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Les reliques dans les religions de l'Inde
Johannes Bronkhorst
avait le soutien de tous, laics aussi bien que monacaux. Les règles qui prescrivent la construction du premier stupa partent, bien entendu, d'une situation sans stúpa, mais il pourrait s'agir d'une situation imaginaire sans correspondance dans la réalité. En dépit des remarques précédentes, la question de l'existence d'une période 'pré-stupa' durant laquelle les fidèles bouddhistes auraient vénéré des reliques qui n'étaient pas encore enchassées dans un stūpa reste donc hypothétique
ou à raison, l'aniconisme de l'art ancien bouddhique. Les bas-reliefs de plusieurs stupa anciens (Bhärhul, Sanci, Amaravati) dépeignent des scènes de la vie du Bouddha (avant et après son éveil), parmi lesquelles sa naissance, son éveil, sa première prédication et sa mort occupent des positions centrales. Dans toutes ces scènes, qui sont riches en personnages variés et multiples, le Bouddha est absent. On y trouve, d'autre part, des objets qui permettent d'identifier les scènes: l'arbre sous lequel l'éveil a eu lieu pour les scènes qui dépeignent cet événement; la roue pour les scènes qui représentent la mise en branle de la roue de l'enseignement, c'est-à-dire, la première prédication ; le stupa pour les scènes qui concernent la disparition du Bouddha. D'autres signes, notamment les empreintes des pieds du Bouddha ainsi que son chemin de promenade' (cankrama), sont présents dans d'autres scènes. L'explication correcte de ce soi-disant aniconisme reste un sujet débattu parmi les historiens de l'art, sujet qu'on ne pourra aborder ici." Il est pourtant indéniable que les artistes bouddhiques ont préféré, jusqu'à quelques quatre siècles après son départ, ne pas attirer l'attention sur le corps du Bouddha, même là où la représentation de scènes de sa vie les invitait à le faire.
2.5 La même tendance se manifeste aussi autrement. Alfred Foucher (1905: 5262) - mentionnant dans ce contexte les noms de Bumouf et de Guillaume de Humboldt, qui avaient exprimé des idées semblables avant lui-a signalé que la vénération religieuse des bouddhistes, d'abord centrée sur les reliques, s'est transférée sur le stúpa. La destination originale du stūpa, censée avoir été purement fonctionnelle, fut lentement oubliée par les bouddhistes ordinaires, pour céder la place à une évaluation religieuse de la construction elle-même. André Bareau l'exprime de la façon suivante (1962: 269): la participation du stupa au caractère sacré des reliques et de la personne du Bouddha ou du saint tend à personnaliser le monument... Des avant notre ére, donc, le stúpa est plus que le symbole du Bouddha, c'est le Buddha lui-même ...Une fois de plus, l'explication de Foucher gagne en intérêt, et en plausibilité, si l'on prend en considération le rejet ambiant et croissant de tout objet connecté avec la mort et avec des cadavres. Ce rejet touchait tous les bouddhistes indiens, y compris les moines et les nonnes. Vu ainsi, le transfert de la vénération des reliques vers le stúpa n'était pas une simple erreur, un oubli du vrai rôle du stupa, mais un processus conscient ou inconscient qui
2.6 Il est tout à fait possible qu'une grande partie des bouddhistes laics se soient contentes de la vénération des stūpa, sans se poser trop de questions sur sa justification ou sur son lien avec l'enseignement du Bouddha. La vénération des stupa n'était pourtant pas le domaine exclusif des lacs. Les données archéologiques montrent que, dès une date ancienne, peut-être même dès le début du culte des stupa, les moines et les nonnes y participaient activement. On fondait des monastères à côté de stūpa (ou peut-être des stúpa à côté de monastères)." ce qui indique que les monacaux n'étaient pas indifférents à ce culte. Il n'est donc pas étonnant que le besoin de justifications théoriques du transfert de vénération se soit fait sentir parmi ces derniers.
Pour arriver à de telles justifications, la tradition bouddhique elle-même fournit plusieurs éléments utiles. Le Bouddha, d'après cette tradition, a à plusieurs reprises souligné l'importance de son message plutôt que de sa personne. Juste avant de mourir il a dit que, après sa disparition, son enseignement servirait de maitre à ses fidèles. Cet enseignement est, ou comprend, ce qu'on appelle le dharma en sanscrit, dhamma en pali, et qu'on traduit parfois par 'l'enseignement, pour le distinguer de l'autre volet principal de l'enseignement du Bouddha, à savoir les règles de la discipline monastique (vinaya). Le Bouddha s'identifie même avec son enseignement dans des remarques du type: »Celui qui voit l'enseignement me voit ; et qui me voit voit l'enseignementa (en pali: yo dhammani passati so man passati, yo man passati so dhammare passati). Il n'est pas surprenant qu'on trouve déjà dans les textes canoniques en pali l'adjectif dhammakaya (sanscrit dharmakāya) qui signific: celui dont le corps est le dharmas, c'est-à-dire, celui dont le corps est l'enseignement ; l'adjectif y qualifie
61 Cr van Kooij, 1999. Sur les les empreintes des pieds en particulier, voir Brown, 1990, Bakker,
1991: 25 sq 62 L'hypothèse de John C. Huntington (1985) et Susan L Huntington (1985: 70 sq.) d'après
laquelle on a commencé à produire des images du Bouddha moins d'une génération après sa mort est contestée par Linrothe (1993) et Krishan (1996 20-22% voir également Schopen, 1988-89. 251. Il est peut-être significatif que peu de témoignages du soi-disant aniconisme bouddhique semblent appartenir au Gandhira, et que cette région ait été parmi les premieres (peut-être la premiére) d'où des images du Bouddha nous soient parvenues.
63 Schopen, 1994: 52 sq. On doit distinguer les reliques du Bouddha ou d'autres saints qui font
l'objet de vénération dans leurs stūpa), des restes d'autres morts placés proche d'un tel stúpa, parfois dans des stüpa 'votifs' ou 'en miniature, parfois dans des urnes sans stúpa, ou encore
dans d'autres conteneurs, voir Schopen, 1994a. 64 Certains textes de discipline prescrivent que le stupa doit être bâti avant le monastère: Barcau.
1962: 234 65 Bareau, 1971: 136 54 66 SN III p. 120 (Vakkali Sutta)