Book Title: Pourquoi La Philosophie Existe T Elle En Inde
Author(s): Johannes Bronkhorst
Publisher: Johannes Bronkhorst
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Page #1 -------------------------------------------------------------------------- ________________ POURQUOI LA PHILOSOPHIE EXISTE-T-ELLE EN INDE?' Cet article attire l'attention sur la presence en Inde d'une longue tradition de debat rationnel. Il compare cette presence avec l'absence d'une tradition similaire en Chine, et s'interroge sur la question suivante: pourquoi la Grece et l'Inde semblent etre les seules a avoir produit une telle tradition? Il se tourne ensuite vers la question centrale: pourquoi et comment cette tradition s'est-elle developpee en Inde? Cette investigation passe par la scolastique bouddhique et par des fouilles archeologiques en Afghanistan, avant d'aboutir a une reponse plus ou moins probable. Bien des indianistes sont extremement soucieux de demontrer qu'il existe quelque chose comme la philosophie rationnelle indienne. Ils sont peines par le fait que dans le monde occidental moderne la plupart des gens, y compris les philosophes, ne s'attendent pas a trouver une telle chose dans l'Inde ancienne. Suivant les idees recues, l'Inde est le pays de la spiritualite et de la sagesse, non de l'analyse froide et 1. Cet article est une version amelioree d'une conference presentee a l'Academie Royale Neerlandaise des Arts et des Sciences a Amsterdam, en novembre 1998, et qui fut publiee en 1999. En redigeant et en ameliorant le texte de cette conference, j'ai profite des discussions que j'ai eues avec differents chercheurs; je voudrais mentionner en particulier Richard Gombrich, Geoffrey Lloyd, Sara McClintock, Ada Neschke, Frits Staal. D'autres - parmi eux Tilmann Vetter et Hans Bakker - m'ont fait part de leurs precieuses reactions apres la conference donnee a l'Academie Royale Neerlandaise des Arts et des Sciences. Une seconde conference a l'Universite de Stanford en mars 1999 a provoque un debat anime, auquel surtout Bernard Faure, Allan Grapard et Carl Bielefeldt ont fait des contributions interessantes. Les discussions pendant l'atelier sur "La rationalite en Asie" (Leiden, 4-5 juin 1999) m'ont permis d'apporter d'autres ameliorations. Je n'ai pas besoin de specifier que je suis seul responsable des opinions que j'exprime ici. Page #2 -------------------------------------------------------------------------- ________________ ETUDES DE LETTRES POURQUOI LA PHILOSOPHIE EXISTE-T-ELLE EN INDE? 9 tradition d'investigation rationnelle en Inde s'exprime, comme je l'ai deja indique, dans sa tradition de debat rationnel et dans les resultats de cette derniere, les tentatives qu'ont faites bien des penseurs pour ameliorer leur propre systeme, avec les raffinements et les developpements qui s'en suivent. L'autre condition que je n'ai pas encore specifiee, c'est que dans une tradition d'investigation rationnelle, il n'y pas de zones de la realite qui soient fondamentalement au-dela du do du debat serieux. Ces idees recues datent d'avant le debut de notre ere, et il est peu probable qu'elles vont disparaitre dans un futur proche. Mais ces idees recues sont fausses, comme chaque indianiste le sait. L'Inde a une longue tradition de debat rationnel, liee a des tentatives systematiques de comprendre le monde et notre place dans ce dernier. Pendant longtemps, differents systemes de philosophie ont existe cote a cote, et pendant la plupart de ce temps, leurs adeptes ont fait des efforts majeurs pour montrer que seul leur propre systeme avait raison, et que les autres avaient tort, ou etaient incoherents. Ce debat suivi eut pour consequence que bien des penseurs ont essaye d'ameliorer leurs propres systemes, et, ce faisant, les ont raffines et developpes. Simultanement, l'art du debat et de la preuve a recu une attention soutenue, et la logique a subi de longs developpements que les chercheurs sont encore en train d'eclaircir? J'appellerai une tradition d'investigation rationnelle ces caracteristiques combinees, jointes a une autre condition que je vais specifier dans un instant'. L'Inde possede une telle tradition d'investigation rationnelle, mais, comme je me propose d'en argumenter, on ne peut pas en dire autant pour toutes les cultures humaines. La presence d'une 2. Les discussions pendant l'atelier sur "La rationalite en Asie" m'ont convaincu de l'importance d'une de ces caracteristiques, a savoir, que les penseurs se sentent obliges d'ameliorer leurs propres systemes sous l'influence des critiques dirigees contre eux. On peut trouver des exemples de critiques et de dissensions dans toutes sortes de cultures humaines, mais des exemples des changements qui en resultent dans les systemes soumis a la critique sont peut-etre bien moins frequents. De tels changements constituent toutefois la dynamique de l'histoire de la philosophie indienne classique, comme je me propose de le montrer ci-dessous. Voir aussi l'article "Pour comprendre la philosophie indienne". dans ce volume. Randall Collins (1998: 163 s.) traite du meme probleme quand il remarque qu'il existe des preuves abondantes qu'un conflit peut parfois s'averer creatif, mais que certaines sortes de rivalites structurales stimulent l'innovation par l'opposition, tandis que d'autres ont un effet oppose sur la vie intellectuelle. provoquant la stagnation et le particularisme; ce que Randall Collins n'a pas envisage, c'est que la presence ou l'absence d'une tradition d'investigation rationnelle (voir ci-dessous) nous aidera peut-etre a resoudre ce probleme. 3. Un tel usage du terme 'rationnel' n'est pas nouveau, et il est proche de l'usage qu'en font William Warren Bartley III et Peter Munz; cf. Munz, 1985: 50: "Si nous sommes des panrationalistes, nous disons qu'il est rationnel de critiquer toute chose et de n'adherer qu'aux enonces qui ont jusque-la resiste a la critique Selon cette vue, la 'raison' ne denote pas une faculte substantive ou une methode correcte pour en arriver a des enonces qui sont vrais, mais une qualite negative. Lorsqu'on est rationnel, on est ouvert a la critique et une invitation absolument sans limites a la critique est l'essence de la rationalite." Cf. en outre la remarque attribuee a K. Popper par Piatek (1995: 171): "Il n'y a pas de meilleur synonyme pour 'rationnel que 'critique" (cf. Popper, 1998: 109; Artigas, 1999; aussi Miller, 1994; Munz, 1993: 177.)-Notons que Platon deja decrivait le raisonne ment comme "le debat silencieux de l'ame avec elle-meme" (Sorabji, 1993: 10, avec des references au Theetete 189E-190A, Sophiste 263E-264A, et Philebe 38C-E, mais voir aussi Sorabji, 1993: 65-67), c'est-a-dire, ce que nous pourrions appeler un debat interiorise; cf. la note 6, ci-dessous. En outre, Sorabji attire notre attention (1993: 36-37, puis 67-71; avec des reference au De Anima 3.3) sur la declaration d'Aristote que "la croyance implique la persuasion, qui a son tour implique la possession de la raison (logos)." Ceci n'implique pas forcement un dialogue avec d'autres, et Sorabji assume que "Aristote permettrait a sa persuasion d'etre une auto-persuasion".-L'usage du terme 'rationnel' preconise ici dispose de l'obligation de distinguer entre differentes formes de 'raison ou de 'rationalite', comme le maintient par exemple Pierre Vidal-Naquet (Vernant & Vidal-Naquet, 1990: Presentation). 4. Il est interessant de rappeler ici ce que Richard H. Popkin, un des plus grands experts de la tradition sceptique en Occident, dit sur le scepticisme (1996: xviii): "Pendant des annees, j'ai caresse l'idee d'ecrire un article decrivant le scepticisme comme une lettre anonyme. La question de savoir qui est l'auteur a un certain interet, mais ce n'est pas la question principale. Le destinataire a la lettre. La lettre suscite une serie de problemes pour le destinataire lorsqu'il doit defendre sa position philosophique dogmatique. Que l'on trouve ou que l'on identifie l'auteur anonyme, mort ou vivant, sain d'esprit ou non, n'est d'aucune aide lorsqu'il s'agit de resoudre ou de rejeter les problemes. Il importe donc peu de savoir si le scepticisme peut etre expose de facon consistante. La pointe de l'attaque sceptique reside dans l'effet qu'elle a sur le dogmatiste, qui ne peut echapper a l'attaque en denoncant l'adversaire sceptique, qu'il n'est peut-etre pas en mesure de trouver, d'identifier ou de classer. C'est aux dogmatistes qu'il revient de se de fendre, s'ils le peuvent, sans se demander si le sceptique existe reellement comme un membre en chair et en os de la race humaine, ou comme un pensionnaire fou furieux d'un hopital psychiatrique, ou comme un personnage de science fiction. ... Le sceptique, reel ou imaginaire, a pousse les non-sceptiques a s'efforcer en core et encore a trouver une maniere coherente et consistante de mettre un ordre acceptable dans leur maison intellectuelle (acceptable pour des dogmatistes honnetes), tout cela pour realiser qu'un autre sceptique, reel ou imaginaire, est en train de creer une autre masse de doutes qui requierent d'autres examens et reflexions. Le sceptique, l'auteur de la lettre anonyme, n'a pas besoin de faire partie de ce processus, mais il n'a qu'a attendre ses resultats, et se tenir pret a composer une autre lettre anonyme." Page #3 -------------------------------------------------------------------------- ________________ ETUDES DE LETTRES POURQUOI LA PHILOSOPHIE EXISTE-T-ELLE EN INDE? 11 maine de l'examen critique, il n'y a pas de zones qui devraient etre du ressort exclusif de la tradition, de la revelation ou de l'intuition. Cet aspect semble lie a la croyance que l'investigation rationnelle peut etre utilisee meme dans des domaines qui pourraient empieter sur d'autres sources d'autorite, comme la tradition et la religion, ou meme la perception ordinaire. Ce n'est peut-etre pas une coincidence si la Grece antique et l'Inde ancienne ont vu, peu apres que les traditions d'investigation rationnelle se soient etablies, l'apparition de penseurs qui accordaient une confiance illimitee au pouvoir du raisonnement. Les Eleates en Grece et Nagarjuna et ses disciples en Inde n'ont pas hesite a reieter la realite percue, non pas sur la base de la tradition, de la revelation ou d'une intuition speciale, mais sur la base de la simple argumentation. J'ajoute que le fait de posseder une tradition d'investigation rationnelle n'implique pas que chaque penseur soit rationnel, c.-a-d. critique et ouvert a tous les egards et dans tous les domaines sur lesquels il s'exprime. En outre, le fait de posseder une tradition d'investigation rationnelle n'est pas la meme chose que le fait d'etre capable de penser intelligemment. Les gens peuvent penser intelligemment sur toutes sortes de choses, sans pour autant empieter sur des domaines qui appartiennent a la tradition, a la revelation, a l'intuition ou a la religion'. La presence d'une tradition d'investigation rationnelle en Inde peut sembler tout sauf remarquable aux heritiers modernes de la pensee grecque que nous sommes, mais je pense neanmoins qu'elle l'est. Il semble qu'a part la Grece et l'Inde anciennes, et leurs heritiers, il n'existe pas d'autre instance ou une tradition independante d'investigation rationnelle se soit produite. Je realise que cette declaration va particulierement deranger ceux qui maintiennent qu'il y a trois traditions philosophiques dans l'histoire humaine: celles qui sont rattachees respectivement a l'Europe, a l'Inde et a la Chine. Il semble que la Chine n'a jamais eu de tradition rationnelle dans le sens que je propose ici. Je discuterai de ce point en suivant l'exemple du sinologue A.C. Graham, qui a mene une reflexion profonde sur la question de la rationalite en Chine Il est interessant de relever que Graham ne pense pas que la Chine ait connu la rationalite. Il dedie un chapitre de son livre Disputers of the Tao (1989) a cette question. A la page 75, nous y lisons: "En Chine, la rationalite se developpe avec les controverses des ecoles, et Sont par oir Schar ature an 5. Cette derniere condition distingue en particulier une tradition d'investigation rationnelle d'une rationalite telle qu'elle est comprise par differents auteurs. Voir, par ex., Staal, 1989; Goody, 1996: ch. 1. Un debat contemporain ou les parties impliquees ne semblent pas pretes a accepter qu'il n'y ait pas de zones de la realite qui soient fondamentalement au-dela du domaine de l'examen critique est le dialogue religieux entre les musulmans et les chretiens. Cf. Waardenburg, 1998: 48: "Le debat entre les deux religions tient ainsi d'une sorte de competition pour la possession de la Revelation", et p. 109: "Aussi triviale que la remarque puisse paraitre, la difference essentielle entre un monologue et un dialogue reside tout de meme dans le fait que dans le second cas on ecoute et repond a ce qu'a dit l'autre.... Dans ce sens, le dialogue inter-religieux et notamment celui entre musulmans et chretiens commence a peine." 