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Johannes Bronkhorst
Les reliques dans les religions de l'Inde
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implique en contrepartie un statut inférieur pour le corps physique du Bouddha, et donc l'inutilité du culte des reliques,
pourtant interprété différemment par la suite." Une idée constante dans ces interprétations est que le dharmakäyu est plus réel que le corps physique du Bouddha. Par exemple, une histoire racontée dans le Karmavibhangopadesa, texte de date incertaine, contraste le destin de deux moines. Le premier arrive à voir le corps physique (rūpakāya) du Bouddha, le deuxième son dharmakdya. Le Bouddha commente ce fait en disant du premier moine: (11) a vu ce corps qui m'est venu de mes parents, il ne m'a pas vu«.
Certains auteurs apportent des preuves pour montrer que le corps physique d'un Bouddha ne peut être son corps essentiel. Comment, par exemple, se peut-il que le bodhisattva, comme nous l'enseignent les biographies, ait di apprendre l'écriture, le calcul, la gravure, les arts et d'autres choses encore, étant donné qu'il avait le souvenir de ses anciennes résidences ? Comment est-il possible que ce même bodhisattva soit allé trouver un enseignement auprès des hérétiques, étant donné qu'il connaissait la doctrine bouddhique depuis longtemps ? Pourquoi le bodhisattva s'est-il livré à la mauvaise pratique de l'ascèse, étant donné qu'il connaissait la voie droite depuis longtemps ? Le docteur Asanga qui, au quatrième siècle, énumère dans sa Somme du grand véhicule (Mahayanasangraha) ces paradoxes et bien d'autres encore en conclut que le corps physique du Bouddha n'est pas son corps essentiel." Quoique Asanga ne parle ni de stupa ni de reliques, les lecteurs de son traité comprennent bien que la vénération du corps physique du Bouddha, ou de ce qui en reste, ne peut mener à rien. Certains autres textes du Mahayana, eux aussi, contiennent des arguments qui visent à dévaluer les reliques, ou à en nier toute valeur."
Il n'est pas utile ici de discuter du sens que certains bouddhistes ont prêté au dharmakaya, qui finit par étre identifié à l'absolu. Ces développements théoriques ne nous intéressent pas, parce que leur lien avec le culte de reliques et de stupa n'est plus évident. Toujours est-il que l'importance même prétée au dharmakaya
2.9 On ne peut discuter de l'histoire du stūpa et de sa signification sans mentionner que cet objet de vénération subit, plus ou moins à partir du deuxième siècle de notre ère, la compétition d'un nouveau venu, à savoir l'image du Bouddha." Nous savons que l'art ancien du bouddhisme ne dépeint pas le Bouddha. Cela change, et c'est à partir de la date indiquée que les artistes commencent à en produire des images, apparemment dans le but d'un culte. Il semble probable que, dès le début, ces images, pour être utilisées dans un culte, ont été consacrées et animées, comme c'est le cas dans l'hindouisme et dans le bouddhisme indien plus récent, tout comme dans le bouddhisme d'autres pays. Les images réussissent même à remplacer lentement les stūpa et les reliques. Certains indices montrent que ces images, au moins au début, ne représentaient pas l'un des corps abstraits qu'on avait commencé à attribuer au Bouddha, mais tout simplement son corps
wysique, ce qui veut dire que les images du Bouddha prennent la place jusque alors occupée par ses reliques. Les images permettent ainsi de vénérer le souvenir du dernier Bouddha, sans se souiller par le culte des reliques. Il est peut-être mieux de dire que l'image elle-même est le Bouddha ; les restes d'une image après sa wmorte sont eux-mêmes des reliques qu'on dépose dans des stúpa, comme le confirme l'archéologie.
Des temples ont été bâtis autour de certaines de ces images, et les spécialistes affirment que ces temples ne se distinguent plus guère des temples appartenant à d'autres religions indiennes contemporaines qui, eux aussi, sont destinés au culte d'images. Le culte d'images est attesté dans l'hindouisme bien avant son introduction dans le bouddhisme. Ce développement au sein du bouddhisme
77 Voir Bronkhorst, 2000: 163 sq. 78 Levi, 1932: 160, 174-75; Strong. 1978: 224. Strong (2004:141) raconte une autre histoire de ce
genre, originaire cette fois du Mahaprajfaparamita-sastra, voir Lamotte, 1949-80. II: 634-36. 79 Lamotte, 1938/1973: 331 sg., Griffiths et al., 1989: 252 sq. 80 Voir Schopen, 1987: 127, Schopen, 1975: 180: it is apparent from the texts cited above that the
Mahiyana of at least these documents is predominantly associated not with the stupa cult, but with the cult of the book. This association with the cult of the book, in turn, is invariably associ ated with an unambiguously negative attitude to the stūpa culta, également Hirakawa, 1963: 88 n. 170 (pour les autres bouddhistes). Ulrich Pagel, lors d'une présentation au 13e congrés de l'Association Internationale des Etudes bouddhiques (Stupas and stupa worship in Mahayana Buddhismu), a attire l'attention sur le fait que beaucoup de textes du Malayna ne sont pas contre
la vénération de reliques 81 Notons pourtant que le culte de reliques a contribué à l'élaboration d'une autre théorie boud
dhique, celle du fotografagarbha, d'après Masahiro Shimoda (2002).
82 Voir Schopen, 1988-89. Une image du Bouddha peut aussi contenir une relique, voir Gombrich,
1966: 25, Strong. 2004: 20. 83 Kieffer-Polz, 2000: 351 sq. Cp. Brown, 1990: 98: From the beginning of its appearance, the an
thropomorphic Buddha image was not that of a human being but clearly that of a god. Bakker (1991: 28) exprime la conjecture suivante: It seems no coincidence, but a corollary of the evolution of Indian religiosity as a whole, that the cult of Buddha images and the earliest evidence for Visnu's footprints date from about the same period, the first centuries of our craw, malheureuse
ment la logique derrière cette supposition me reste obscure. 84 Voir Strickmann, 1996: 175 sq. Swearer, 1995, Bentor, 1996; Gombrich, 1966 (avec Ruelius,
1978 et Gombrich, 1978); Tambiah, 1984: 230 sq.; Bizot, 1994; Davis, 1997: 33 sq.: Stevenson, 1920: 409 sq.; Colas, 1996: 308 sq.: Schober, 1997; Bühnemann, 1988: 52 sq. Le besoin d'une consécration existe même dans le cas de yantra d'après certains textes; voir Bühnemann, 2003:
38; Brunner, 2003: 173 85 Lancaster, 1974 86 Schopen, 1990: 276 sq 87 Mitra, 1971:52: Schopen, 1990: 277