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et de se nourrir de la viande bien que les textes enseignent aussi la non-violence, l'abstinence et le végétarisme: "Une thérapeutique de la force et de la virilité est insérée dans une tradition médicale et religieuse qui la dépasse et lui superpose une thérapeutique de la pureté et de la nonviolence" (p. 198). Ce même thème est poursuivi dans le chapitre suivant "Note sur le végétarisme et la non-violence". L'auteur remarque que "les raisons qui autorisent le régime carné sont de trois ordres: (1) l'activité sacrificielle; (2) les cas d'urgence vitale, famine ou maladie; et (3) le modèle de vie royal" (p. 202). L'abstinence" (nivrtti) ne devient possible que par le renoncement à la vie dans le monde, l' "activité" (pravrtti) naturelle aux créatures qui les conduit à se manger les unes les autres.
Le dernier chapitre "Les animaux dans la filière des nourritures" se pose comme objet de déterminer les positions de l'animal et de l'homme dans l'échelle des créatures. L'auteur montre qu'en combinant les idées de hiérarchie et continuité Aristote ou ses successeurs ont rendu possible le développement des sciences naturelles alors que, dans l'Inde, l'échelle des êtres ne fut jamais rien de plus qu'un principe juridique qui classe les êtres selon leurs mérites et selon leur aptitude ou leur inaptitude à pratiquer les rites. Ce que l'on trouve dans l'Inde c'est une filière des nourritures. La classification des êtres vivants se réduit à une classification des aliments et remèdes Le médecin s'occupe avant tout de l'artha, de la santé. C'est dans ce sens que le médecin échappe à ce scheme de classification strictement juridique et ritualiste qui sert à hiérarchiser les êtres selon leurs mérites. L'auteur remarque que l'on trouve dans l'Ayurveda les ébauches d'une pensée la’ique et que les nomenclatures ayurvédiques participent d'un mouvement de la pensée vers le concret et les réalités biogéographiques. Mais ce mouvement est immédiatement arrêté et normalisé par la tradition englobante et les données réelles sont submergées dans des catalogues, produits d'un système de pensée combinatoire.
Dans ce livre l'auteur prend comme point de départ l'opposition entre les terres sèches et les terres paludéennes et montre comment, d'un côté, cette opposition se retrouve dans la réalité biogéographique, et, de l'autre, est formulée dans des taxinomies traditionnelles dont la structure est le produit d'une combinatoire logico-poétique. Pour mettre en lumière le caractère propre des doctrines médicinales indiennes l'auteur attire souvent l'attention sur des points de correspondance et de divergence avec la médecine grecque. On regrette un peu que ces aperçus comparatifs soient éparpillés ici et là et que l'auteur n'en ait pas fait le bilan dans un chapitre spécial. L'intérêt de ce travail déborde largement le domaine de la médecine indienne puisque l'auteur s'intéresse surtout à l'étude des catégories de la pensée collective et . à leur formulation. En étudiant soigneusement ce livre qui n'est pas toujours facile à lire le lecteur obtiendra une meilleure compréhension de la mentalité collective indienne. C'est le grand mérite de l'auteur d'avoir mis en lumière les modes de pensée et de parole qui sont à l'origine des doctrines ayurvédiques dans les traités de médecine indienne.
sur
Jacques Scheuer, Śiva dans le Mahābhārata (Bibliothèque de l'École des Hautes Études, Sciences religieuses, Volume LXXXIV). Paris, Presses Universitaires de France, 1982. 376 pp. 180 FF.
Dans son introduction Jacques Scheuer explique la perspective qui l'a guidé dans son étude sur Siva dans le Mahābhārata (Mbh). Le Mbh est un ensemble unifié et cohérent et le mythe central exprime une vision du monde dans laquelle Vişnu et Siva - ou Krsna et Rudra - occupent des positions plutôt complémentaires qu'exclusives. Les antagonismes éventuels sont commandés par les positions que ces divinités occupent dans la structure commune et les fonctions qu'on leur y fait jouer, les valeurs qu'elles représentent.
La position prise par l'auteur montre bien ce qui le sépare des interprétations proposées par de nombreux savants dans le passé. Jacques Scheuer passe rapidement en revue les tentatives de plusieurs savants de reconstruire un poème héroïque, fruit d'un âge héroïque (N. K. Sidhanta,
Indo-Iranian Journal 28 (1985).