6. Il s'agit la d'une caracteristique durable dans les deux traditions. Pour la Grece, cf. Lloyd, 1991: 102: "L'empressement des philosophes grecs anciens, moyens et tardifs a approuver des solutions radicales et radicalement contraires a l'intuition - menees par des arguments - est certainement un phenomene frequent caracteristique de ce que les Grecs eux-memes comprenaient par rationalite." Pour 'Inde, voir l'exemple de Vasubandhu dont nous discuterons plus bas, ainsi que d'autres exemples dans Bronkhorst, 1999a. 7. Notons qu'une tradition d'investigation rationnelle, un fait social, est ici considere comme exercant une influence decisive sur la pensee individuelle, un fait psychologique. Cf. Horton, 1993: 330: "Le Vieil Adam ... est tout sauf spon tanement autocritique. Autant que possible, il s'accroche a son cadre etabli, quoi qu'il arrive. S'il commence a le critiquer lui-meme, c'est d'habitude seulement pour anticiper les attaques critiques des autres penseurs voues a des cadres - vaux. Dans un contexte consensuel, de tels autres sont par definition absents." 8. Pour des etudes tres recentes, voir Scharfstein, 1997; 1998: chapitre 1. Pour des references a la litterature anterieure, voir Halbfass, 1997: 302. Pour des references a la litterature qui reconnait plus que trois traditions philosophiques, voir Halbfass, 1997: 301; Scharfstein, 1998: note ad p. 4-5, et p. 532 note 6. 9. Cf. en outre Jullien, 1995. Pour une discussion recente de cette question, voir Goody, 1996:26 s. A ce propos, la discussion de Kohn (1995) sur les debats entre bouddhistes et taoistes est interessante. 10. Les reflexions de Graham induisent J.J. Clarke (1997: 200) a remarquer qu'il est plausible d'argumenter que les manieres de penser orientales ont une rationalite qui peut differer a certains egards de celles qui sont caracteristiques de l'Occident, mais qui n'en est pas pour autant moins "rationnelle Personnellement, j'inclinerais plutot a etre du meme avis que Chad Hansen, qui - dans un chapitre sur les "reflexions methodologiques" qui concorde de duverses manieres avec les positions que j'ai prises concernant l'interpretation d'un texte indien (Bronkhorst, 1986: xiii s.) -fait l'observation suivante (1983: 19): "... le fait que la philosophie chinoise est logique dans un sens pour ainsi dire inne n'est pas une decouverte mais (notre decision. C'est une decision que de proposer, critiquer, et defendre des interpretations d'une maniere particuliere, usant de la consistance et de la coherence comme standards critiques." Bien entendu, cette position methodologique ne nous dit pas dans quelle mesure les penseurs chinois eux-memes etaient prets a appliquer de tels standards dans des domaines appartenant a la tradition, a la revelation, a l'intuition ou a la religion Page #4 -------------------------------------------------------------------------- ________________ - 12 ETUDES DE LETTRES POURQUOI LA PHILOSOPHIE EXISTE-T-ELLE EN INDE? 13 s'affaiblit lorsqu'elles diminuent apres 200 apres J.C." Il attire notre attention sur les soi-disant 'sophistes' en Chine, et les compare avec les Eleates grecs: "Rien ne saurait etre plus desorientant, plus perturbateur, que la raison qui s'eveille pour la premiere fois a ses pouvoirs et s'en delecte. On peut bien se demander comment la philosophie depasse jamais ce stade, avec les paradoxes les plus anciens qui reviennent a jamais la tourmenter. La premiere decouverte de la raison sans inhibitions, c'est qu'elle mene inevitablement a des conclusions absurdes. Alors pourquoi aller plus loin? Les Grecs sont alles au-dela de cette desorientation initiale, les Chinois jamais." (1989: 75-76). On peut se demander si la facon de questionner des Eleates devrait etre decrite comme une "desorientation", meme si le terme pourrait tres bien s'appliquer a la situation chinoise. Les Eleates ont utilise leur raison non seulement pour ebranler la conception universellement acceptee du monde reel, mais aussi pour determiner comment est la realite: non nee, imperissable, entiere, unique, immuable, etc". Notons ici que le philosophe indien Nagarjuna a atteint la conclusion tout aussi concrete et hardie que rien n'existe, comme les analyses recentes de Claus Oetke l'ont montre. D'autre part, les penseurs chinois que Graham mentionne ne semblent pas avoir utilise leur raisonnement pour grand-chose d'autre que des discours pinailleurs et paradoxaux", comme on les accusait de le faire. En effet, un de leurs paradoxes les plus fameux concernait le cheval blanc": ils pretendaient qu'un cheval blanc n'est pas un cheval. Il semble donc qu'en Inde et en Grece, la raison pouvait etre utilisee pour poser des defis a la tradition et aux autres sources d'autorite, mais qu'en Chine on attacha bien moins d'importance a ce nouvel outil. Logiquement, il est peut-etre possible de comparer les situations dans les trois traditions. Du point de vue de l'importance attachee a l'argumentation rationnelle, meme entre les mains des soi-disant 'sophistes', il semble que le raisonnement en Chine n'ait pas depasse le niveau d'une simple Spielerei. Graham resume la situation dans son article "Rationalism and antirationalism in pre-Buddhist China" (1989a). Il y fait l'observation suivante (p. 142/98-99): "Vers 300 avant J.C., les Mohistes Tardifs entreprennent de fonder toute l'ethique mohiste sur l'analyse de concepts moraux. Il s'agit certainement la d'un type de rationalisme comme nous le trouvons en Grece, l'exemple le plus parlant dans toute la tradition chinoise. Mais les sophistes ont deja provoque la reaction du taoiste Chuang-tzu (env. 320 av. J.C.), qui aura une influence bien plus durable sur la pensee chinoise. ... La position de Chuang-tzu est un 'anti-rationalisme' (le refus d'admettre que la raison est le moyen approprie pour voir les choses comme elles sont), plutot qu'un 'irrationalisme' (qui nous permet de voir les choses comme nous le voulons bien). Apres 200 av. J.C., la pensee chinoise est canalisee en direction du confucianisme orthodoxe (ethique, pratique, conventionnel) et du taoisme non orthodoxe (spontane, mystique, de mauvaise reputation). Le premier est souvent 'rationnel', dans le sens qu'il controle ses syntheses par l'analyse, mais pas 'rationaliste' au meme titre que la pensee des Mohistes Tardifs ou des Grecs, qui tente de detacher entierement la demonstration rationnelle de la synthese qui releve du sens commun; le second reste anti-rationaliste en tant que taoisme philosophique, et dans la continuation de ce dernier en tant que Ch'an ou Zen dans le bouddhisme chinois." Il semble clair que la Chine n'a jamais connu la naissance d'une tradition d'investigation rationnelle qui considere que le pouvoir du raisonnement n'est pas simplement utile ou amusant, mais qu'il est un instrument vital pour etablir la verite a tous les niveaux, meme a ceux que d'autres sources d'autorite revendiquent normalement". Dans ce 11. Cf. Guthrie, 1965: 26 s., 87 s. 12. Par ex. Oetke, 1988. Il est regrettable que Guthrie (1965: 53 n. 1), au lieu de comparer Parmenide avec Nagarjuna, le compare avec "illusion cosmique de la Maya dans la pensee indienne". Il n'est pas etonnant qu'il en arrive a la conclusion que "l'Inde et Parmenide sont diametralement opposes" et que "en realite, les motifs et les methodes des ecoles indiennes, et l'arriere-fond theologique et mystique de leur pensee, sont si fondamentalement differents de ceux des Grecs. que l'on ne retire que peu de profit de la comparaison". 13. L'absence d'une critique systematique eut des consequences que Landes decrit comme suit (1998: 344): "Cette absence d'echange et de defi, cette subjectivite, explique l'incertitude des gains et la perte facile de l'impulsion. Les savant chinois n'avaient aucun moyen de savoir quand ils avaient raison. C'est la recherche posterieure, surtout en Occident, qui a decouvert et accorde des lauriers aux reussites des plus inspires." Notons que Graham se preoccupait enormement de la question dont traite cet article, comme le revelent par exemple les questions qu'il a formulees dans la Preface de son livre, Later Mohist Logic, Ethics and Science (1978: xi): "Est-ce que l'ideal grec de la rationalite est une decouverte que l'on a faite une seule fois dans l'histoire, ou a-t-il des paralleles en Inde et en Chine? Y a-t-il des episodes dans la science orientale, tout comme dans la science grecque et medievale, qui anticipent en partie la Revolution Scientifique du 17e siecle?" Notons encore l'observation de Harbsmeier (1998: 268) concernant le degre ou, en Chine ancienne, "le raisonnement tendait a consister en un appel a l'exemple historique et Page #5 -------------------------------------------------------------------------- ________________ 14 ETUDES DE LETTRES POURQUOI LA PHILOSOPHIE EXISTE-T-ELLE EN INDE? 15 contexte, il est interessant d'observer que lorsque la logique indienne bouddhique fut introduite en Chine au septieme siecle de notre ere, elle ne survecut pas longtemps. Son sort fut d'etre transmise comme une science secrete dans les cercles bouddhistes, et d'etre totalement ignoree par tous les autres". Et mille ans plus tard, lorsque l'astronomie mathematique occidentale fut introduite en Chine et acceptee par un decret imperial, ses principaux defenseurs chinois arguerent que ses fondement archaiques etaient originaires de Chine, et s'etaient subsequemment propages vers l'Occident, si bien que son etude ne pouvait etre tenue pour un rejet de la traditions La comparaison avec la Chine est interessante et utile de bien des facons. Elle montre que l'absence d'une tradition d'investigation rationnelle n'a absolument rien a voir avec de la stupidite ou un etat arriere. La Chine, comme nous le savons maintenant grace a l'aeuvre de Joseph Needham, Science and Civilisation in China, a fait un grand nombre de decouvertes importantes dans le domaine de la technologie au cours de son histoire, et elle etait peut-etre la nation la plus avancee du monde, technologiquement parlant, a l'aube de la revolution scientifique en Europe. Autrement dit, le fait de ne pas posseder une tradition d'investigation rationnelle n'est pas la meme chose que le fait de ne pas etre capable de penser intelligemment. Il semble donc possible qu'il existe deux, et seulement deux, traditions independantes de debat et d'investigation rationnels (dans le sens indique plus haut) dans l'histoire de l'humanite. Ces deux traditions, a l'autorite traditionnelle", tout le contraire de ce que nous entendons par investigation rationnelle. 