Book Title: L Indianisme Et Les Prejuges Occidentaux
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Page 3
________________ 122 ETUDES DE LETTRES L'INDIANISME ET LES PREJUGES OCCIDENTAUX 123 maison', pleine de souvenirs, si seulement il peut les lire24.>> Ces remarques de la part de Max Muller ont une importance considerable: elles viennent de la bouche meme de celui qui avait prodose, vingt-quatre ans plus tot, en 1859, les dates pour la periode vedique qui sont devenues classiques, comme nous le verrons par la suite. Nous avons, jusqu'ici, parle de trois preuves qui pretendument soutiennent la these de l'anciennete de la culture indienne: (i) la tradition classique, (ii) les speculations quant a la region originelle de l'humanite, et (iii) les croyances indiennes sur les ages du monde. La valeur de ces trois preuves n'est pas considerable, et ne l'etait pas meme vers la fin du 18e siecle. On continuait donc a en chercher d'autres, pour soutenir un resultat qui etait pourtant deja determine. A la fin du dix-huitieme siecle l'indianisme comme discipline reguliere fut etabli, a Calcutta, par un petit groupe d'hommes energiques, qui se reunissaient dans l'Asiatic Society. C'est ici qu'on essaya, des 1790, de trouver des methodes plus fiables pour dater les Vedas 25. Dans ce but on exploita les donnees astronomiques qu'on pensait trouver concernant les textes vediques. Colebrooke, l'un de ces savants, arriva au resultat que, probablement, les Vedas n'avaient pas ete arranges sous leur forme presente avant le quatorzieme siecle avant notre ere; il ajouta pourtant que ses arguments n'etaient que vagues et conjecturaux (1801: 201)26. L'exemple de Colebrooke et de ses predecesseurs, parmi eux William Jones, fut suivi par bien des savants ulterieurs, malheureusement sans aucun resultat determinant. Les arguments astronomiques sont aujourd'hui laisses de cote par la plupart des savants competents27. Retournons a l'epoque des premiers indianistes. Il se presentait a eux un argument qui, s'il ne donnait pas de resultats precis, etait plus scientifique et donc plus puissant que tous les autres. C'etait la pretendue decouverte de l'anciennete du sanscrit au sein des langues indo-europeennes. Nathaniel Brassey Halhed ecrit en 1779 qu'a son avis le grec et le latin pourraient etre derives du sanscrit28. William Jones, en 1786, est plus prudent: il parle d'une source commune, qui, peut-etre, n'existe plus 29. Mais Friedrich Schlegel, comme nous l'avons vu, regarde, en 1808, la langue indienne comme plus ancienne que les autres, et considere comme probable que le grec et le latin soient derives du sanscrit 30. Franz Bopp, souvent considere comme le fondateur de la linguistique indo-europeenne, laisse ouverte la question de savoir si les langues indo-europeennes derivent du sanscrit ou d'une mere commune31. Mais l'idee persiste. Barthelemy Saint-Hilaire, en 1853 encore, ecrit: <<La philologie a prouve... que toutes les langues de l'Europe, depuis le grec et le latin, jusqu'a l'allemand et au slave, avec tous leurs derives, ont puise leurs racines, et souvent leurs formes et leur grammaire dans l'idiome sacre ou furent ecrits les Vedas. ... la langue sanscrite est la mere de toutes les langues parlees chez les peuples qui ont pousse la civilisation au point ou nous la voyons aujourd'hui.>> Il estime l'age des Vedas a quatre ou cing mille ans 32. Alors deja, cette position etait extreme. L'opinion, d'autre part, selon laquelle la forme prehistorique de l'indo-europeen etait tres proche du sanscrit, fut maintenue jusqu'a la fin des annees soixante-dix du 19e siecle, moment ou elle aussi fut abandonnee 33 Pendant toute cette periode, donc, on avait de bonnes raisons -- raisons de nature linguistique -- de croire que le sanscrit etait une langue tres ancienne, plus ancienne que les langues classiques de l'Europe. Il n'etait que naturel d'en conclure que la litterature la plus ancienne en sanscrit, c'est-a-dire la litterature vedique, etait aussi ancienne, plus ancienne donc que la litterature de l'Antiquite europeenne 34 Malheureusement la litterature vedique ne contient pas d'indications claires concernant sa date. Il s'agit d'un corpus de textes religieux qui ne se referent pas a des evenements datables. Il est donc tout a fait comprehensible que plusieurs indianistes se soient abstenus de faire des estimations chronologiques exactes, tout en maintenant que leurs textes etaient tres anciens. Selon Emile Burnouf, opinion qu'il enoncait dans sa lecon inaugurale pour la chaire de sanscrit a Paris en 1833, <<c'est comme par un acte de foi que nous croyons que [l'histoire politique de l'Inde) est ancienne>>3s; neanmoins, dit-il quelques pages plus loin, la recherche de l'indianisme s'occupe egalement d'une page des origines du monde, de l'histoire primitive de l'esprit humain 36. En 1848, Alexandre Langlois dit du Rigveda: <<Compose a une epoque immemoriale, c'est le monument litteraire le plus ancien qui ait ete conserve, ... contemporain, dans quelques-unes au moins de ses parties, de ces grands monuments d'Egypte, dont la pierre est encore silencieusement enigmatique37.>> En 1852, Albrecht Weber rejette comme vaine toute tentative de determiner la date du Veda. Il est pourtant d'avis que la litterature indienne est la plus ancienne dont nous possedions des documents ecrits 38. Max Muller, dans l'avant-propos de son edition du Rigveda parue en 1849,

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