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Johannes Bronkhorst
En Chine également les sources confirment que l'accès aux reliques n'était pas inhabituel. À Ch'ang-an, par exemple, quatre dents étaient montrées chaque année au public. Le pèlerin Ennin rapporte en avoir vue une et même l'avoir touchée en 841. L'exposition d'un os du Bouddha, moins fréquemment montré, fut l'occasion de scènes d'extase." Ennin rapporte également avoir vu, lors de ses voyages en Chine, le crâne d'un saint bouddhiste (Byakushi Buddha, 'sanscrit pratyekabuddha), des os du Bouddha dans une bouteille de lapis-lazuli (p. 235), une dent d'un saint bouddhiste, des reliques du corps du Bouddha (p. 252-53), et avoir vénéré des os du Bouddha qu'un autre moine avait apportés dans ce but (p. 288-89). L'exhumation, exposition publique et transport vers le palais impérial d'une relique du Bouddha (l'os d'un doigt) furent répétés à cinq reprises sous les Tang à partir du septième siècle; la réaction du public fut parfois passionnée." En Chine, au Tibet et au Japon on trouve en outre des momies de moines qui font l'objet de vénération." En Asie du sud-est il était et est toujours coutumier de pouvoir contempler des reliques directement."
2.3 Les témoignages de pèlerins chinois bouddhistes en inde confirment en général le contraste qui distingue les parties du sous-continent teintées par le brahmanisme d'autres régions bouddhiques. Faxian entre le sous-continent par le nord-ouest vers l'an 400 et y passe ensuite une quinzaine d'année en voyageant, pour enfin visiter Ceylan. Il rapporte la manipulation de reliques physiques du Bouddha comme ayant lieu dans le nord-ouest extrême (Nagarahāra, l'actuel Jalalabad," Afghanistan) et à Ceylan, mais non pas dans les parties centrales du sous-continent.38 L'autre grand voyageur dans l'Inde bouddhique, Xuanzang, mentionne toute une série de reliques du Bouddha, la plupart d'entre elles cachées à l'intérieur de stupa. Par contre, la plupart des reliques qu'il a pu voir, ou que, d'après lui, on avait l'habitude de montrer au public, se trouvent dans le pays de Baktra (Bactriane), et dans un monastère au sud-est de Bamiyana (Afghanistan)." L'absence du brahmanisme
32 Reischauer, 1955: 301. Cp. Strong & Strong, 1995.
33 Ch'en, 1964: 279 sq.; 1973: 267 sq.; Dubs, 1946; cp. ER 12, p. 281.
34 Chen, 2002: 43 sq., 98 sq.
35 Demiéville, 1965; Sharf, 1992; Faure, 1991: 148 sq
36 Barthes, 1952; Strong, à paraître.
37 Cunningham, 1871: 37 sq.
38 Li, 2002: 171 sq.; 206 sq.; Legge, 1886: 36 sq.; 105 sq.; Demiéville, 1937: 204. Cp. Wang, 1984:
243.
39 Li, 1996: 33, 38 sq. A noter que l'inscription de Senavarma, qui date du milieu du premier siècle de notre ère et appartient à la région frontalière située entre le Pakistan et l'Afghanistan, semble dire que ce roi avait fait distribuer une relique du Bouddha (Hinüber, 2003: 21: »Senavarma... hat... die (Reliquie?) weithin verteilen... lassene (vivula vestario... karita/vipulā vaistārikā.... käritä)). L. Behrendt (2004:30-31) attire l'attention sur l'existence de direct-access relic shrines et direct-access main stupas dans la région de Gandhara.
Les reliques dans les religions de l'Inde
dans la Bactriane de l'époque est bien connue," et sa faiblesse dans les régions avoisinantes, particulièrement au Gandhara, semble probable." Pour le milieu du troisième siècle avant notre ère, Émile Benveniste (1958: 44) conclut - sur la base de son analyse de deux inscriptions araméennes - que le mazdéisme prévalait dans la région entre Qandahar et Taxila. La faiblesse du brahmanisme védique dans ces régions est par ailleurs confirmée par les textes brahmaniques eux-mêmes. Plusieurs d'entre eux (Mahabhäṣya de Patanjali sous P. 2.4.10, vol. I p. 475; sous P. 6.3.109, vol. III p. 174, cp. Deshpande, 1993: 96 sq.; Baudhayana Dharmasutra 1.2.9-17; Vasistha Dharmasutra 1.8-16) délimitent ce qu'ils appellent le domaine
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40 Voir, p. ex., Staviskij, 1986: 195 sq.