14. Voir Frankenhauser, 1996, surtout p. 19, 25. Harbsmeier (1998: 361) remarque, sans doute avec raison, "que la logique bouddhique en Inde avait ses racines sociales dans la pratique courante des debats philosophiques publics, alors que cette pratique sociale ne s'est jamais tout a fait enracinee en Chine". Harbsmeier note encore qu'il a accompli une etude comparative des versions sanskrite et chinoise du Nyayapravesa (avec l'aide de plusieurs sanskritistes), ce qui l'a mene a la remarquable conclusion suivante (p. 402): "La traduction chinoise de Hsuan-Tsang est non seulement souvent une amelioration de l'original sanskrit, mais elle s'est en general averee a ma grande surprise aussi plus facile a lire." Ceci suggere qu'il n'y a absolument aucune raison d'imputer a la langue chinoise le role relativement mineur de la logique en Chine. Vers la fin du livre de Harbsmeier, nous trouvons les reflexions suivantes en ce qui concerne la logique bouddhique chinoise (yin ming) (p. 414): "On peut se demander pourquoi cet essor logique remarquable en Chine resta aussi marginal qu'il le fut dans toute la tradition intellectuelle chinoise. Des questions evidentes et eternelles reemergent de ces considerations sommaires: Pourquoi la logique bouddhique ne devint-elle pas populaire, meme parmi les bouddhistes chinois, sans meme parler des penseurs chinois appartenant a d'autres traditions? Pourquoi ne trouvons-nous d'ailleurs pas la presence soutenue d'une sous-culture intellectuelle importante cultivant les traditions de yin ming et de logique mohiste? Pourquoi est-ce que personne ne voulait lire la litterature vin ming? Pourquoi ceux qui la lurent a des epoques plus tardives eurent-ils tendance a la comprendre de travers? Pourquoi la pratique de yin ming subit-elle un declin. alors que la logique aristotelicienne fut retablie et developpee en une discipline centrale dans le curriculum educatif curopeen? Ce sont la des questions qui appartiennent a proprement parler a l'anthropologie de la logique. Elles concement les conditions sociales et culturelles qui peuvent ou peuvent ne pas favoriser le succes culturel et sociologique de la pratique intellectuelle de la science de la logique." Se pourrait-il qu'une tradition d'investigation rationnelle doive figurer parmi les conditions sociales et culturelles qui peuvent favoriser ce succes culturel et social de la logique? 15. Sivin, 1982: 546 ss.; Jami, 1993; Engelfriet, 1998: 428. Il est douteux que Waley-Cohen ait raison lorsqu'elle declare (1999: 110): "Afin de promouvoir une attention serieuse envers une nouvelle connaissance, des chercheurs eminents ont cree le mythe que les mathematiques occidentales se sont developpees a partir d'anciennes idees chinoises. Ce n'est pas le chauvinisme culturel qui a produit cette invention, mais le desir d'assurer l'acceptation des methodes etrangeres en Chine, ou l'innovation gagnait une acceptation plus rapide avec la sanction de l'antiquite. Le fait de declarer une origine chinoise a la science occidentale donna tout a la fois de la legitimite a la connaissance etrangere et fit en sorte que l'etude des mathematiques et de l'astronomie fut integree au mouvement erudit qui promouvait un retour au confucianisme original." Il y eut aussi un regain d'interet pour la logique bouddhique (yin ming) au debut du 20e siecle en Chine, sa cause la plus importante fut probablement le "desir profond pour une identite logique et methodologique distinctement orientale. Le yin ming fournit un moyen d'etre scientifique de par la methode et profondement spirituel de par le but, tout en restant chinois ou du moins oriental de par la perspective de base." (Harbsmeier, 1998: 367). 16. Il n'est pas sans interet de rappeler a cet egard les expeditions maritimes impressionnantes qui menerent les Chinois vers de nombreuses contrees asiatiques et meme en Afrique quatre-vingts ans avant Vasco da Gama; voir Levathes, 1994: Landes, 1998: 93-98. David S. Landes, dans son livre The Wealth and Poverty of Nations (1998: 45 ss), attire notre attention sur le fait que de nombreuses inventions chinoises resterent confinees a la cour imperiale et n'eurent que peu d'impact sur la societe dans son ensemble. Il parle en outre du "mystere de l'echec de la Chine a realiser son potentiel" (p. 55 s., avec certaines explications qui ont ete proposees) et se demande pourquoi il y eut "une retraite et une perte subsequentes" apres une "creativite et une precocite exceptionnelles" (p. 339). En ce qui concerne les sciences naturelles, Huff (1993: 48; cf. p. 237 s.) note que "depuis le huitieme siecle jusqu'a la fin du quatorzieme siecle, la science arabe fut probablement la plus avancee du monde, surpassant de loin l'Occident et la Chine". Page #6 -------------------------------------------------------------------------- ________________ 16 ETUDES DE LETTRES POURQUOI LA PHILOSOPHIE EXISTE-T-ELLE EN INDE? 17 siecles! En soulevant ces questions et en considerant ces possibilites, la question qui forme le titre de cet article s'avere etre une sorte de meta-question concernant la philosophie indienne. C'est en fait une question sur ce que signifie l'existence meme de la philosophie indienne du point de vue de l'histoire de l'humanite en general. La question de savoir pourquoi et comment la philosophie rationnelle s'est produite en Inde a un parallele: pourquoi et comment la philosophie rationnelle s'est-elle produite en Grece? Contrairement a la precedente, cette question a recu une attention genereuse dans la lit sous leurs formes accessibles les plus anciennes, sont liees respectivement a la Grece et a l'Inde. Une telle tradition, une fois qu'elle est vraiment etablie, obtient une impulsion propre, qui peut assurer sa continuation, meme dans des circonstances moins qu'ideales. La pensee grecque a par la suite influence le monde hellenistique et ses heritiers, principalement l'Europe occidentale et le monde de l'Islam, et sa tradition d'investigation rationnelle l'a suivie, souvent sous une forme diluee! La pensee indienne, surtout sous ses formes bouddhiques, s'est propagee vers l'est, et sa tradition d'investigation rationnelle, bien qu'elle n'ait pas reussi a s'imposer en Chine, a laisse ses traces dans la tradition de debat tibetaine. La possibilite qu'il y ait deux, et seulement deux, traditions d'investigation rationnelle independantes donne un interet qui va bien au-dela de l'indianisme a la question "pourquoi la philosophie existe-t-elle en Inde?" (si l'on accepte que la philosophie indienne, ou une de ses parties, soit l'expression d'une tradition d'investigation rationnelle). Si ce genre de philosophie est une chose si exceptionnelle, une chose qui ne se produit pas automatiquement la ou les etres humains ont le loisir de penser a davantage que leurs besoins quotidiens, pourquoi et comment s'est-elle produite en Inde, et dans nulle autre civilisation a part la Grece antique? La question devient encore plus interessante si nous considerons la proposition probable que le debat rationnel (y compris la critique), et le besoin de developper des systemes de pensee rationnels et coherents qui va de pair avec lui, etait (et est encore) un element essentiel (meme si ce n'est qu'un element parmi plusieurs) du developpement de la science moderne, et donc une condition prealable pour les developpements immenses et soudains qui ont change la vie sur terre au point de la rendre pratiquement meconnaissable dans une periode d'a peine deux 19. Plusieurs auteurs soulignent le role central de la competition inter-theorique dans la croissance de la science; voir par ex., Horton, 1993: 301-346 ("Tradition and modernity revisited", publie pour la premiere fois en 1982), surtout p. 318 s.; Lloyd, 1990: 37. Pour son refus d'accepter les ordres de l'autorite, voir Cohen, 1994: 157-160 ("The vanishing role of authority in science"). Landes (1998: 203 et p. 542 n. 9), mentionnant Noah Efron, se refere a David Gans, un vulgarisateur de la science du debut du dix-septieme siecle, selon qui l'on sait que la magie et les techniques divinatoires ne sont pas des sciences, parce que leurs praticiens ne debattent pas entre eux. Il faudrait ici souligner qu'une tradition d'investigation rationnelle peut egalement perdre une grande par. tie de son esprit critique en accordant un statut d'autorite a un ou plusieurs de ses penseurs critiques, par ex. Aristote. (Voir Decorte, 1992, pour une description de la philosophie europeenne medievale comme tentative de subordonner la rationalite a un but "superieur". D'autre part, pour une discussion comparative des universites europeennes medievales comme des institutions qui rendaient possible un "scepticisme organise", voir Huff, 1993.) Nous ne pouvons pas traiter ici de la question de savoir pourquoi et comment l'Europe occidentale, contrairement a bien des autres parties du monde, a en grande partie reussi a se debarrasser de sa tradition de commentaire (sur la notion de traditions d'exegese, voir Henderson, 1991). Randall Collins (1998: 793) est moins sur que l'Europe occidentale modeme se soit reellement liberee de cette tradition: "Un mode textuel et scolastique devient a nouveau preeminent dans l'erudition universitaire des annees 1800 et 1900, au sein de la philosophie ainsi que d'autres disciplines. L'etude et les commentaires de textes classiques d'Allemands morts' forment une grande part de la theorie sociologique contemporaine, et de facon plus generale, dans le monde academique contemporain, il y a une polemique sur l'attention portee au canon des 'males europeens blancs' une polemique dont les principaux resultats furent d'agrandir le canon, et non pas de s'eloigner du mode du commentaire textuel." Pour une description de la science moderne en progres de sa nature agoniste et des efforts principaux accomplis pour echafauder des positions qui peuvent resister a la critique la plus insistante emanant de "collegues competitifs, les observations de Bruno Latour et de Steve Woolgar (1979) sont utiles, bien qu'elles aient ete faites dans le but de soutenir une vue relativiste de la science, voir aussi Callon. 1989. Collins & Pinch, 1998 est moins relativiste, mais tout aussi interessant. Voir aussi Hull, 1988. 17. On peut se demander si les sciences indiennes ont participe a cette tradition de debat et d'investigation rationnels, et si elles en ont profite. Cf. Randall Collins, 1998: 551: "Du point de vue de l'organisation, les mathematiciens, les astronomes, et les medecins se basaient sur des lignees familiales privees et sur des guildes, et ne faisaient jamais partie de l'argument soutenu fourni par les reseaux philosophiques. Des reseaux d'argumentation publics ont existe en Inde: ses lignees philosophiques ont atteint des hauts niveaux de developpement abs. trait. Seules les mathematiques et la science n'ont pas suivi." Voir aussi Bronkhorst, 2001. 