Book Title: Langage Of Realite Sur Un Episode De La Pensee Indinee Author(s): Johannes Bronkhorst Publisher: Johannes Bronkhorst View full book textPage 2
________________ 181 Religions de l'Inde Johannes Bronkhorst seur boudanes positions de le principes heurte au de l'Inde classique. On y trouve également l'idée que le monde a été créé par les mots du Veda, ou à partir de ceux-ci. Dans le bouddhisme se développe une autre conception concernant le lien étroit entre les mots et les choses. Au bout de certains développements on en était arrive a la conviction que les objets du monde phénoménal n'existent pas vraiment. Pourquoi alors y croyons-nous ? Voici la réponse : les objets de notre expérience ne sont que des noms, ils ne sont existants que par dénomination. Cette conception a, à son tour, influencé les penseurs brahmaniques. Le système brahmanique du Vaiceshika, en particulier, se base sur des idées proches de celles des bouddhistes. Après ces observations préliminaires, passons maintenant au principe de correspondance et regardons ses effets sur la pensée indienne. Le penseur bouddhiste Nagarjuna - fondateur de l'école Madhyamika - l'utilise pour attaquer les positions de ceux qui affirment la réalité des objets du monde phénoménal. C'est que le principe de correspondance comporte quelques conséquences problématiques. Il se heurte au fait qu'un bon nombre de phrases ne décrivent pas une situation qui réunisse en un seul moment les éléments dénotés par les mots qui les constituent. La phrase le potier fait une cruche ne décrit pas une situation constituée d'un potier, d'une cruche, et de l'acte de faire, parce que la cruche n'existe pas encore à ce moment. C'est la raison pour laquelle Nagarjuna peut poser la question suivante : «S'il existait quelque part quelque chose de non produit, cette chose se produirait. Comme cette chose n'existe pas, qu'est-ce qui se produit ? » D'autres passages dans les ouvrages de ce penseur s'expliquent également à la lumière de ce principe Nagarjuna cherchait à exploiter les problèmes liés au principe de correspondance pour prouver sa propre position. D'autres penseurs, quelquesuns probablement déjà avant lui, étaient conscients des mêmes problèmes, mais proposaient d'autres solutions. Les bouddhistes de l'école Sarvistivada, par exemple, y réfléchissaient dans le contexte de leur propre ontologie, selon laquelle des choses passées et futures existent. Une chose future étant existante, on peut dire sans difficulté qu'elle se produit, tout en acceptant le principe de correspondance. Quelques passages dans leur Mahavibhasha vont dans ce sens. Dans le cas de l'école brahmanique connue sous le nom de Sankhya, certaines indications permettent de penser qu'elle a introduit son célèbre sarkaryavada, doctrine de l'effet (pré-Jexistant (dans la cause] , justement pour faire face au problème de la production de choses. La source la plus ancienne que nous ayons sur cette doctrine est le Çataka de Aryadeva. Une analyse des preuves présentées dans ce texte, que nous ne connaissons qu'en traduction chinoise, soutient la conclusion que cette doctrine fut premièrement, au début, une réponse aux problèmes évoqués par le principe de correspondance. Le fait que nos sources plus anciennes pour le Sankhya ne font pas mention de cette doctrine suggère qu'elle n'a pas toujours fait partie de cette philosophie. L'Agamaçástra, attribué par la tradition à un certain Gaudalda, qui semble, en partie, étre un texte bouddhique, est pourtant considéré comme un ouvrage ancien du Vedanta. On y trouve de nombreux parallèles avec les arguments de Nagarjuna. Comme solution au problème de la produce tion, Gaudapáda choisit la non-production : rien ne peut se produire qui existe - ce qui n'existe pas ne se produit pas non plus. Le commentateur Çankara-peut-être identique au célèbre Çankara de l'Advaita-Vedantapréfere plutôt une autre solution : seulement ce qui existe peut se produire. Autrement dit, Cankara adhère ici, comme ailleurs dans son cuvre, au satkaryavada, doctrine selon laquelle l'effet existe déjà avant sa produce tion. Il l'exprime dans son Brahma Sätra Bhashya comme suit : Si l'effet n'existait pas avant qu'il se produise, la production serait sans agent et vide. La production, en effet, est une activité, et celle-ci doit avoir un agent, tout comme les activités d'aller, etc. Il serait contradictoire de dire que c'est effectivement une activité et sans agent. On pourrait imaginer que la production d'une cruche, quoique] exprimée, n'ait pas la cruche comme agent, mais quelque chose d'autre.... Si tel était le cas, on dirait "le potier, etc., qui sont les causes, se produisent", au lieu de dire "la cruche se produit". Dans le monde, quand on dit "la cruche se produit", on n'a pas l'expérience que le potier, etc., eux aussi, se produisent. Parce qu'on a l'expérience qu'ils se sont déjà produits. Des discussions autour de la possibilité de la production se trouvent également dans les textes du jainisme, particulièrement dans les récits du premier schismatique Jamali. Une discussion claire et approfondie fait partie du Vipeshkvaçyaka Bhashya de Jinabhadra (6 siècle). Jamali se fâche, considérant comme fausse la parole sacrée qui dit « ce qui est en train d'être fait a été fait». La position orthodoxe jaina s'avère être la suivante : une chose n'est en train d'être faite que dans le dernier moment de sa production, c'est-à-dire au moment où elle a été faite. La production d'une cruche, par exemple, n'occupe pas une longue durée, parce que cette longue durée appartient à quelque chose d'autre, c'est-à-dire aux phases antérieures de la cruche. Conclusion : au moment o la phrase a la cruche se produit est vraie, la cruche a été produite. Il ne s'agit, bien entendu, que d'un seul moment, le dernier moment de la série d'activités qui aboutit à la production de la cruche. Mais le principe de correspondance est sauvé, et ceci d'une façon unique au jainisme. Une variante de la solution précédente était acceptée par le Vaiceshika ancien, antérieur au Padarthadharmasangraha (Praçastapadabhashya). On connait quelques positions de l'école à cette époque grâce aux citations préservées dans d'autres ouvrages, appartenant à d'autres courants de pensée, premièrement le Dvadaçaranayacakra de Mallavadin et son commentaire, la Nyayagaminusårini de Sinhasdri. On y apprend que le Vaiqeshika appelle les choses produites 'existantes à cause d'une connexion avec l'universel 'existence'. qui a lieu au moment de leur achèvement, ou tout de suite après. Avant que cette connexion avec l'universel 'existence' ait eu lieu, les choses ne sont pourtant pas complètement inexistantes. A ce moment-là, elles ont une essence, grâce à laquelle elles se produisent Même sans connexion avec l'universel'existence, une substance (ou une qualité, ou un mouvement) a ainsi une identité. Autrement dit, une chose existe avant sa production.Page Navigation
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