Book Title: Louis Dumont Et Les Renoncants Indiens
Author(s): Johannes Bronkhorst
Publisher: Johannes Bronkhorst

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Page 3
________________ Orientalia Suecana XLV-XLVI (1996-1997) Louis Dumont et les renonçants indiens 11 plaisir immédiat. Ou encore ils se sentent comme des individus, reconnaissent une morale universelle et pensent qu'il y a à l'intérieur de l'hindouisme une moralité subjective. On répondra simplement que cela résulte du mélange de deux mentalités, accentué peut-être par l'influence européenne, mais dû en premier lieu à l'influence du renonçant qui souvent, comme maître spirituel (guru), a fait des adeptes dans la société. Ces deux mentalités, il faut bien les distinguer analytiquement pour des raisons logiques, historiques et comparatives. C'est seulement en procédant de la sorte que nous pouvons, en dégageant des principes simples d'un ensemble autrement indéchiffrable, situer la société, la pensée et, dans une certaine mesure déjà, l'histoire de l'Inde par rapport à nous. » Pour la situation actuelle, donc, l'hypothèse de Dumont est au mieux un instrument d'analyse; elle ne prétend nullement en être une description exacte. Notons que même à l'époque précédant l'ère chrétienne, au moins certains renonçants (au sens de Dumont) n'étaient guère « libres de relations contraignantes » et « complètement indépendants ». Nous sommes particulièrement bien informés au sujet de la vie quotidienne des moines bouddhiques, dont nous savons qu'ils se trouvaient sous l'emprise de réglementations très élaborées. Les différentes écoles du bouddhisme préservaient chacune leur propre collection (massive) de règles monastiques avec tant de zèle, que les premières scissions de l'église bouddhique semblent toutes avoir été occasionnées par des différences concernant justement la forme ou l'interprétations de ces règles. Il semble que, même dans ce passé éloigné, la théorie de Dumont n'est applicable au mieux qu'à une petite partie des renonçants. La théorie de Dumont, nous l'avons vu, s'applique premièrement (ou même exclusivement) à l'époque ancienne, disons aux siècles précédant le début de notre ère. Elle se base, en outre, sur l'analyse philologique de documents anciens, plutôt que sur l'étude sociologique de la société indienne contemporaine. L'analyse poussée des documents anciens révèle pourtant une situation plus complexe qu'une simple opposition entre renonçant et homme-dans-le-monde. En fait, cette période connaît une opposition beaucoup plus fondamentale, qui s'exprime, entre autre, dans l'existence, l'un à côté de l'autre, de deux types de renonçant. Il s'agit de l'opposition entre d'une part la tradition védique, et la tradition caractérisée par la croyance en la rétribution des actes de l'autre. Les deux traditions avaient chacune leurs renonçants, avec des buts et des activités très différents. Le renonçant 'védique' se retire dans la forêt pour mieux se consacrer aux rites védiques, et pour obtenir les rémunérations que cela apporte, comme, en premier lieu, le ciel. Les renonçants de l'autre catégorie se préoccupent plutôt de la libération du cycle des naissances (mokşa). Aux deux types de renonçant correspondent deux types d'homme-dans-le-monde: d'une part les héritiers de la religion védique, et d'autre part ceux, moins sous l'in A noter que Dumont se refere à plusieurs reprises aux moines bouddhiques, qu'il inclut explicitement dans la catégorie des renonçants. Voir Dumont, 1959: 334 n. 18: «... je généralise ici la notion brahmanique et j'appelle renonçants, ou même sannyasis, tous ceux qui quittent le monde de façon analogue au sannyasi orthodoxe, y compris les moines bouddhiques par exemple. » Tambiah (1982: 300) pense que l'article de Dumont conceme premièrement les moines bouddhiques, il décrit en détails les règles aux quelles doivent se soumettre ceux-ci. * Je résume ici quelques résultats de mon étude The Two Sources of Indian Asceticism. Je continue ici à utiliser le mot 'renonçant dans un sens très large.

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