18. Sur la transmission de la pensee grecque a la culture arabe, voir Gutas, 1998. Les conquetes arabes, comme Gutas le montre (p. 13), ont unifie des regions et des peuples qui avaient ete hellenises pendant un millenaire, depuis Alexandre le Grand. Page #7 -------------------------------------------------------------------------- ________________ ETUDES DE LETTRES POURQUOI LA PHILOSOPHIE EXISTE-T-ELLE EN INDE? 19 terature savante. Il semble clair que la naissance subite de la connaissance scientifique et de la philosophie en Grece fut etroitement liee a la coutume repandue parmi les penseurs de discuter de facon critique, et de convaincre les autres de leur propre point de vue, qui etait en rapport avec la situation politique particuliere et commune dans la Grece antique. Dans son livre intitule Magic, Reason and Experience (1979), Geoffrey Lloyd, qui accomplit un travail important pour l'etude de l'origine et du developpement de la science et de la philosophie grecque, a attire notre attention sur le parallelisme qui existe entre deux caracteristiques importantes. L'une concerne la facon dont en Grece, des le sixieme siecle avant notre ere, les questions concernant la maniere dont la societe devrait etre reglee, et les merites et les demerites des differentes sortes de constitutions, devinrent un sujet de discussion ouverte, et pas seulement theorique. L'autre concerne une caracteristique importante de la pensee speculative grecque, celle d'etre capable de defier les assomptions profondes sur la 'nature et de debattre d'issues telles que l'origine du monde. Il observe ensuite (p. 249): "A certains egards, il semble que nous ne traitons pas simplement de deux developpements analogues, mais de deux aspects du meme developpement." Apres avoir soutenu et illustre cette observation de diverses manieres, il declare (p. 255): "La ou l'ensemble des citoyens pouvait debattre ouvertement de la facon dont l'Etat devrait etre gouverne, on peut presumer qu'il y avait moins d'inhibitions du moins dans certains milieux a defier les assomptions et des croyances enracinees concemant les phenomenes naturels', les dieux ou l'origine ou l'ordre des choses." Il est remarquable de constater dans quelle mesure les traits les plus caracteristiques de ce que je propose d'appeler une tradition d'investigation rationnelle principalement la discussion libre et non inhibee de toutes sortes de questions, meme dans des domaines qui pourraient empieter sur d'autres sources d'autorite - semblent intimement lies a la situation politique en Grece a cette epoque. Ce sont precisement les inhibitions, la peur d'empieter sur ces autres sources d'autorite, qui semblent empecher les traditions de debat et d'investigation rationnels de naitre dans la majorite des societes humaines? Avant d'aborder la question de savoir comment la philosophie s'est produite dans l'Inde ancienne, j'aimerais donner un exemple du fonctionnement de la tradition indienne d'investigation rationnelle. Mon exemple est une illustration concrete de la facon dont un refus de prendre la verite traditionnelle au pied de la lettre, sans comprehension rationnelle, c.-a-d. critique, a entraine deux changements majeurs dans la doctrine de deux ecoles de pensee importantes. Il concerne la Edward O. Wilson (1998: 22) fait les remarques suivantes sur la Revolution Scientifique et le Siecle des lumieres qui en decoula: "Il est a la mode de parler du Siecle des lumieres comme d'une construction particuliere effectuee par des males europeens a une epoque revolue, comme d'une maniere de penser parmi de nombreuses constructions echafaudees a travers les ages par une legion d'autres esprits dans d'autres cultures, chacune d'entre elles meritant une attention soigneuse et respectueuse. La seule reponse decente a cela est oui, bien entendu - mais seulement jusqu'a un certain point. La pensee creatrice est eternellement precieuse, et toute connaissance a de la valeur. Mais ce qui importe le plus a long terme dans l'histoire, c'est la seminalite, non le sentiment. Si nous nous demandons quelles idees furent les germes des espoirs ethiques dominants et partages de l'humanite contemporaine, lesquelles ont promulgue le plus grand progres materiel dans l'histoire, lesquelles furent les premieres de leur sorte et jouissent aujourd'hui de la plus grande emulation, alors, dans ce sens et malgre l'erosion de sa vision originale et les bases chancelantes de certaines de ses premisses, le Siecle des lumieres fut l'inspiration principale non seulement de la haute culture occidentale, mais, de plus en plus, du monde entier." Wilson (p. 21-22) nous dit que les initiateurs du Siecle des lumieres partagerent la passion de demystifier le monde et de liberer l'esprit des forces impersonnelles qui l'emprisonnent", ils "resisterent a la religion organisee (et) mepriserent la revelation et le dogme." Comme Tilmann Vetter me le rappelle, il y a de nombreuses formes de philosophie (occidentale) qui n'ont d'aucune facon contribue au developpement de la science moderne. De meme, Allan Grapard attire mon attention sur le fait qu'une partie importante de la philosophie occidentale n'est pas representative d'une tradition d'investigation rationnelle, et que le terme philosophie dans le titre de cet article est donc utilise dans un sens quelque peu restreint. 20. Voir, par ex., Verant, 1962, Lloyd, 1979: ch. 4; 1987: 78 s. Cf. aussi Popper, 1959: 149 s.; Lloyd, 1991: 100-120. Jullien (1995) montre dans quelle mesure la confrontation, une caracteristique courante de la vie politique et militaire de la Grece antique, contribua au developpement de la rationalite, alors que la Chine ancienne, qui evitait toute confrontation, ne developpa pas cette caracteristique. d'aucune facon tire mon attention stative d'une tra 21. La question de Joseph Needham ("Quels furent les facteurs inhibants dans la civilisation chinoise qui empecherent la naissance d'une science moderne en Asie, analogue a celle qui se produisit en Europe a partir du 16e siecle...?" citee dans Wulff, 1998: 9) peut donc trouver une reponse tout au moins partielle dans l'absence d'une tradition d'investigation rationnelle en Chine. Wulff (1998: 63) propose une autre reponse ("Pour ce faire, les Chinois ne possedaient tout simplement pas les presuppositions historiques specifiques, dont l'enchainement produisit le developpement en Europe"), et il enumere treize facteurs qui jouerent un role important dans le developpement de la science europeenne, cette approche semble eluder la question. Lloyd fait l'observation suivante en ce qui concerne la philosophie chinoise classique (1990: 125-26): il semble clair que dans la mesure ou les idees emises par un philosophe etaient adressees a un souverain qu'il esperait influencer, et dans la Page #8 -------------------------------------------------------------------------- ________________ ETUDES DE LETTRES POURQUOI LA PHILOSOPHIE EXISTE-T-ELLE EN INDE? 21 croyance en l'efficacite des actes, au-dela des frontieres de la mort et de la renaissance dans une autre vie. De bonnes actions entrainent de bons resultats pour leurs auteurs, et de mauvaises actions de mauvais resultats. Cette croyance etait partagee par la plupart des penseurs de I'Inde classique. Elle a egalement pose un probleme. De quelle maniere exactement les actions peuvent-elles entrainer de tels resultats dans un futur eloigne, peut-etre dans une autre partie du monde, ou dans un monde completement different? Par quel mecanisme est-ce possible? Une des ecoles de philosophie brahmanique qui s'est preoccupee de ces questions est l'ecole nommee Vaisesika. Ses reflexions ont passe par trois stades. Le stade le plus ancien est represente par le Vaisesika Sutra, le plus ancien texte de cette ecole qui soit parvenu jusqu'a nous. Apparemment, ce texte n'offre pas de solution au probleme. Une de ses sections utilise l'expression adrsta - qui signifie "le non vu", probablement dans le sens de "l'invisible" - qui refere aux resultats et aux buts "invisibles" des activites rituelles et ethiques, ainsi que les termes "merite" (dharma) et "demerite" (adharma)". Nous devons supposer que ces noms etaient utilises en relation avec un processus que personne ne pretendait encore comprendre. Le deuxieme stade est represente par la Kacandi, un commentaire sur le Vaisesika Sutra maintenant perdu, mais dont des fragments ont survecu dans des citations par d'autres auteurs. Les activites sont concues comme produisant du merite (dharma) et du demerite (Qdharma). Le merite et le demerite sont ici consideres comme des articles sur la liste des choses qui existent; le Vaisesika Sutra ne les avait pas encore reconnus en tant que tels. Plus precisement, le merite et le demerite sont consideres comme des qualites de l'ame, qui est une substance. Etant des qualites, ils inherent dans leur substance, l'ame, et sont d'une certaine facon inseparables de cette derniere, tout comme une couleur est inseparable de la substance a laquelle elle appartient. Cette relation etroite continue jusqu'a ce que la retribution se produise. Puisque chaque ame est tenue pour une substance omnipresente, on peut imaginer que ses merites et ses demerites exercent une influence sur des choses qui ne sont pas au meme endroit que la personne plus precisement: pas au meme endroit que le corps de la personne a laquelle elle appartient; le fait que l'ame est immortelle et que les merites et les demerites adherent a elle jusqu'a la retribution, explique que les effets des actes puissent se produire bien apres les actes eux-memes. De la meme facon, les actes des etres vivants, par l'intermediaire de leurs merites et demerites, peuvent determiner chaque nouvelle creation du monde -et, de fait, c'est bien ce qu'ils font. Les ames omnipresentes sont en contact (samyoga) avec les atomes dans lesquels leurs merites et demerites produisent des activites au moment de la creations. Ainsi, les actes determinent le corps, les organes des sens, et la quantite de bonheur ou de douleur qui seront notre lot, ainsi que les objets que nous rencontrerons Meme si nous sommes d'accord que le mecanisme de la retribution karmique est devenu un tant soit peu plus intelligible de cette maniere, il laisse evidemment encore beaucoup a desirer. Surtout sur le point suivant: comment est-ce que les qualites -en elles-memes inconscientes - du merite et du demerite arrangent le monde materiel de telle facon qu'une bonne personne en derive des experiences plaisantes, et qu'une mauvaise personne en derive des experiences deplaisantes? Les developpements ulterieurs de l'ecole nous montrent que les Vaisesikas eux-memes n'etaient pas entierement satisfaits de leur solution. Comment ont-ils resolu la situation? mesure ou le souverain lui-meme etait l'arbitre ultime de la valeur de ces idees, ces facteurs peuvent bien avoir impose certaines contraintes sur les idees qui, selon le souverain, valaient la peine d'etre emises, des contraintes qui, on peut le supposer, ont pu inhiber, sinon exclure, le developpement a la fois des solutions radicales pour les problemes, et des solutions theoriques, abstraites et impraticables." Pour une analyse comparative des pensees chinoise et grecque anciennes en rapport avec leurs arriere-fonds sociaux et politiques differents, voir Collins, 1998: 146 S. 22. Les exemples suivants sont tires d'une etude intitulee Karma and teleology: a problem and its solutions in Indian philosophy (Bronkhorst, 2000a). D'autres developpements doctrinaux inspires par des defis intellectuels differents sont discutes dans Bronkhorst, 1999a. 23. Halbfass, 1991: 311-312. La section concernee est VS(C) 6.2.1 ss. 24. Pour le sujet qui nous concerne ici, c'est surtout le Brahmasutrabhasya de Sankara sur le sutra 2.2.12 qui nous interesse; cf. Bronkhorst 1996; ainsi que 25. WI p. 10 $ 58:... sarvatmagatavotrilabdhadrstapeksebhyas tatsamyogebhyah pavanaparamanusu karmotpattau.... 26. WI p. 65-66 8 318: aviduso ragadvesawatah pravartakad dharmar prakrstat svalpadharmasahitad brahmendraprajapatipitrmanusyalokesy asayanurupair istasarirendriyavisayasukhadibhir yogo bhavati tatha prakrstad adharmar svalpadharmasahitarpretatiryagyonisthanesyanistasarir. endriyavisayaduhkhadibhir yogo bhavati evam pravrttilaksanad dharnidd adharmasahitdd devamanusyatiryannarakesu punah punah samsarabandho bhavatil. Les commentateurs Sridhara et Vyomasiva expliquent l'expression asavanurupa comme karmanuripa. 