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Johannes Bronkhorst
Les reliques dans les religions de l'Inde
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du Gandhāra sont décrits dans le Mahabharata comme étant en dehors du système des vama, comme des pécheurs.
Il est également significatif que les récits occidentaux distinguent nettement entre les régions s'étendant vers l'est de l'Indus et celles s'étendant vers l'ouest. C'est ainsi que L'Inde de Arrien contient la remarque suivante: Le territoire qui s'étend vers l'est à partir de l'Indus, je l'appellerai l'Inde, et ses habitants, les Indiens. Quant aux peuples qui habitent les régions à partir de l'autre rive de ce fleuve, ce texte dit: »Le territoire qui s'étend vers l'ouest depuis le fleuve Indus jusqu'au fleuve Köphén est habité par les Astakènes et les Assakenes, deux ethnies indiennes. Mais ces hommes ne sont pas d'aussi grande taille que les Indiens qui demeurent en deçà de l'Indus, et ils n'ont pas le coeur aussi vaillant ni le teint aussi noir que la majorité des Indiens... Les descriptions qu'Arrien nous donne des classes indiennes, parmi elles la classe des sages, dont la seule obligation est d'offrir des sacrifices aux dieux au nom de la communauté (Charvet, 2002:49), ne concernent donc que les régions qui s'étendent vers l'est de l'Indus, et non pas le Gandhära, et certainement pas la Bactriane."
En ce qui concerne l'histoire de l'art du Gandhāra, Mario Bussagli (1984/1996: 457) dit, après une analyse de plusieurs objets d'art: >>Tout ceci nous parle d'une pensée religieuse en ébullition qui se développe en termes plus iraniens qu'indiens et qui ... confère des notations, que je définirais comme irano-centrasiatiques, à la religion intégrée par le langage gandharien, qu'elle soit bouddhique, sivalte ou autrex
La faiblesse, voire l'absence de la tradition védique dans l'extrême nord-ouest du sous-continent, en combinaison avec la forte présence du bouddhisme, est sans doute un facteur qui nous permet de comprendre la présence et l'accessibilité de reliques bouddhiques dans ces régions. Dans le reste de l'Inde cette accessibilité était beaucoup plus réduite, et la vénération des reliques eut tendance à laisser la place à d'autres cultes. Il reste cependant des traces de ce culte des reliques dans les récits, inscriptions et représentations anciennes (van Kooij, 1990). Xuanzang, au septième siècle de notre ère, nous rapporte quelques cas où l'on montrait au public des reliques du Bouddha dans les parties centrales de l'Inde. C'est ainsi que, dans la ville de Kanyakubja, capitale du roi Harşavardhana, on exhibait une dent du Bouddha. Et dans le monastère Mahābodhi, construit par un ancien roi du Ceylan, non loin de l'arbre sous lequel le Bouddha avait atteint l'illumination, on montrait des reliques ayant la forme d'os et de chair. Il est séduisant de penser que le lien d'un côté avec le puissant roi bouddhiste Harsavardhana et de l'autre avec l'influence ceylanaise explique le culte ouvert des reliques dans une ambiance qui semble avoir de plus en plus de réserve par rapport à cette pratique.
2.4 Il est important de ne pas exagérer l'accès public aux reliques dans les pays bouddhiques autres que l'Inde. John Strong (à paraître) souligne à juste titre que leur accés y est moins ouvert que dans le christianisme occidental. Cela ne change pourtant rien au fait qu'un contraste remarquable existe à cet égard entre le bouddhisme indien dans les régions de forte présence brahmanique) et le bouddhisme ailleurs. Les reliques bouddhiques en Inde, à ce qu'il semble, restent le plus souvent couvertes et cachées. On peut ajouter à cela la tendance indéniable du bouddhisme indien à éclipser l'attention portée aux restes du cadavre du Bouddha (ou d'autres saints), ou même à son corps vivant, au profit de symboles qui les représentent. Nous en regarderons quelques exemples dans un instant
Les historiens de l'art savent depuis bien longtemps que l'on ne trouve pas d'images du Bouddha dans l'art bouddhique ancien, quoique celui-ci contienne beaucoup d'images d'autres figures humaines et divines. C'est ce qu'on appelle à tort
55 P.ex., Mhbh 12.65.13 ff: 200.40-41. 56 Charvet, 2002: 31, 33, cp. Wirth & Hinuber, 1985: 614 sq 57 Cf. Thapliyal, 1979: 4: during the greater part of the centuries immediately preceding the Chris
tian era the Indus appears to be the substantial western boundary of India. La raison de cette faible présence du brahmanisme dans la région même ou avaient été composés ses textes les plus sacrés reste obscure. Un lien avec son appartenance politique à l'empire achéménide durant plu. sieurs siècles, suivie d'une domination grecque el ensuite 'barbare jusqu'au quatrième siècle de notre ère ne peut être exciu. (Cp. Fussman, 2003: 811: son sait que les hymnes du Rig Veda furent fixés au Panjab, depuis longtemps lerre impure pour les hindous car peuplée de siècle en siecle par de nouvelles vagues de migrants non hindous venus du norde.) Sur la politique religieuses de Darius ler, voir Pirart, 2002. La menace que ces étrangers posaient pour le système des vama trouve son expression dans plusieurs passages purdiques, voir Parasher, 1991: 240 ff., ainsi que le passage du Yuga Purana cité plus haut, note 41. González-Reimann (2002: 99) attire l'attention sur le fait que certains passages du Mahabharata assimilent les souverains étrangers à la fin du monde. Il semble bien que la période kali dépeinte dans les Purana - période qui se caractérise premièrement par son manque de respect pour les brahmanes - correspond à cette même époque, voire la même région de l'Inde; cp. Hazra, 1940: 208 sq.
Il est également intéressant que l'archéologue Jonathan Mark Kenoyer - dans une communica tion (New perspectives on the Mauryan and Kushana periods) qui était prévue pour le congrés
Between the Empires& tenu á Austin (Texas) en avril 2003 - plaide en faveur d'une présence d'éléments indigenes dans la vallée de l'Indus indépendants des Achéménides de l'ouest et du bassin gangetique de l'est, jusqu'une époque postérieure aux Mauryas.
58 Dans l'opinion de Schopen (1985: 26 sq.) un passage du Molasarvästivada Vinaya préserve le
souvenir d'un temps où les reliques étaient objets de vénération directe, sans l'intermédiaire de stupa. Strong (2004) plaide pour une interprétation plus mitigée de ce passage: a la fin de
l'histoire concernée c'est un stūpa qui est créé. 59 Li, 1996: 150, 258 60 Strong (2004:10 sq) attire également l'attention sur le fait que dans plusieurs pays bouddhiques
ce ne sont pas les véritables os qui constituent les reliques, mais plutôt des perles, de taille et cou. leur variées, qu'on trouve dans les cendres du feu crématoire ou ailleurs, Strong évoque la possibilité que ces perles puissent être une réponse aux craintes de pollution dans les civilisations qui considerent tout contact avec un cadavre comme étant impur, il ne donne pourtant aucun exemple du culte de ces perles de l'Inde continentale, ce qui suggère que cette réponse n'y a pas été adoptée.