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JOHANNES BRONKHORST
DISCIPLINE PAR LE DEBAT
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pas comme entièrement différente de la connaissance védique précédente, comme une nouveauté totale rompant avec la tradition. Bien au contraire, les conceptions védiques de la nature de la connaissance sacrée que nous venons d'étudier font de ce nouveau savoir une augmentation, une extension de ce que l'on savait déjà. Il se présente donc inévitablement sous une forme fortement brahmanisée, ou plutôt védisée. Il n'est pas besoin de le prouver en détail ici; d'autres chercheurs l'ont déjà fait. Les trois passages étudiés plus haut du Satapatha Brahmana (11.6.2: instruction de trois brahmanes par le roi Janaka), de la Brhadāranyaka Upanişad (6.2; instruction d'Aruni, père de Svetaketu, par le roi Jaivali Pravāhana), et de la Chandogya Upanişad (5. 3 sq.; même sujet) font l'objet d'une étude récente par Lambert Schmithausen (1994), qui a avancé l'hypothèse qui nous semble recevable : les deux derniers passages, ou du moins leurs parties doctrinales, descendraient d'un passage du Jaiminiya Brāhmana (1.45; pas question ici d'une instruction par un non-brahmane, ni d'une situation de débat) par l'intermédiaire d'un texte perdu que Schmithausen appelle *U et qui en serait une version modifiée, sous l'influence précisément de Satapatha Brahmana 11.6.2. En effet, ces deux passages upanişadiques parlent explicitement d'une renaissance dans ce monde, celui du Satapatha Brähmana donne l'impression de renvoyer vaguement à la doctrine de la renaissance tout en l'interprétant incorrectement », tandis que le passage du Jaiminiya Brāhmana ne fait ni l'un ni l'autre. De même, Toshifumi Goto a pu montrer (1996) que, des deux versions de l'enseignement de Sandilya - l'une dans le Satapatha Brāhmana (10.6.3), l'autre dans la Chandogya Upanişad (3.14) - la version brāhmanique ne concerne que l'enseignement secret sur le rituel de l'Agnicayana, enseignement que l'auteur de la version upanișadique a adroitement transformé en doctrine sur l'atman et le Brahman. De même encore, l'enseignement de Citra Gärgyāyani dans la Kausitaki Upanisad (1.1) concerne la renaissance et la délivrance, mais conserve, d'après Paul Thieme (1952), les traces d'un récit plus ancien qui n'en parlait pas. Enfin, l'enseignement de Yājñavalkya dans la Brhadāranyaka Upanişad 3, qui comprend des passages concernant la nature du Brahman et de l'âme, est l'élaboration d'une histoire-cadre qui se trouve dans le Satapatha Brahmana (11.6.3) sans le développement spéculatif de l'upanişada. D'après H. W. Bodewitz, qui suit en partie la thèse de Hyla Stunz Converse, l'idée d'une nouvelle mort dans l'au-delà (punarmytyu) et les raisonnements sur la manière dont on peut l'éviter (qui fait parfois partie de l'enseignement d'un ksatriya: ŚPaBr 10.6.1; JaimBr 1.22-25)
semblent être une étape dans le processus d'incorporation de la doctrine de la transmigration dans la pensée védique"
A considérer l'adaptation de la doctrine du karman et de la renaissance à son nouvel environnement, rien ne garantit que la forme de la doctrine que nous trouvons dans les textes védiques soit proche de celle acceptée dans les cercles non védiques auxquels elle avait été empruntée. Les textes védiques ne peuvent la présenter que sous une forme adaptée à son nouveau contexte, comme un approfondissement des réflexions (des connaissances ») déjà présentes dans la tradition védique.
On comprend sans peine comment les circonstances décrites plus haut et, en particulier, la conception de la nature de la connaissance sacrée ont conduit beaucoup d'indianistes contemporains à considérer la doctrine du kanman et de la renaissance comme un développement interne à la pensée védique. La façon dont la nouvelle doctrine fait partie intégrante des spéculations védiques, souvent liées au sacrifice, semble plaider en faveur de cette hypothèse. L'impression créée par cette intégration réussie n'est pourtant pas fiable. La tradition védique ne pouvait pas accepter des idées non védiques sans les intégrer complètement. Loin de chercher à déguiser l'origine véritable de ces idées-nous avons vu que quelques passages dévoilent ouvertement leur origine non vedique - cette intégration fut la condition sine qua non pour que, à rang égal ou supérieur, elles trouvent leur place parmi les conceptions védiques les plus anciennement établies.
NOTES
1. Malamoud, 1989: 22. 2. Voir également notre article. Svetaketu and the upanayana (1996).
3. Witzel (1987: 368 n. 14) attire l'attention sur le fait que la connaissance d'Uddalaka conceme les pieds, la partie la plus basse du corps et liée, depuis le Rgveda, aux südra. Il voit dans ce passage un moyen de la part des auteurs de la Chandogya Upanisad (des Samavedin) pour abaisser Uddalaka, célebre enseignant du Satapatha Brahmana. Notons pourtant qu'Uddalaka perdegalement dans un passage du Satapatha Brahmana (11.4.1: voir plus bas), et que la connaissance d'Aruna Aupavesi, père d'Uddalaka. concerne elle aussi les pieds selon, de nouveau, le Satapatha Brahmana (10.6.1.4; voir plus bas).
4. SPaBr 10.6.1.3:[bhyddharta samtidha upetå stheti. 5. C. GPabr 1.3.6 sq. 6. Voir également Insler, 1990.
7. BĀrUp 3.6.1: kasmin nu khale brahmaloka ota ca protas ceti sa hovaca: gang! maripraksih/ ma te m dhd wapeptar amata vai devaram aprechasil gorge maripriksir it. Pour des tentatives d'explication de la forme incorrectemd vor tar, voir Witzel, 1987: 400 sq.: Insler, 1990: 98 n. 2.