1993. Page #9 -------------------------------------------------------------------------- ________________ ETUDES DE LETTRES POURQUOI LA PHILOSOPHIE EXISTE-T-ELLE EN INDE? 23 Le Padarthadharmasangraha de Prasastapada, un traite de Vaisesika appartenant au sixieme siecle de notre ere, introduit, apparemment pour la premiere fois dans l'histoire du Vaisesika, la notion d'un Dieu createur omniscient et omnipotent. Un examen minutieux des passages qui traitent de ce Dieu montre que sa tache de loin la plus importante est celle de guider le processus de retribution karmique. Le Dieu supreme, ou plus precisement le dieu quelque peu inferieur qu'il cree, puis rend responsable de la periode du monde concernee, connait les effet des actes des etres vivant, et, a l'aide de cette connaissance, cree les etres vivants en accord avec leurs actes passes. De cette facon, le probleme du mecanisme de la retribution karmique est resolu, mais pas impunement. A la place du probleme teleologique initial, nous avons maintenant un Dieu createur, dont le pouvoir d'agir d'une facon reflechie est tenu pour donne. Ainsi, le probleme en est reduit a un probleme concernant la psychologie de Dieu. Le Vaisesika n'etait pas indifferent au probleme de la dimension teleologique de la psychologie humaine, qu'il tenta de resoudre selon des methodes semblables a celles du behaviorisme moderne. Toutefois, il est difficile de voir comment la psychologie humaine de l'ecole pouvait expliquer le comportement reflechi de Dieu, en accord avec la loi de la retribution karmique. Mais quoi que nous puissions penser d'autre sur l'introduction d'un Dieu createur dans le but d'expliquer la retribution karmique, une chose qui n'est pas toujours appreciee a sa juste valeur, c'est que ce developpement fut inspire par des considerations rationnelles, par un besoin intellectuel, et non pas, ou pas seulement, ni meme en premier lieu, par les developpements religieux de l'epoque. Bref, les penseurs de l'ecole du Vaisesika avaient essaye de resoudre l'enigme d'expliquer les actes teleologiques en termes de causes prochaines, et avaient echoue. Ils etaient pratiquement voues a l'echec; de nos jours encore, cette enigme demeure une des preoccupations centrales des philosophes et des hommes de science. Vasubandhu est un autre penseur indien important, qui vecut quelque peu avant Prasastapada. Vasubandhu appartenait a un courant de pensee totalement different. Il etait bouddhiste, et sa philosophie differait par bien des egards de celle de Prasastapada. Vasubandhu etait lui aussi rendu perplexe par le meme probleme, celui du mecanisme de la retribution karmique. Il opta lui aussi pour une solution radicale, bien que tout a fait differente de celle de Prasastapada. L'aspect le plus deconcertant de la retribution karmique, c'est que les residus des actes, qui sont d'une maniere ou d'une autre emmagasines dans l'esprit, ont en temps voulu un effet sur le monde materiel. Vasubandhu evita cette difficulte en declarant qu'ils n'ont pas cet effet. Les actes, leurs residus, et leurs resultats sont en fin du compte de simples evenements mentaux. Ceci implique bien entendu que Vasubandhu opta pour l'idealisme, pour la simple raison que ce n'est que de cette maniere que la retribution karmique allait devenir comprehensible. Certains chercheurs sont d'avis que l'idealisme est entre dans la pensee indienne bouddhique sous l'inspiration d'experiences meditatives27. L'idealisme existait en effet depuis un certain temps, lorsque Vasubandhu s'y convertit lui aussi. Je ne connais toutefois aucune indication que Vasubandhu se soit tourne vers l'idealisme sur la base d'une experience meditative. Tout au contraire, il en vint a l'accepter, comme nous l'avons vu, dans le but de rendre la retribution karmique intelligible, c'est-a-dire, sur la base de la reflexion critique. Les arguments qui ont ete avances pour demontrer que les premiers idealistes bouddhistes, les predecesseurs de Vasubandhu, ont base leurs convictions sur l'experience meditative, ne sont pas irrefutables. Les textes concernes ne sont pas depourvus d'ambiguite a cet egard, mais ils sont compatibles avec l'opinion que deja les premiers idealistes bouddhistes en etaient arrives a cette position dans le but de rendre possible une meilleure comprehension de la retribution karmique. Je ne peux pas elaborer ce point ici, mais j'en ai traite dans une autre etude Prasastapada et Vasubandhu prirent des decisions radicales qui devaient s'averer lourdes de consequences pour le developpement ulterieur de la pensee indienne. Ils le firent parce qu'ils ne voyaient pas d'autre maniere d'expliquer un dogme qu'ils tenaient pour certain: le dogme de la retribution karmique. A premiere vue, il se peut que les developpements qu'ils susciterent, ou qu'ils developperent, ne nous semblent pas typiques de la pensee rationnelle. Toutefois, un examen minutieux de leurs paroles et de leur entourage intellectuel nous montre qu'ils l'etaient. C'est-a-dire qu'ils etaient des reponses a un defi auquel ces deux penseurs se trouvaient confrontes. Ces exemples illustrent la mesure dans laquelle la tradition indienne d'investigation rationnelle fut confrontee a ses propres problemes, et en arriva a des solutions qui different parfois sensiblement de ce a quoi nous sommes accoutumes en Occident. Pour cette raison, 27. Voir Schmithausen, 1973; 1976. 28. Bronkhorst, 2000a: $ 11 Page #10 -------------------------------------------------------------------------- ________________ ETUDES DE LETTRES POURQUOI LA PHILOSOPHIE EXISTE-T-ELLE EN INDE? 25 il est justifie de parler de l'Inde comme d'une tradition independante, independante des philosophies qui se sont developpees dans la Grece antique et dans les parties du monde qui etaient sous l'influence de ces demieres. J'en viens maintenant a la question principale de cet article: pourquoi et comment la philosophie - c'est-a-dire la philosophie systematique - s'est-elle produite en Inde? Apres avoir note le lien entre l'apparition soudaine d'une tradition d'investigation rationnelle dans la Grece antique d'une part, et la situation politique qui allait de pair avec elle d'autre part, on est egalement tente de rechercher une situation politique similaire dans l'Inde ancienne. Malheureusement, cette demarche n'est pas prometteuse. Nous ne sommes pas du tout surs que quelque chose comme l'etat urbain grec ait jamais existe dans l'Inde ancienne Nous nous trouvons ici confrontes au probleme de rendre compte de l'apparition d'une tradition d'investigation rationnelle en Inde. Si les traditions d'investigation rationnelle ne sont pas le genre de choses qui apparaissent automatiquement et inevitablement partout ou certaines conditions minimales sont satisfaites, alors qu'est-ce qui fut responsable de l'apparition d'une telle tradition en Inde? Il n'est pas facile de repondre a cette question, surtout vu le faible nombre de documents conserves pour la periode qui semble la plus importante a cet egard. Nous entrons donc dans le domaine de la speculation, ou au mieux, de la conjecture plus ou moins bien documentee. Toutefois, l'importance du probleme ne nous laisse aucune autre alternative que de poursuivre. Que savons-nous de l'histoire ancienne de la philosophie systematique en Inde? Pas grand-chose. Des deux ecoles principales de l'ancienne philosophie brahmanique, le Samkhya et le Vaisesika, la premiere avait evidemment ses racines dans la periode pre-systematique. L'ecole classique du Samkhya preserve des traces de cette phase ancienne, et eut les plus grandes difficultes a ameliorer le systeme de sorte qu'il devienne plus ou moins coherent et resistant a la critique exterieure. Ses efforts ne furent qu'en partie couronnes de succes, et l'ecole disparait lentement de notre vue dans la seconde partie du premier millenaire. Le cas de l'autre ecole brahmanique, le Vaisesika, est tout different. Les tentatives erudites d'identifier ses racines preclassiques et pre-systematiques ne menent a rien, et il semble probable que le Vaisesika fut cree comme un systeme coherent. Une comparaison en profondeur avec la philosophie bouddhique courante durant les premiers siecles de notre ere montre que malgre de nombreuses differences, les deux systemes partagent un certain nombre de positions fondamentales. Plus precisement, ils partagent certaines positions, alors qu'a d'autres 29. Vijay Kumar Thakur (1981: 250) remarque: "nous ne sommes pas surs si des villes commerciales selon le modele athenien aient existe en Inde ou pas. Il est possible que quelques villes dans le Panjab, que les Grecs appelaient des 'villes independantes', aient ete des types similaires de villes commerciales le long des routes menant de l'Inde en Iran, en passant par le Panjab. Ceci voudrait dire qu'elles avaient un type de machinerie administrative completement different (de celui des autres villes indiennes). Bien que nous n'ayons pas de details sur l'administration de telles villes, on peut supposer que leur systeme administratif correspondait d'une certaine facon a l'administration des grandes oligar. chies tribales. Il se peut que l'administration urbaine, a la base de nature oligarchique, ait mene les affaires de la ville au moyen de discussions." Voir en outre Bongard-Levin, 1986: 67 s. Thakur continue (p. 250-52): "Jusqu'a l'epoque Maurya, les guildes se preoccupaient uniquement de leurs activites economiques, tout en exercant une certaine autorite sur leurs membres. Cette situation changea toutefois apres l'epoque Maurya. Un developpement tres important, et plutot innovateur, dans la politique de cette periode fut l'emergence de gouvernements presque autonomes dans au moins une douzaine de cites du nord de l'Inde, au deuxieme et premier siecle avant notre ere. L'administration de ces villes etait evidemment entre les mains des guildes. Des guildes de marchands appartenant a ces villes frapperent des monnaies de cuivre, ce qui incombe d'ordinaire au gou. vernement au pouvoir, car c'est un insigne important de la souverainete. Le terme nigama est clairement mentionne sur au moins cinq pieces de monnaie pre-indogrecques, quatre d'entre elles portent les noms des differents quartiers de Taxila, Encore une autre piece de monnaie trouvee de Taxila mentionne le terme panchanigama (sic). ... Une pratique quelque peu similaire semble avoir ete courante egalement a Kausambi, car elle est connue comme nigama sur une de ses pieces de monnaie. Des pieces de monnaie de la guilde des gandhikas, qui sirnifie litteralement parfumeurs, mais designe en realite des marchands en general. ont aussi ete trouvees dans la region autour de Kausambi.... De telles pieces representant certaines villes ne se trouvent pas a partir de la derniere partie du pre mier siecle avant notre ere. C'est une indication possible qu'avec l'etablissement des Satavahanas et des royaumes Kusana dans les deux premiers siecles de l'ere chretienne, ces villes aient perdu leur caractere autonome... Ahmad Hasan Dani (1986: 58 s.) exprime certaines reservations en ce qui concemne cette interpretation de nigama (qui remonte a D.R. Bhandarkar); voir aussi Thapar, 1992: 96; Chakrabarti, 1995: 311; Ray, 1994: 20, 192. Ray (1986:49) observe que "l'evidence numismatique suggere qu'apres la chute des Mauryas plusieurs villes prirent le pouvoir et frapperent leurs propres pieces de monnaie...", elle mentionne en particulier Mahismati, Tripuri, et Tagara ou Ter. a) Sur le role des aromes et des parfums lors des premiers echanges commerciaux, voir Donkin, 1999. ch. 1, surtout p. 15 s. Page #11 -------------------------------------------------------------------------- ________________ ETUDES DE LETTRES POURQUOI LA PHILOSOPHIE EXISTE-T-ELLE EN INDE? 27 egards ils ont des positions qui sont des reflets mutuels. Aucune similarite de ce genre n'existe entre la philosophie Samkhya et le systeme bouddhique ou Vaisesika. Dans le cadre de cet article, il n'est pas possible d'elaborer ces observations en fournissant des details. Toutefois, la situation est assez remarquable pour justifier la conclusion que, en toute probabilite, le systeme Vaisesika