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Johannes Bronkhorst
Les reliques dans les religions de l'Inde
le Bouddha. L'idée qu'on peut en déduire est que le vrai corps du Bouddha, ou celui qui a une véritable importance, n'est pas son corps physique ou ce qui en reste, à savoir les reliques, mais plutôt son enseignement. Cette idée peut s'utiliser pour critiquer le culte des reliques, ou au moins pour en relativiser l'importance, et on trouve effectivement des passages dans les textes anciens qui le font. Cela ne signifie pas forcément qu'on doit abandonner tout culte envers le Bouddha, mais plutôt qu'on doit choisir les objets de vénération avec plus de soin. Au lieu des restes physiques du Bouddha, on doit vénérer son enseignement. Il va sans dire que cette observation se prête à une multitude d'interprétations.
L'enseignement du Bouddha trouve son expression dans les textes canoniques que la communauté bouddhique a préservés à travers les siècles, d'abord sous forme orale, ensuite également sous forme écrite. Les textes oraux se prêtent mal à la vénération, mais sous formes écrites ils constituent des objets autour desquels un culte est possible. Plusieurs sources soulignent effectivement le caractère supérieur de ces textes canoniques par rapport aux reliques, et spécifient qu'ils constituent des objets dignes de vénération. Ces sources ne précisent pas comment les textes étaient vénérés. On peut s'imaginer que des textes écrits remplaçaient les reliques à l'intérieur de stúpa. La recherche archéologique confirme l'existence de stūpa contenant des textes canoniques, partiels ou complets, à la place des reliques ou à leur côté. Ces manuscrits s'appelaient parfois dharmasarira wreliques sous forme de l'enseignement«, ce qui montre qu'on les considérait comme des reliques plutôt que comme des substituts de reliques."
stupa ajoutent encore plusieurs groupes à cette liste, et maintiennent que chaque groupe correspond à une partie identifiable du stūpa. Le stupa représente ainsi à travers toutes ses parties l'enseignement du Bouddha.
Il existe une autre division de l'enseignement, ou plutôt de la parole du Bouddha, en 84'000 articles de la Loi (dharmaskandha : voir HBI p. 162 sq.). Cette division est moins répandue que la précédante, mais ce qui attire l'attention est que le nombre 84'000 est aussi le nombre de reliques du Bouddha rassemblées, d'après la légende, par l'empereur Asoka et enchassées par lui séparément, chacune dans un stúpa. L'idée qui est à la base de cette action légendaire est clairement l'homologie, voire l'identité, du corps du Bouddha avec la totalité de son enseignement. Cette idée trouve expression dans certains textes anciens."
Peut-être, sous l'influence de l'omniprésente pratique de vénération adressée aux stūpa, les bouddhistes restérent-ils hantés par des questions concernant le corps du Bouddha. Comment, par exemple, interpréter la confession de foi traditionnelle d'après laquelle le fidèle prend refuge dans le Bouddha, dans l'enseignement (dharma), et dans la communauté (sangha) ? Le Bouddha s'étant éteint, quelle est la nature exacte du premier refuge ? L'Abhidharmakośa Bhasya, texte du quatrième ou cinquième siècle de notre ère, prend soin d'exclure la possibilité qu'il s'agisse du corps physique du Bouddha. Ce corps n'a pas subi de modification par l'acquisition de la qualité de Bouddha. Donc on ne prend pas refuge dans le corps matériel du Buddha qui est en fait, le corps matériel du bodhisattva (c'est-à-dire, du Bouddha avant son éveil, JB. Le texte ajoute que le premier refuge consiste plutôt en les éléments (dharma) distinctifs qui font un Bouddha. D'autres textes parlent des qualités de concentration, sagesse, libération, connaissance et vision de la libération comme ce qui reste à côté des reliques (ou comme vivifiant celles-ci) après la disparition d'un sage."
2.7 Les manuscrits ne sont pas les seuls objets qu'on peut vénérer comme constituant l'enseignement du Bouddha. Strictement parlant, ils ne sont pas l'enseignement du Bouddha, mais ils le représentent. Il est vrai qu'ils le représentent d'une manière assez directe, parce qu'ils donnent accès à la parole du Bouddha pour ceux qui savent lire. Mais il est possible de choisir d'autres représentations. C'est ce que certains bouddhistes ont effectivement fait. Quelques textes ont survécu qui montrent que certains bouddhistes considéraient les stupa eux-mêmes comme représentant l'enseignement du Bouddha. Les bouddhistes avaient résumé ce qui constituait pour eux l'essence des sermons du Bouddha dans une liste de notions, sept groupes qui forment ensemble les trente-sept dharma qui mènent à l'éveil' (bodhipaksyah / bodhipaksikah dharmah). Les théoriciens du
2.8 Le terme dharmakāya, que nous avons déjà rencontré en tant qu'adjectif, pennet également d'une interprétation comme substantif, signifiant soit le corps qui est le dharma', soit le corps du dharma'. Nous avons déjà vu que l'adjectif dharmakaya présuppose que l'enseignement constitue le ou un corps du Bouddha, et par conséquent qu'il existe un corps du Bouddha qui est son enseignement, un dharmakāya. L'emploi de ce terme comme substantif, en tant que tel, n'implique donc pas forcément l'introduction d'une nouvelle notion. Il peut tout simplement s'agir de l'enseignement (dharma), qui est un corps du Bouddha. Le terme fut
67 DN III p. 84, d'aprés Meisig, 1988: 100 sq. les paralleles chinois ne contiennent pas cette expres
sion 68 Voir, p.ex., Harrison, 1992: 47-48, Schopen, 1975 69 Voir, p. ex., Salomon, 1999: 59 sq.; Hinliber, 1983: 48; Kottkamp, 1992: 283 sq.; Levi, 1932a:
14 sq. 70 Foucher, 1905: 60. 71 Cp. Gethin, 1992
72 Roth, 1980. Cp. Bénisti, 1960: 89 sq, 73 Strong, 2004: 36 sq 74 Abhidh-k(VP) III p. 77, sous Abhidh-k 4.32. Le texte cité est une paraphrase élargie plutôt
qu'une traduction exacte du sanscrit original 75 Cp. HBI p. 689 54 76 Schopen, 1994: 474