Book Title: Pourquoi La Philosophie Existe T Elle En Inde
Author(s): Johannes Bronkhorst
Publisher: Johannes Bronkhorst

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Page 11
________________ ÉTUDES DE LETTRES POURQUOI LA PHILOSOPHIE EXISTE-T-ELLE EN INDE? 27 égards ils ont des positions qui sont des reflets mutuels. Aucune similarité de ce genre n'existe entre la philosophie Samkhya et le système bouddhique ou Vaiseșika. Dans le cadre de cet article, il n'est pas possible d'élaborer ces observations en fournissant des détails. Toutefois, la situation est assez remarquable pour justifier la conclusion que, en toute probabilité, le système Vaišeşika fut créé en réaction à un système particulier de philosophie bouddhique - nommé Sarvästivada dont il se rapproche à certains égards Bien que cette conclusion ne soit que provisoire, elle suggère que l'impulsion originale pour le développement de la philosophie rationnelle indienne provint du bouddhisme. Ce qui est une chance, car un nombre considérable de textes bouddhiques sont préservés, datant d'avant et vers le début de l'ère chrétienne. Parmi ces textes, nombreux sont ceux qui ne contiennent rien qui ressemble au genre de philosophie rationnelle que nous recherchons, mais c'est le cas pour certains d'entre eux. Afin d'apprécier ce fait à sa juste valeur, permettez-moi de décrire brièvement et de façon schématique comment le bouddhisme s'est développé après la disparition de son fondateur. On fit des tentatives pour préserver son enseignement dans un sens plus étroit (sutra). En outre, on fit des efforts pour distiller de son enseignement les idées et les concepts les plus importants, des listes des soi-disant dharmas en résultèrent, qui furent ordonnées de façon élaboree, et commentées dans les textes de l'Abhidharma-Pitaka, "la corbeille des choses qui ont trait à l'enseignement". Deux collections de textes portant ce nom ont été préservées dans leur entier, appartenant à deux écoles bouddhiques différentes: l'Abhidharma-Pitaka de l'école du Theravāda, et celui qui appartient à l'école du Sarvāstivāda. Une étude plus attentive révèle des différences importantes entre ces deux collections. La différence la plus importante, pour le sujet qui nous concerne ici, est la présence dans la corbeille du Sarvästivāda d'une nouvelle façon d'ordonner et de classifier les dharmas, qui est nommée pancavastuka. Avant l'introduction du pancavastuka, et dans tout l'ensemble des textes du Theravāda, les dharmas étaient classés à l'aide d'une schématisation qui, comme on le croyait, dérivait du Bouddha lui-même, mais qui était insatisfaisante et même problématique à bien des égards. D'un point de vue historique, les difficultés liées à cette schématisation plus ancienne sont faciles à expliquer: l'idée d'énumérer et de classer les dharmas était survenue bien après la disparition du Bouddha, et ainsi toute tentative de retrouver parmi ses paroles des schémas classificatoires pour ces derniers était vouée à l'échec. La nouvelle classification, le pañcavastuka, apporta une certaine mesure de raison et de cohérence à la scolastique du Sarvāstivāda. En outre, ce développement fut accompagné par d'autres, qui, ensemble, transformerent la tentative initiale de préserver les concepts enseignés par le Bouddha en une tentative de créer un système philosophique cohérent. Pour des raisons que nous ne pouvons pas exposer ici, la liste des dharmas devint une liste de tout ce qui existe. De surcroit, de la doctrine originale du non-soi, on tira la conclusion qu'aucun objet composite n'existe. Les paroles du Bouddha: "toute chose est éphémère et donc douloureuse", en vinrent à signifier que toute chose est momentanée et n'existe que pour un instant. On introduisit de nouveaux dharmas, dont la tâche principale était de rendre le schéma ontologique ainsi créé cohérent et intelligible. Bref, l'école bouddhique du Sarvāstivāda subit un processus de rationalisation. En revanche, l'école du Theravada ne subit aucun développement comparable. Comment expliquer cette différence entre le Sarvästivāda et le Theravāda? Cette question invite une réponse facile, presque évidente, si nous considérons où et quand les Sarvāstivādins ont travaillé et vécu. Le Sarvästivāda appartenait au nord-ouest du sous-continent indien, c.-à-d. Gandhāra et les régions avoisinantes. Le Theravada, d'autre part, appartenait avant son émigration vers le Sri Lanka, à une région plus proche du sud; on a suggéré Vidišā”. Il y a de bonnes raisons pour penser que les premières tentatives Sarvästivāda ou protoSarvāstivāda de systématisation eurent lieu avant ou vers le milieu du deuxième siècle avant notre ère. Pendant cette période, il existait un royaume hellénistique au nord-ouest de l'Inde, un reste des conquêtes d'Alexandre le Grand. Nous savons d'autres sources que les rois hellenistiques avaient coutume de cultiver la philosophie et aimaient à s'entourer d'hommes sages à leurs cours, avec lesquels ils menaient 32. Cf. Willemen et al., 1998: 36 ss. ("History and Sarvästivāda"); 149 ss. Salomon, 1999: 5 S. 33. Frauwallner, 1956: 18. 34. Bronkhorst, 1987, surtout p. 64 s.; 1995; cf. 1995a. Il n'est pas très clair quand exactement le Sarvästivāda émergea comme une école identifiable; cf. Willemen et al., 1998: 147 s. 30. Voir Bronkhorst, 1992. 31. Ce paragraphe, ainsi que le suivant, se base sur le chapitre intitulé "Die Ordnung der Lehre" dans Bronkhorst, 2000: 76 ss.

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