fut cree en reaction a un systeme particulier de philosophie bouddhique - nomme Sarvastivada dont il se rapproche a certains egards Bien que cette conclusion ne soit que provisoire, elle suggere que l'impulsion originale pour le developpement de la philosophie rationnelle indienne provint du bouddhisme. Ce qui est une chance, car un nombre considerable de textes bouddhiques sont preserves, datant d'avant et vers le debut de l'ere chretienne. Parmi ces textes, nombreux sont ceux qui ne contiennent rien qui ressemble au genre de philosophie rationnelle que nous recherchons, mais c'est le cas pour certains d'entre eux. Afin d'apprecier ce fait a sa juste valeur, permettez-moi de decrire brievement et de facon schematique comment le bouddhisme s'est developpe apres la disparition de son fondateur. On fit des tentatives pour preserver son enseignement dans un sens plus etroit (sutra). En outre, on fit des efforts pour distiller de son enseignement les idees et les concepts les plus importants, des listes des soi-disant dharmas en resulterent, qui furent ordonnees de facon elaboree, et commentees dans les textes de l'Abhidharma-Pitaka, "la corbeille des choses qui ont trait a l'enseignement". Deux collections de textes portant ce nom ont ete preservees dans leur entier, appartenant a deux ecoles bouddhiques differentes: l'Abhidharma-Pitaka de l'ecole du Theravada, et celui qui appartient a l'ecole du Sarvastivada. Une etude plus attentive revele des differences importantes entre ces deux collections. La difference la plus importante, pour le sujet qui nous concerne ici, est la presence dans la corbeille du Sarvastivada d'une nouvelle facon d'ordonner et de classifier les dharmas, qui est nommee pancavastuka. Avant l'introduction du pancavastuka, et dans tout l'ensemble des textes du Theravada, les dharmas etaient classes a l'aide d'une schematisation qui, comme on le croyait, derivait du Bouddha lui-meme, mais qui etait insatisfaisante et meme problematique a bien des egards. D'un point de vue historique, les difficultes liees a cette schematisation plus ancienne sont faciles a expliquer: l'idee d'enumerer et de classer les dharmas etait survenue bien apres la disparition du Bouddha, et ainsi toute tentative de retrouver parmi ses paroles des schemas classificatoires pour ces derniers etait vouee a l'echec. La nouvelle classification, le pancavastuka, apporta une certaine mesure de raison et de coherence a la scolastique du Sarvastivada. En outre, ce developpement fut accompagne par d'autres, qui, ensemble, transformerent la tentative initiale de preserver les concepts enseignes par le Bouddha en une tentative de creer un systeme philosophique coherent. Pour des raisons que nous ne pouvons pas exposer ici, la liste des dharmas devint une liste de tout ce qui existe. De surcroit, de la doctrine originale du non-soi, on tira la conclusion qu'aucun objet composite n'existe. Les paroles du Bouddha: "toute chose est ephemere et donc douloureuse", en vinrent a signifier que toute chose est momentanee et n'existe que pour un instant. On introduisit de nouveaux dharmas, dont la tache principale etait de rendre le schema ontologique ainsi cree coherent et intelligible. Bref, l'ecole bouddhique du Sarvastivada subit un processus de rationalisation. En revanche, l'ecole du Theravada ne subit aucun developpement comparable. Comment expliquer cette difference entre le Sarvastivada et le Theravada? Cette question invite une reponse facile, presque evidente, si nous considerons ou et quand les Sarvastivadins ont travaille et vecu. Le Sarvastivada appartenait au nord-ouest du sous-continent indien, c.-a-d. Gandhara et les regions avoisinantes. Le Theravada, d'autre part, appartenait avant son emigration vers le Sri Lanka, a une region plus proche du sud; on a suggere Vidisa". Il y a de bonnes raisons pour penser que les premieres tentatives Sarvastivada ou protoSarvastivada de systematisation eurent lieu avant ou vers le milieu du deuxieme siecle avant notre ere. Pendant cette periode, il existait un royaume hellenistique au nord-ouest de l'Inde, un reste des conquetes d'Alexandre le Grand. Nous savons d'autres sources que les rois hellenistiques avaient coutume de cultiver la philosophie et aimaient a s'entourer d'hommes sages a leurs cours, avec lesquels ils menaient 32. Cf. Willemen et al., 1998: 36 ss. ("History and Sarvastivada"); 149 ss. Salomon, 1999: 5 S. 33. Frauwallner, 1956: 18. 34. Bronkhorst, 1987, surtout p. 64 s.; 1995; cf. 1995a. Il n'est pas tres clair quand exactement le Sarvastivada emergea comme une ecole identifiable; cf. Willemen et al., 1998: 147 s. 30. Voir Bronkhorst, 1992. 31. Ce paragraphe, ainsi que le suivant, se base sur le chapitre intitule "Die Ordnung der Lehre" dans Bronkhorst, 2000: 76 ss. Page #12 -------------------------------------------------------------------------- ________________ ETUDES DE LETTRES POURQUOI LA PHILOSOPHIE EXISTE-T-ELLE EN INDE? 29 des discussions. Les excavations archeologiques en Afghanistan, ou l'on a identifie la capitale des Grecs, confirment que c'etait egalement le cas la-bas. Non seulement on y a trouve un papyrus contenant un texte philosophique grec, il semble meme que Clearque de Soloi, un disciple direct d'Aristote, ait visite cet endroit Existait-il une interaction entre les Grecs et les bouddhistes? A priori c'est probable, vu que le bouddhisme est, ou du moins etait a cette epoque, une religion qui fait du proselytisme et ne tendait donc pas a eviter le contact avec des gens qui adheraient a d'autres croyances ou traditions. Cette ouverture vers d'autres traditions semble confirmee par la circonstance suivante: l'art bouddhique du Gandhara montre une forte influence hellenistique. Cette influence s'exerca aussi dans d'autres domaines de la culture, mais probablement plus tard". Les Grecs entrerent-ils donc en discussion avec les bouddhistes? Il est tentant de penser que oui, et que la tradition grecque de debat rationnel obligea les bouddhistes a revoir leurs positions. Nous avons deja vu que les textes Sarvastivada de cette periode et de cette region montrent que leurs positions etaient en effet sujettes a une revision minutieuse. Mais existe-t-il une preuve quelconque qui soutient l'idee que la tradition grecque du debat y ait joue un role? Oui, il y en a une. Un texte bouddhique nous a ete preserve, qui pretend rapporter une discussion entre un moine bouddhiste et le roi indo-grec Menandre. On a observe fort justement qu'il n'y a pas grand-chose de grec dans ce texte, a part le nom du roi. Toutefois, l'existence meme d'un tel texte je veux parler des "Questions du roi Milinda" (Milindapanha en pali), qui a ete preserve en pali et en traduction chinoise" - nous permet de conclure que les Grecs et les bouddhistes discutaient de questions religieuses ou apparentees a la religion, ou du moins que les bouddhistes de cette region se rappelaient que les Grecs avaient participe a des debats. Il n'est pas aventureux de conclure qu'il est possible que les Grecs aient exerce une influence sur les bouddhistes Sarvastivada, tout simplement en les engageant dans des debats. Cette conclusion semble confirmee par le fait qu'un certain nombre de Grecs semblent s'etre convertis au bouddhisme". Permettez-moi de repeter ici que l'on n'a jamais demontre que des idees grecques font partie de la pensee bouddhique Sarvastivada, ni d'ailleurs d'aucune autre philosophie indienne. Mais presentement, nous ne parlons pas d'idees, mais de la facon dont les gens s'en occupent. Ce que je propose, c'est que les bouddhistes du nord-ouest de l'Inde ont adopte la methode de debat et d'investigation rationnels des Grecs. Ils adopterent cette methode, et avec elle la volonte (ou l'obligation) de l'utiliser dans des domaines qui avaient coutume d'etre le 35. Preaux, 1978: 212-238. Cf. Avi-Yonah, 1978: 50 ss. ("Hellenistic monarchy in its relations to philosophy, poetry, religion"). 36. Rapin, 1992: 115-121. Karttunen (1997: 268 s.) note que les edits d'Asoka rediges en grec demontrent une certaine connaissance de la terminologie philosophique grecque. 37. Robert, 1973: 207-237, Rapin, 1992: 128, 389; Karttunen, 1997: 99,288. S'il est vrai que le neo-pythagoricien Apollonius de Tyana ait visite Taxila vers 44 apres J.C. (cf. Lamotte, 1958: 518 s.; Karttunen, 1997: 7 s., 306 n. 295; B.N. Mukherjee conclut a la date de 46 apres J.C., voir Dani, 1986: 69), on serait tente d'en conclure qu'un interet pour la philosophie hellenistique existait encore a cette epoque au nord-ouest de l'Inde. Dani (1986: 70) parle de "la preference que l'elite regnante (de Taxila) avait pour les modeles hellenistiques" durant cette periode. Toutefois, du cote spirituel, c'est le bouddhisme qui l'emportait" (ibid.). 38. Cf. Lamotte, 1958: 469-487, qui discute aussi d'autres formes d'influence grecque sur le bouddhisme. Voir aussi Nehru, 1989, qui mentionne egalement d'autres references bibliographiques. Il ne faut pas oublier que l'art bouddhique du Gandhira qui est parvenu jusqu'a nous est plus recent que le royaume hellenistique mentionne ci-dessus; voir Fussman, 1987. Mais en meme temps, l'art du Gandhara ne peut plus etre considere comme indo-romain, pas apres Surkh Kotal et d'autres fouilles en Bactriane" (Karttunen, 1997: 278, avec des references a d'autres sources bibliographiques). Voir en outre Posch, 1995. 39. Notamment sur l'astronomie indienne; voir Pingree, 1978, surtout vol. I, p. 3 s. Tout aussi important est le fait que les Indo-Grecs ont peut-etre inaugure une ere en Inde; voir Paolo Daffina, 1988: 55 s.: Karttunen, 1997:296. Voir aussi Thundy, 1993: 256 s, Jens-Uwe Hartmann, dans une conference presentee dans le panel intitule "New Discovery of Early Buddhist Manuscripts" au Xlle Congres de l'Association internationale des etudes bouddhiques (aout 1999, Lausanne), a releve que des textes bouddhiques rediges dans l'ecriture grecque avaient ete trouves en Afghanistan. 40. Halbfass, 1988: 19. L'original des deux traductions chinoises preservees de ce texte presentait probablement des doctrines Sarvastivada: cf. Lamotte. 1958: 465; Demieville, 1924: 74 41. 11 serait plus juste de parler d'un corpus de Milinda, dont on a identifie plusieurs versions, Peter Skilling (1998: 92 s.) note que ce corpus etait plus varie et vaste que l'on ne le pensait auparavant, et il etablit une liste des versions connues. 42. Notons que ce n'est pas le Milindapanha lui-meme qui exerca cette in fluence. Tout au contraire, il semble que les Grecs aient exerce une influence directe sur les bouddhistes au moyen de contacts et de discussion, et non pas (du moins pas en premier licu) au moyen de textes. La question de savoir pourquoi les Chinois, qui traduisirent le Milindapanha dans leur propre langue, ne furent pas influences par ce texte est donc nulle et non avenue. 