41 Pour une carte du Gandhara, voir HBI carte 4. Il est peut-être significatif dans ce contexte qu'un passage de l'Assalāyana Sutta du Majjhima Nikaya (MN II p. 149) maintient que le système des quatre varna n'existe pas parmi les Yona et les Kamboja. (Les Kamboja - d'après Benveniste, 1958: 45-48 étaient des iraniens de religion mazdéenne, à qui s'adressait l'inscription araméenne d'Aśoka à Qandahar. Au sujet de leur nom Witzel, à paraître, propose la spéculation suivante: >>This name may have been the title of the Persian crown prince, from where we perhaps get the name of Cambyses (Old Pers. Kambaujiya). Cette spéculation avait déjà été lancée par Charpentier et critiquée par La Vallée Poussin; voir Karttunen, 1989: 145.) La Manusmrti (10.43-44) mentionne les Yavana et les Kamboja ou Kamboja - avec les Dravida, les Šaka, les chinois et d'autres comme étant des ksatriya graduellement déchus au rang de südra faute d'observer la Loi brähmanique (Filliozat, 1981: 116 n. 40). Une inscription d'Aśoka constate que les deux classes des brahmanes et des śramana n'existent pas parmi les Yona; Hultzsch, 1925: Rock Edict XIII, Kalsi version, pp. 44-47 (tr. Hultzsch: »There is no country where these (two) classes, (viz.) the Brahmanas and the Śramanas, do not exist, except among the Yonas«); Parasher, 1991: 238. La nature de la crainte des brahmanes pour les Grecs s'exprime dans le Yuga Purana (HBI p. 411; strophes 47, 49-50, 55 dans l'édition de Mitchiner, 1986/2002: xvii-xix): »Ayant conquis Saketa [Ayodhya], les Pañcala [Doab] et Mathură, les Yavana méchants et vaillants atteindront Kusumadhvaja [Pataliputra).... A la fin du yuga, il y aura des Anaryens dépourvus de religion; Brāhmaṇa, Ksatriya, Vaisya et Südra seront des hommes inférieurs, empruntant les mêmes vêtements et les mêmes pratiques.... Des Śūdra interpelleront les brâhmanes par »Bho!«<, et les brâhmanes les salueront du mot »Arya«.« Cp. Mitchiner, 1990.
Il est surprenant que Xuanzang semble inclure Nagarahāra et Gandhāra dans ce qu'il appelle Indu ou encore le pays des brahmanes en donnant pour raison que les brahmanes - ceux qui étudient les quatre Vedas, etc. - y sont les plus nobles; cf. Li, 1996: 49 sq. Watters (1904-05: 180) fait à ce propos l'observation suivante: Our pilgrim has now reached the territory which he, like others before and after him, calls India. But it is important to remember that the countries which be describes from Lan-p'o to Rajpur both inclusive (ie., Lampa, Nagarahāra, Gandhāra, Udyana, Balūra, Takṣasilä, Simhapura, Urasa, Kasmira, Parņotsa, Rajapura; JB] were not regarded by the people of India proper as forming part of their territory. It was only by foreigners that these districts were included under the general name India. To the inhabitants of India proper the countries in question were 'border lands" inhabited by barbarians. This was a fact known to Yuan-chuang. Vincent Eltschinger attire mon attention sur un passage du Rajatarangini de Kalhana (I. 307) qui caractérise les brahmanes du Gandhara (gāndhārabrāhmaṇāḥ) comme étant les plus bas des deux fois nés (dvijādhamāḥ); cp. Mohan, 1981: 213; Witzel, 1985: 54; 1994: 252, 259. Song Yun dit au sujet du Gandhara (comme cité par Witzel, 1994: 251): wall the inhabitants are Brahmans who respect Buddhist teaching and enjoy reading sütras«; Witzel estime que cette affirmation pourrait trahir le parti pris de Song Yun en faveur du bouddhisme.