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La fascination jaina pour l'alchimie
NALINI BALBIR
L'examen de quelques scènes d'alchimie, amorcé dans la première livraison de ce journal, visait à montrer l'intérêt qu'il y aurait à prendre en compte la littérature narrative jaina en prakrit et sanskrit pour la connaissance du rasaśāstra: de sa technique, de sa terminologie, de sa finalité.
Les difficultés inhérentes à l'étude de la littérature narrative jaina font qu'il est presque impossible d'être exhaustif d'emblée. Les livres ne sont pas de consultation aisée, sont généralement dépourvus d'index, parfois d'introduction. La trouvaille est donc en partie le fait du hasard. Elle se produit au gré de lectures menées à loisir.?
Celles que j'ai pu faire depuis un an viennent enrichir le dossier précédent, tout en permettant de préciser ou de développer certains points qui n'étaient alors qu'abordés.
Le présent article examine successivement le rôle des thèmes alchimiques dans la littérature narrative jaina, et de possibles vestiges du Jonīpāhuda, texte qui pourrait avoir été la source de l'enseignement alchimique.
La quête de l'or alchimique et ses buts
1. En Inde, comme en Chine, l'alchimie passe généralement pour une technique magicospirituelle dont le résultat doit être l'immortalité, ou, du moins, la longévité. Cela est vrai des milieux yoguiques et tantriques à l'origine des rasaśāstra; cela l'est beaucoup moins des protagonistes que nous voyons à l'oeuvre dans les narrations jaina du 6ème au 14ème siècle: selon toute apparence, leurs motivations sont essentiellement matérielles. Voici quelques exemples indiscutables.
Jeune fils de marchand devenu orphelin, Guņamdhara est contraint de chercher fortune dans une contrée étrangère. Ses errances le conduisent auprès d'un chef de bande (pallivai: sk.pallīpati) qui, au moment de lui donner congé, lui remet une calebasse
Référence à la page et à la ligne des textes, ou, le cas échéant au numéro de la strophe (précédé de v. = vers)
JEĀS, 1, 1990, 149-164. 2 Un bref séjour à Berlin (juin 1991) m'a été très utile à cet égard.
3 Compléments à JEĀS, 1, $ 15.
4 Aux ouvrages de M. Eliade et J. Needham mentionnées dans JEĀS, 1, on ajoutera, de M. ELIADE, L'alchimie asiatique (Alchimie chinoise et indienne), essai de 1935. Traduit du roumain par Alain Paruit. Paris 1990. Sur la distinction entre "alchimie de laboratoire" et "alchimie intérieure" (nei-tan) dans la civilisation chinoise, voir, récemment Cahiers d'Extrême Asie, 5, 1989-1990, 141ss. et 264ss.
Puhaicandariya de Santisūri, composé en 1105 (saravat 1131). Éd. Pamnyāsa Muni Shri Ramnikvijayji. Ahmedabad, Varanasi 1972 (Prakrit Text Society Series 16), 181ss.