43. Le Mahavamsa pili nous dit que "a la Ceremonie de Fondation du Maha Thupa (a Anuradhapura), trente mille moines, sous Yona-Mahadhammarakkhita, Page #13 -------------------------------------------------------------------------- ________________ 30 ETUDES DE LETTRES territoire exclusif de la tradition et de la religion, mais ils n'adopterent rien d'autre dans le domaine de la philosophie. Toutefois, a elle seule, cette methode fut capable d'affecter leurs idees profondement. Elle les obligea a repenser leur heritage intellectuel et religieux, et a l'organiser de facon telle qu'il devienne plus coherent et plus resistant aux questions critiques venant de l'exterieur. Une fois que la tradition d'investigation rationnelle fut etablie; elle fut apparemment capable de continuer toute seule44, et s'etendit dans l'Inde entiere, independamment, et meme apres la disparition des Grecs du nord-ouest de l'Inde. Nous savons de sources plus tardives que les rois organisaient souvent des debats dans l'Inde classique, et il est clair que ces debats plus tardifs suivaient, du moins en theorie, les canons de la rationalite. vinrent d'Alasanda dans la contree Yona" (DPPN II p. 699 sous Yona). Alasanda refere sans doute a une des cites nommees Alexandrie fondees par Alexandre le Grand, celle-ci se trouvant dans l'actuel Afghanistan (Ai Khanum? Kandahar?; cf. Karttunen, 1997: 279, 281). Karttunen (1997: 297; cf. 1994: 331) fait reference a une inscription des grottes de Nagarjunakonda datant du troisieme siecle de notre ere, qui mentionne les Yavanas parmi les peuples qui se sont convertis au bouddhisme. Ces inscriptions, ainsi que d'autres, ne referent pas necessairement aux Grecs (cf. Ray, 1994: 84; 1988), mais, selon Karttunen (1994: 332): "Il est vrai que ce n'est que dans les inscriptions les plus anciennes que les Yona Yavana peuvent etre mis en rapport de facon sure avec les Grecs, mais il me semble tres probable que dans tous les cas qui nous concernent, le terme est d'une facon ou d'une autre utilise en relation avec les Grecs." 44. Ce fait est moins surprenant qu'il ne semble a premiere vue. La conformite humaine, et la possibilite qui s'en decoule de former des traditions et des modes, fut etudiee du point de vue biologique et du point de vue de la theorie des jeux par Boyd et Richerson (1990); voir aussi Ridley, 1996: 180 s. Simon (1990) souligne l'importance de ce qu'il nomme la docilite humaine. On pourrait aussi dire que l'investigation rationnelle est devenu un meme, et, en tant que telle, fait partie d'un 'memeplexe', un cartel cooperatif de memes qui s'assistent mutuellement, chacun fournissant un environnement qui favorise les autres; pour des descriptions recentes de cette caracterisation d'une culture, voir Dennett, 1995: 342 s.; Blackmore, 1999. Probablement, le fait que la societe indienne permettait a des points de vue differents (comme le brahmanisme et le bouddhisme) d'exister cote a cote, peut etre interprete dans le sens que les liens sociaux etaient relativement desserres et dans une certaine mesure cognitivement neutres (cf. Munz, 1985: 75, 160 s., 280 s.; 1993: 171), ce qui peut avoir aide la tradition d'investigation rationnelle a survivre pour un certain temps. Il semble toutefois plus probable que l'investigation rationnelle ou plutot l'obligation d'accepter et de se charger de la critique etait elle-meme devenue une contrainte sociale a laquelle la pensee devait se soumettre, un lien social ou une marque ethnique' caracteristique de la couche du sous-groupe concerne de la societe indienne classique. POURQUOI LA PHILOSOPHIE EXISTE-T-ELLE EN INDE? 31 Qu'en est-il des Upanisads? Ne contiennent-elles pas de la philosophie?45 Les Upanisads anciennes, quelles que soient leurs dates exactes, datent certainement d'avant le deuxieme siecle avant notre ere, et meme d'avant l'invasion de l'Inde par Alexandre. Lorsque ces Upanisads furent composees, il n'y avait pas de Grecs en Inde. Comment pouvons-nous donc serieusement maintenir que la philosophie indienne doit d'une certaine maniere son origine a la presence des Grecs au nord-ouest de l'Inde? Il faut ici distinguer deux choses. Comme je l'ai deja dit, le contenu de la philosophie indienne classique est completement indien, pour autant que je puisse en juger. Les bouddhistes qui entrerent en contact avec les Grecs au nord-ouest de l'Inde n'emprunterent aucun element de la philosophie grecque; on n'a pu identifier aucun element de ce genre dans leur pensee, et ce malgre la frequence avec laquelle cette question a du etre soulevee par les premiers indianistes, dotes d'une formation europeenne classique. La meme chose vaut pour les philosophies brahmaniques: elles se sont produites et developpees sur le sol indien, certaines dans le but d'expliquer le contenu des Upanisads. Jusqu'a present, on n'a pu demontrer aucune influence exterieure pour aucune d'entre elles. Mais en meme temps, l'evidence que nous possedons suggere qu'aucune tradition d'investigation rationnelle (dans le sens que nous entendons ici, c'est-a-dire, manifestee par le debat critique et des tentatives de creer des vues coherentes de la realite) n'a existe en Inde avant la periode dont nous parlons. La litterature vedique, qui comprend les Upanisads, n'avait aucune tendance a developper des systemes coherents. Ces textes accordent de la valeur a la connaissance, 45. Michaels (1998: 47) ecrit: "De nos jours encore, on peut lire que les textes des Brahmanas ont une vision du monde magique, qui se serait detachee de la maniere de voir soi-disant philosophique des Upanisads, comme si en Inde une vision du monde 'magique n'avait pas toujours coexiste avec une vision 'philosophique." Comme je l'ai note plus haut, le genre de 'philosophie' qui nous concerne dans cet article n'existe pas toujours, ni partout. 46. Ce qui ne signifie pas que les auteurs vediques ne pensaient pas, ou ne s'interessaient pas aux raisons. A. Wezler, dans une conference presentee au Second International Vedic Workshop, Kyoto University, Octobre-Novembre 1999 ("Modes of reporting opinions in Vedic prose") attire notre attention sur le fait que les Brahmanas se preoccupent surtout de presenter des raisons pour les demarches individuelles dans l'activite rituelle. Wezler montre aussi que des differences d'opinion sont egalement rapportees; pour quelques exemples, voir Bronkhorst, a paraitre c. Page #14 -------------------------------------------------------------------------- ________________ ETUDES DE LETTRES POURQUOI LA PHILOSOPHIE EXISTE-T-ELLE EN INDE? 33 il n'est pas question ici d'elaborer des systemes de pensee coherents! ce qui suggere que ces debats bouddhiques anciens etaient en premier lieu destines a une consommation interne, et que l'on ne ressentait aucun besoin d'immuniser sa propre position contre la critique. Nous avons vu que l'elaboration de systemes de pensee coherents appartient a une phase plus tardive du developpement du bouddhisme. Je suis bien conscient du fait qu'il me reste a repondre a une question delicate. Les critiques me demanderont sans doute si je suis bien serieux de placer le grammairien Panini - dont la grammaire a ete decrite comme "l'un des plus grands monuments de l'intelligence humaine" - a une epoque pre-rationnelle de l'histoire intellectuelle de l'Inde. Panini semble avoir vecu pendant la seconde partie du quatrieme siecle avant notre ere ou plus tard, peut-etre avant l'invasion d'Alexandre, mais cela n'est pas certain". Une influence grecque n'est pas impossible en ce qui le concerne, mais elle est peu probables c'est-a-dire, a une certaine sorte de connaissance". La rationalite d'autre part brille par son absence. Il est vrai que les Brahmanas et les Upanisads rapportent un certain nombre de debats fameux, mais ces derniers ne peuvent d'aucune facon etre decrits comme rationnels. En fait, ils constituent des exemples classiques du contraire absolu. Personne dans ces debats n'est jamais convaincu des arguments de l'adversaire. Le vainqueur d'un debat, comme Walter Ruben l'a montre il y a longtemps (1928), n'est pas celui qui sait mieux, mais celui qui sait plus". L'argumentation logique est completement absente, Des enonces apodictiques sont acceptes sans resistance aucune. D'ailleurs, le maitre n'a pas besoin de presenter des arguments pour soutenir son enseignement, car l'idee meme qu'il puisse par erreur enseigner quelque chose d'incorrect ne semble pas meme etre venue a l'esprit des penseurs des Upanisads. Chaque pensee est correcte, mais elle peut etre insuffisante, et doit donc etre subordonnee a la connaissance du vainqueur. D'autre part, le fait de poser trop de questions peut avoir des consequences desastreuses. Suivant l'interpretation que l'on donne a l'expression concernee, on peut avoir la tete qui explose, ou l'on peut perdre la tete d'une facon moins violente, physiquement parlant". Quant a savoir pourquoi de simples questions peuvent s'averer si lourdes de consequences pour le participant malchanceux, Michael Witzel (1987: 409) nous rappelle que les exemples vediques traitent tous d'une connaissance qui est "secrete" d'une maniere ou d'une autre: elle n'est peut-etre connue que d'une personne eminente, un maitre qui ne la transmet pas volontiers, meme lorsqu'on le questionne, ou alors elle n'est connue que d'une classe de specialistes du rituel qui ne desirent pas partager leur connaissance esoterique avec des groupes rivaux. Tout ceci ne contribue bien entendu pas a creer des systemes de pensee coherents. Witzel a aussi attire notre attention sur les ressemblances nombreuses qui existent entre les debats upanisadiques et ceux qui sont rapportes dans les textes bouddhiques anciens. Il y a bien entendu aussi des differences. Mais, comme dans le cas des textes vediques tardifs, diction dans le discours de son adversaire: "Sois attentif, Aggivessana, Et une fois que tu es devenu attentif, Aggivessana, repond. Carton dernier discours ne correspond pas a ton premier, ni ton premier a ton dernier" (MN 1.232: manasikarohi Aggivessana, manasikaritva kho Aggivessana byakarohi, na kho te sandhiyati purimena va pacchimam pacchimena va purimam; tr, selon Horner, 1954: 285). Voir aussi Jayatilleke, 1963: 205-276 ("The attitude to reason"); Watanabe, 1983: 69 ss. ("The development of the dialogue form'). Ailleurs, des membres d'autres courants religieux sont decrits comme "intelligents, habiles, verses dans l'art de disputer avec d'autres, pinailleurs" (par ex. DN 1.26: santi hi kho pana samanabrahmana pandita nipuna kataparappavada valavedhirapa vobhindanta maine caranti pannagatena ditthigatani). 51. Richard F. Gombrich (1996; 18) note que "le Bouddha etait sans cesse en train de disputer ad hominem et d'adapter ce qu'il disait au langage de son interlocuteur" et conclut que "cela doit avoir eu des implications enormes pour la consistance, ou plutot l'inconsistance, de son mode d'expression". Que cette conclusion soit correcte ou non, il semble clair que la methode d'argumentation representee dans les textes bouddhiques anciens ne contribue guere a l'elaboration de systemes de pensee coherents. 52. Hinuber, 1990: 34: Falk, 1993: 304. Divers savants preferent demeurer fideles aux estimations plus anciennes des dates de Panini, mais sans preuves, voir Werba, 1997: 137, y compris la note 64, avec des references a des chercheurs anterieurs dont les opinions sont tout aussi peu prouvees. Sur la tendance a attribuer des dates anciennes a la litterature vedique, ainsi que vedique tardive, voir Bronkhorst, 1989. 53. Karttunen, 1989: 142-146; 1997: 12 y compris note 49. 54. Dans le cas de Patanjali, d'autre part, nous avons des preuves qu'il avait subi l'influence du bouddhisme post-pancavastuka, et donc du moins indirectement celle des Grecs, si l'on accepte l'hypothese proposee ici; cf. Bronkhorst, 1987, 1995. 47. Le reste de ce paragraphe apparait aussi, sous une forme un peu differente, dans Bronkhorst, a paraitre b. 48. Cf. Lloyd, 1979: 60-61; 1987: 87-88; Bronkhorst, a paraitre c. 49. Voir Witzel, 1987, et Insler, 1990. 