Book Title: Pourquoi La Philosophie Existe T Elle En Inde
Author(s): Johannes Bronkhorst
Publisher: Johannes Bronkhorst

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Page 8
________________ ÉTUDES DE LETTRES POURQUOI LA PHILOSOPHIE EXISTE-T-ELLE EN INDE? 21 croyance en l'efficacité des actes, au-delà des frontières de la mort et de la renaissance dans une autre vie. De bonnes actions entrainent de bons résultats pour leurs auteurs, et de mauvaises actions de mauvais résultats. Cette croyance était partagée par la plupart des penseurs de I'Inde classique. Elle a également posé un problème. De quelle manière exactement les actions peuvent-elles entrainer de tels résultats dans un futur éloigné, peut-être dans une autre partie du monde, ou dans un monde complètement différent? Par quel mécanisme est-ce possible? Une des écoles de philosophie brahmanique qui s'est préoccupée de ces questions est l'école nommée Vaiseșika. Ses réflexions ont passé par trois stades. Le stade le plus ancien est représenté par le Vaiseșika Sūtra, le plus ancien texte de cette école qui soit parvenu jusqu'à nous. Apparemment, ce texte n'offre pas de solution au probleme. Une de ses sections utilise l'expression adrsta - qui signifie "le non vu", probablement dans le sens de "l'invisible" - qui réfère aux résultats et aux buts "invisibles" des activités rituelles et éthiques, ainsi que les termes "mérite" (dharma) et "démérite" (adharma)". Nous devons supposer que ces noms étaient utilisés en relation avec un processus que personne ne prétendait encore comprendre. Le deuxième stade est représenté par la Kaçandi, un commentaire sur le Vaisesika Sutra maintenant perdu, mais dont des fragments ont survécu dans des citations par d'autres auteurs. Les activités sont conçues comme produisant du mérite (dharma) et du démérite (Qdharma). Le mérite et le démérite sont ici considérés comme des articles sur la liste des choses qui existent; le Vaiseșika Sūtra ne les avait pas encore reconnus en tant que tels. Plus précisément, le mérite et le démérite sont considérés comme des qualités de l'âme, qui est une substance. Etant des qualités, ils inhérent dans leur substance, l'âme, et sont d'une certaine façon inséparables de cette dernière, tout comme une couleur est inséparable de la substance à laquelle elle appartient. Cette relation étroite continue jusqu'à ce que la rétribution se produise. Puisque chaque âme est tenue pour une substance omniprésente, on peut imaginer que ses mérites et ses démérites exercent une influence sur des choses qui ne sont pas au même endroit que la personne plus précisément: pas au même endroit que le corps de la personne à laquelle elle appartient; le fait que l'âme est immortelle et que les mérites et les démérites adhérent à elle jusqu'à la rétribution, explique que les effets des actes puissent se produire bien après les actes eux-mêmes. De la même façon, les actes des êtres vivants, par l'intermédiaire de leurs mérites et démérites, peuvent déterminer chaque nouvelle création du monde -et, de fait, c'est bien ce qu'ils font. Les âmes omniprésentes sont en contact (samyoga) avec les atomes dans lesquels leurs mérites et démérites produisent des activités au moment de la créations. Ainsi, les actes déterminent le corps, les organes des sens, et la quantité de bonheur ou de douleur qui seront notre lot, ainsi que les objets que nous rencontrerons Même si nous sommes d'accord que le mécanisme de la rétribution karmique est devenu un tant soit peu plus intelligible de cette manière, il laisse évidemment encore beaucoup à désirer. Surtout sur le point suivant: comment est-ce que les qualités -en elles-mêmes inconscientes - du mérite et du démérite arrangent le monde matériel de telle façon qu'une bonne personne en dérive des expériences plaisantes, et qu'une mauvaise personne en dérive des expériences déplaisantes? Les développements ultérieurs de l'école nous montrent que les Vaiseşikas eux-mêmes n'étaient pas entièrement satisfaits de leur solution. Comment ont-ils résolu la situation? mesure où le souverain lui-même était l'arbitre ultime de la valeur de ces idées, ces facteurs peuvent bien avoir imposé certaines contraintes sur les idées qui, selon le souverain, valaient la peine d'étre émises, des contraintes qui, on peut le supposer, ont pu inhiber, sinon exclure, le développement à la fois des solutions radicales pour les problemes, et des solutions théoriques, abstraites et impraticables." Pour une analyse comparative des pensées chinoise et grecque anciennes en rapport avec leurs arrière-fonds sociaux et politiques différents, voir Collins, 1998: 146 S. 22. Les exemples suivants sont tirés d'une étude intitulée Karma and teleology: a problem and its solutions in Indian philosophy (Bronkhorst, 2000a). D'autres développements doctrinaux inspirés par des défis intellectuels différents sont discutés dans Bronkhorst, 1999a. 23. Halbfass, 1991: 311-312. La section concernée est VS(C) 6.2.1 ss. 24. Pour le sujet qui nous concerne ici, c'est surtout le Brahmasutrabhâsya de Sankara sur le sūtra 2.2.12 qui nous intéresse; cf. Bronkhorst 1996; ainsi que 25. WI p. 10 $ 58:... sarvatmagatavotrilabdhadrstāpekşebhyas tatsamyogebhyah pavanaparamánusu karmotpattau.... 26. WI p. 65-66 8 318: aviduso rāgadveşawatah pravartakad dharmár prakrståt svalpádharmasahitad brahmendraprajapatipitrmanusyalokesy asayanurupair istasarirendriyavisayasukhadibhir yogo bhavati tathā prakrstad adharmár svalpadharmasahitārpretatiryagyonisthanesyanistasarir. endriyavisayaduhkhadibhir yogo bhavati evam pravrttilaksanad dharnidd adharmasahitdd devamanusyatiryannärakesu punah punah samsarabandho bhavatil. Les commentateurs Sridhara et Vyomasiva expliquent l'expression ašavanurupa comme karmánuripa. 1993.

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