'une autre, avant qu'elle ne se produise ou qu'elle ne soit faite. L'un des philosophes qui tire systématiquement profit des contradictions qui, selon lui, résultent du principe de correspondance, est le bouddhiste Nagarjuna. Il est hors de mon propos ici de discuter de ses buts et de sa conception du bouddhisme, mais un exemple de sa façon d'argumenter est utile dans ce contexte. Voilà ce qu'il dit au sujet de la production d'un ob jet:37 S'il existait quelque part quelque chose non produite, elle se produirait. Comme cette chose n'existe pas, qu'est-ce qui se produit? Mais évidemment tous les mots du sanscrit ont été prononcés par des personnes fiables, et la prudence du Nyaya Bhasya ne change pas grand-chose en ce qui concerne l'existence d'objets y correspondant. Une extension de la conviction dont nous venons de parler est le principe de correspondance, qui couvre non seulement la relation entre les mots et les choses, mais aussi celle entre la phrase et la situation décrite par cette phrase. Les bouddhistes ne partageaient pas la conviction de la supériorité du sanscrit, mais il est surprenant de voir qu'eux aussi eurent longtemps tendance à accepter le principe de correspondance. Ce principe a pourtant l'air tout à fait innocent dans le cas de beaucoup de phrases. Uddyotakara a mentionné des énoncés du type "la cruche n'est pas dans la maison". Dans la situation décrite par cette phrase il y a une maison, une cruche - quelque part en dehors de la maison -, et, selon l'analyse des naiyāyikas, l'absence de cette cruche à l'intérieur de la maison. Un exemple encore plus innocent est "la cruche est dans la maison". Cette phrase décrit une situation constituée par la cruche, la maison, ainsi que par l'activité de "être, se situer". Le principe de correspondance soulève pourtant des questions, comme nous l'avons vu dans le cas de la phrase "l'âme n'existe pas". Il y a d'autres exemples problématiques, et certains d'entre eux ont attiré Une exploration approfondie des effets du principe de correspondance sur la pensée indienne sera réservée à une autre occasion.38 On se bornera ici à une brève présentation de la façon dont le Nyāya, l'école de Uddyotakara, a résolu le problème de la production d'objets. Notons qu'on n'était pas prêt à abandonner le principe de correspondance. Une autre interprétation fut pourtant possible: celle de nier que les mots réferent, ou réferent exclusivement, à des individus. Dans la phrase "la cruche se produit", le mot «cruchem ne référerait pas à la cruche individuelle qui est en train de se produire, mais plutôt à quelque chose de plus général, quelque chose qui couvre, bien entendu, cette cruche individuelle, mais pas exclusivement celle-ci. Les mots d'une phrase, vus de cette manière, doivent correspondre à quelque chose d'existant, qui serait différent de l'individu. Quel objet peut 36 NBh 2.1.52: svargah apsarasah utarah kuravah sapa dwipan samudro lokasamni veša iry evamader apruryaksasyarthasya na Sabdamátrát praryayah, kim tarhi? aprair ayam ukah Sabda iry arah sampratyayah, viparyayena sampraryayabha vat/ na tv evam anumanam ini 37 MadhK(del) 7.17: yadi kascid anu panno bhavah samvidyate kvacit/ utpadyeta sa kim tasmin bhäve urpadyate 'sarill. 38 Voir pour l'immédiat. Bronkhorst. 1996.

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