50. Cf. Manne, 1992. Dans la discussion entre le Bouddha et le Jaina Saccaka (Culasaccakasutta, Majjhima Nikaya no. 35), pour citer un exemple, il y a une confrontation d'idees indeniable, et le Bouddha n'hesite pas a signaler une contra Page #15 -------------------------------------------------------------------------- ________________ ETUDES DE LETTRES Des termes comme 'rationnel', 'pre-rationnel', etc., ne devraient pas nous induire en erreur. Le premier n'est pas un compliment, le second n'est pas une critique. Comme je l'ai deja dit, l'absence d'une tradition d'investigation rationnelle dans le sens ou je l'entend ici n'a rien a voir avec de la stupidite ou un etat arriere. Les gens ne deviennent pas plus intelligents parce qu'ils font partie d'une telle tradition. Ce qui change, c'est tout d'abord leur attitude. Dans une tradition d'investigation rationnelle comme je l'envisage ici, les penseurs acceptent - doivent accepter-la legitimite des questions et des critiques, meme si elles sont dirigees contre des convictions sanctionnees par la tradition, la revelation ou l'intuition. Une telle attitude pourrait etre essentielle au developpement de systemes philosophiques de grande envergure. Nous avons vu comment la philosophie Vaisesika introduit la notion d'un Dieu createur pour resoudre un probleme systemique. D'autres textes de la meme ecole n'hesitent pas a reduire ce Dieu a un element qui correspond a son ontologie. En revanche, et pour autant que l'on puisse en juger, Panini n'avait nul besoin de se montrer inquisiteur et critique envers sa tradition. Tout au contraire, il se peut que sa grammaire ait ete consideree comme une elaboration et une systematisation de la comprehension traditionnelle du langage. Elle temoigne de l'intelligence de son createur, non pas de la tradition d'investigation rationnelle a laquelle il peut, ou peut ne pas, avoir appartenu. Je pourrais en dire plus sur cette question, mais j'en resterai la pour le moments. Je desire en revenir au meta-niveau de notre discussion. Les reflexions qui precedent suggerent que les philosophies systematiques indiennes et occidentales derivent un element vital d'une source commune. Il ne semble pas que cet element vital - a savoir, l'investigation et l'analyse rationnelles existe ailleurs dans l'histoire de l'humanite, sauf bien entendu dans les developpements qui derivent des traditions grecque et indienne. Cela suggere qu'une tradition de 34 55. Voir aussi Bronkhorst, 1982: 280-281. 56. Frits Staal (1999) argumente que les mathematiques grecques et vediques ont une source commune, qui ne se trouve toutefois ni en Grece, ni en Inde, mais dans la "patrie" commune des anciennes langues indo-europeennes indiennes et du Proche Orient, qui se situait "dans les steppes le long du fleuve Oxus, a present nomme Amu Darya, qui separe le Turkmenistan de l'Ouzbekistan, la region a l'est de la mer Caspienne, soit la Bactriane et la Margiana, comme elles se nommaient a l'epoque classique" (p. 109). Cette hypothese doit etre distinguee de celle que je presente ici, et elle est d'ailleurs tout a fait independante de celle-ci. POURQUOI LA PHILOSOPHIE EXISTE-T-ELLE EN INDE? 35 debat et d'investigation rationnels n'a reussi a s'etablir qu'une seule fois dans l'histoire de l'humanite. Si nous ajoutons a cela que, comme je l'ai montre plus haut, le monde moderne aurait pu ne jamais devenir ce qu'il est sans la presence d'une tradition d'investigation rationnelle, qui est si essentielle a la science moderne, nous nous trouvons confrontes a une question troublante. S'agit-il d'un accident historique, si l'humanite a atteint son etat present, caracterise d'une part par des pouvoirs insoupconnes jusqu'ici, et en meme temps menace par leurs consequences?57 Les jours sont revolus, ou l'on considerait l'histoire de la vie sur terre comme un progres irresistible vers des degres de complexite et d'intelligence de plus en plus avances58. Les hommes de sciences remarquent que l'apparition des etres humains ne fut rien de plus qu'un accident historiques, que le developpement d'un degre d'intelligence eleve, que ce soit chez les etres humains ou chez d'autres etres vivants, ne fut d'aucune facon la consequence inevitable de l'evolution biologique. Ils remarquent aussi qu'une fois que des etres humains 57. Cf. Lloyd, 1979: 258: "La Grece antique n'est pas simplement marquee par des developpements intellectuels exceptionnels, mais aussi par ce qui est a certains egards une situation politique exceptionnelle: et les deux semblent etre lies." 58. Sur l'idee du progres dans la societe humaine, voir Bronk, 1998. 59. De meme, l'apparition de la vie animale- etant donne la presence de la vie microbienne est extremement improbable selon Ward et Brownlee, 2000. 60. Gould, 1996; Diamond, 1991: 184-195. Cf. Deacon, 1997: 410: "Nos esprits uniques et humains sont, dans un sens tres concret, les produits d'un defi reproductif inhabituel que seule une reference symbolique etait capable de relever - une internalisation concrete d'une situation sociale evolutionniste, ancienne et persistante, qui est exclusivement humaine." Voir aussi Stanley, 1996: 215: "notre genre naquit d'une crise evolutionniste [la periode glaciaire], ce qui signifie qu'il aurait tres bien pu ne jamais naitre du tout.... La nature accidentelle de notre naissance evolutionniste est stupefiante. Si une mince digue de terre [l'isthme de Panama] n'avait pas surgi des profondeurs qui separent l'ocean Atlantique du Pacifique, alors l'enchainement des evenements qui a declenche l'evolution de l'Homo n'aurait jamais commence." Alors que de nos jours la plupart des experts seraient peut-etre d'accord pour dire qu'il n'existe pas de progres vers des degres superieurs d'intelligence (parmi les exceptions il faut compter Stewart et Cohen, 1997, surtout p. 114), la question de la complexite est moins simple; cf. Blackmore, 1999: 13 (et cf. p. 28): "Existe-t-il un progres dans l'evolution? Gould..., notoirement, argumente qu'il n'y en a pas, mais je pense qu'il a une conception du progres que je ne partage pas. Il a raison d'ecarter tout progres vers quoi que ce soit. C'est la tout l'interet de l'inspiration de Darwin- et ce qui rend sa theorie si admirable-il n'y a pas de maitre-plan, pas de but final, et pas Page #16 -------------------------------------------------------------------------- ________________ ETUDES DE LETTRES intelligents eurent fait leur apparition, seul un certain nombre de coincidences leur permit de faire les pas suivants menant a notre etat present, en developpant l'agriculture et en domestiquant des animaux, et ce seulement dans certaines parties du monde. Le biologiste de l'evolution, Jared Diamond, dans un livre recent intitule Guns, Germs and Steel, qui nous fascine tout autant qu'il nous pousse a la reflexion, enumere un certain nombre de facteurs geographiques qui auraient pu stopper le progres humain. Je n'en mentionne que deux, parmi les plus importants: certains continents n'avaient pas d'animaux que l'on peut domestiquer, ni de plantes qui auraient rendu l'agriculture possible. Est-il concevable que nos reflexions ont mis en lumiere un autre facteur la presence d'une tradition d'investigation rationnelle pour autant que nous le sachions, aurait pu ne jamais se produire, mais sans laquelle il est possible que le progres humain jusqu'a notre etat actuel n'ait jamais eu lieu?62 qui, 36 de concepteur. Mais bien entendu, il y a le progres, dans le sens que nous vivons maintenant dans un monde complexe rempli de creatures de toutes sortes, et que quelques milliards d'annees auparavant il n'y avait qu'une soupe primordiale. Bien qu'il n'existe pas de mesure generalement acceptee pour cette complexite, cela ne fait aucun doute que la variete des organismes, le nombre de genes dans les organismes individuels, et leur complexite structurelle et behavioriste ont tous augmente... L'evolution escalade en s'appuyant sur ses propres productions." 61. Wilson (1998: 48) enumere "trois conditions prealables, trois coups de chance dans l'arene evolutionniste", qui, selon lui, menerent a la revolution scientifique: 1. la curiosite sans limite et l'energie creatrice des meilleurs cerveaux; 2. le pouvoir inne d'abstraire les qualites essentielles de l'univers; 3. "l'efficacite deraisonnable" des mathematiques dans le domaine des sciences naturelles. Cette enumeration ne laisse que peu de place pour les facteurs peutetre nombreux qui auraient pu empecher la revolution scientifique de se produire. Un des plus fascinants d'entre eux est la peste noire du 14e siecle; cf. Herlihy, 1997: 38: "[La peste] brisa l'impasse malthusienne provoquee par la croissance medievale, qui aurait pu empecher toute croissance ulterieure sous des formes differentes. Elle garantit que dans les generations apres 1348 l'Europe ne continuerait pas simplement le modele de la societe et de la culture du 13e siecle. Elle assura que le moyen age serait bien la phase moyenne, et non finale, du developpement occidental." et p. 81: "L'Europe vers 1300 etait une contree aux prises avec une impasse malthusienne, dans une situation demographique et economique qui paralysait sa capacite d'ameliorer les facons dont elle produisait les denrees. Ce systeme marque par une utilisation saturee des ressources et une production stagnante, aurait pu durer indefiniment. La peste brisa l'impasse, et permit aux Europeens de reconstruire leurs systemes demographiques et economiques d'une facon qui permettait plus facilement de nouveaux developpe ments." 62. Plusieurs publications recentes soulignent la "nature non naturelle" de la POURQUOI LA PHILOSOPHIE EXISTE-T-ELLE EN INDE? 37 En posant cette question, je tente de restituer a l'etude academique de la philosophic indienne une dimension qui lui appartient, mais qui n'attire pas suffisamment l'attention. La philosophic indienne n'est pas simplement un domaine qui amuse quelques rares specialistes, sans grande importance pour les autres. Et sa seule justification ne saurait pas non plus resider dans le fait que de temps en temps elle deterre une idee qui pourrait interesser les philosophes modernes. L'etude de la philosophie indienne doit prendre sa place parmi les autres disciplines et sciences qui concernent l'etude de l'histoire humaine, c.-a-d. de notre heritage63, de nos origines animales jusqu'a un futur incertain64. Dans cette histoire, ce que les gens ont pense, et comment, a eu un impact colossal, et est donc d'une importance cruciale. Une fois qu'elle aura recu la place qui lui est due, l'etude de la philosophie indienne, comme j'ai essaye de le demontrer, suscitera des questions interessantes, non moins que troublantes. Johannes BRONKHORST Universite de Lausanne science moderne; voir par ex. Cromer, 1993; Wolpert, 1992. Toutefois, on considere souvent comme allant de soi l'idee que la science est le produit necessaire et previsible des societes qui ont atteint un certain niveau de complexite. Les titres et sous-titres des livres indologiques suivants sont interessants et suggestifs: Vorwissenschaftliche Wissenschaft, qui est le sous-titre de Die Weltanschauung der Brahmana-Texte par Hermann Oldenberg (1919), Ein Beitrag zur Entstehungsgeschichte von Wissenschaft, sous-titre de Beweisverfahren in der vedischen Sakralgeometrie par Axel Michaels (1978), The Fidelity of Oral Tradition and the Origins of Science par Frits Staal (1986). 63. Jean Francois Billeter (1998: 77) argumente de facon semblable en faveur d'un changement de perspective qui fera de l'histoire chinoise une partie de notre heritage, c.-a-d. de l'heritage de toute l'humanite. 64. Cette incertitude recouvre aussi le futur de la science, qui est peut-etre proche de ses limites, comme certains le pretendent, voir Horgan, 1996. Pour une opinion contraire, voir Maddox, 1998. Page #17 -------------------------------------------------------------------------- ________________ ETUDES DE LETTRES POURQUOI LA PHILOSOPHIE EXISTE-T-ELLE EN INDE? 39 ABREVIATIONS REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES BIL DPPN HdO IsMEO JIP JPTS MN Brill's Indological Library, Leiden G.P. Malalasekera, Dictionary of Pali Proper Names, 2 vols., London 1937-1938 Handbuch der Orientalistik, Leiden 1952 ss. Istituto Italiano per il Medio ed Estremo Oriente, Roma Journal of Indian Philosophy, Dordrecht Journal of the Pali Text Society, London Majjhima-Nikaya, ed. V. Trenckner, R. 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