________________ Formes et terminologie du narratif jaina ancien 233 les sujets, meme les plus inattendus34. Uddyotanasuri est donc sans doute l'un de ces maitres qui, rapporte Siddharsi, "considerent aussi comme bonne la narration mixte, parce qu'ils la jugent captivante (aksepa-karani). Au debut -- explique-t-il -- le dharma ne plait pas a ceux dont l'intelligence est engourdie. C'est pourquoi, en leur racontant des histoires d'amour et d'astuce, on captive leur esprit. * Puis, une fois qu'ils ont ete captives, ils sont en mesure de saisir le dharma. C'est pourquoi, est dite bonne la narration mixte qui a recours a la repulsion35". Siddharsi choisit finalement ce point de vue et tranche: "Le recit que je vais ecrire aura donc le seul dharma pour objectif; il sera conforme aux exigences d'une dharmakatha, assumant par endroits la forme de la narration mixte36". Le point de vue oppose est represente par l'affirmation decidee d'un Haribhadra, qui, apres son expose typologique, entreprend un eloge appuye du dharma et conclut tout uniment: "Et maintenant, quant a moi, je raconterai une histoire a la fois divine et humaine, mais uniquement relative au dharma37". D'autres parmi ses confreres resolvent la difficulte en retenant une taxinomie a trois elements (dharma, artha, kama) et en omettant purement et simplement la categorie mixte38 La strategie de la dharmakatha a donc une motivation pragmatique: pour retenir un public, les auteurs jaina se devaient de combiner habilement leur propre doctrine, quitte a l'y faire paraitre avec discretion, et le reste. Du meme coup la richesse du monde narratif jaina se trouve fondee: la fin justifie les moyens. Bien souvent, dans l'univers de la katha sous sa forme elementaire, la doctrine est reduite a sa plus simple expression: motif du karman et des renaissances, sermon d'un moine qui expose le pourquoi des evenements relates, par exemple. En somme, elle est la, mais n'encombre pas. L'evolution des personnages mime ce que devrait etre le cheminement du lecteur: au depart, la plupart sont des etres ordinaires. La vie les fait peu a peu progresser, en sorte que les recits se terminent, invariablement, par un renoncement a la vie 34. Ex. Kuvalayamala 280.19, 25; 281.10, 15. 35. Upamitio v. 46sqq. p. 5. 36. Upamitio v. 50 p. 6. 37. Samaraiccakaha 4.13-14. 38. Ex. Vardhamanasuri (debut du XIIe s.), auteur du Jugajinimdacariya, Ahmedabad 1987, p. 2.