________________
Johannes Bronkhorst
Les reliques dans les religions de l'Inde
57
Le mort est place les jambes croisées et assis dans une large corbeille que quatre Bralmes portent Suspendue avec des cordes, au moven d'un long et gros baton jusqu'à la fosse qu'on a prepare proche d'une riviére, s'il y en a dans le voisinage. Cette fosse est creusée en puits de la hauteur d'un homme. On commence par le remplir à moitié de sel sur lequel on place le Saniassis dans la méme posture qu'on l'avait apporté, c'est-à-dire, assis les jambes croisées. On jette de nouveau jusqu'au cou du cadavre une grande quantité de sel qu'on presse bien tout autour: Ce qui est suivi d'une cérémonie bien bizarre. On casse sur la tête du mort une grande quantité de cocos, jusqu'à ce qu'elle soit elle-même totalement fracassée, après quoi on jette encore du sel dans la fosse, en sorte que la tête en soit totalement couverte. On élève au-dessus d'elle avec de la terre une sorte d'estrade haute de cinq palmes, et sur cette estrade on form un lingam haut de trois palmes. Il est consacré par les mantram des Brahmes prés ents, et on lui offre des lampes, des fruits, de l'encens et surtout du paramannam. C'est un excellent met au goût des Brahmes composé de riz-cuit, de cocos et de sucre. Ces offrandes sont ac compagnées des louanges de Vichnou que les Brahmes font retentir. La cérémonie se termine ainsi: Celui qui a été le président et le conducteur fait trois fois le tour du nouveau lingam, après quoi il lui fait une inclination, ayant les mains jointes. Il fait des souhaits en faveur du mort, afin que par le sacrifice fait au lingam, il soit parfaitement assasie, qu'il soit agréable à Chiva et que Brahma le recevant dans son monde, il ne soit plus obligé de renaitre en celui-ci. Après quoi il répand à terre un peu de riz et d'eau. Certains tombeaux de ces Brahmes-Saniassis sont assez fameux pour qu'on y fasse des voeux et des offrandes. Il paroit qu'on les regarde comme des espèces de divinités.
Le traitement réservé aux cadavres de ces samunyasin doit retenir notre attention, parce qu'il est en opposition totale à ce que nous savons de l'attitude brahmanique à l'égard de la mort. Il est pourtant clair qu'il s'agit d'une coutume ancienne, parce certains textes védiques auxiliaires en parlent déjà utilisant parfois le terme parivrăjaka plutôt que sarnyasin). Cependant, le nombre de textes védiques auxiliaires qui mentionnent ce phénomène n'est pas très élevé. Et, fait révélateur, la grande History of Dharmaśāstra de l'érudit indien Pandurang Vaman Kane-ouvrage gigantesque qui couvre en plus de 6500 pages tout ce qui concerne les lois et les coutumes du brahmanisme - ne réserve au destin du cadavre du samtydsin que deux pages et demi. Cette coutume est décrite dans deux textes anciens: le Baudhayana-pitsmedha-sútra et le Vaikhānasa-grhya-sútra, ainsi que quelques textes plus récents, parmi lesquels Kane mentionne en particulier le Smrtyarthasăra. Les prescriptions contenues dans ces textes ne devient pas trop du récit du Pére Coeurdoux. Le Vaikhanasa-grhya-sūtra 10.8, que Kane ne mentionne pas dans ce contexte, stipule que ce rite d'inhumation ne comporte pas d'impureté. Il est suivi sur cette question par le Smrtyarthasara, texte des alentours de l'an 1200.20
Comment expliquer cette série de traits surprenants? Il est ici nécessaire de rappeler que la base historique de l'institution des quatre étapes de vie du brahmanisme classique est la rencontre des deux traditions initialement indépendantes que nous connaissons, à savoir la tradition védique et le mouvement des sramana.
La quatrième étape en particulier est le résultat d'une synthèse de deux idéaux ascétiques à l'origine très différents: d'un côté le vicillard védique qui renonce à tout ce qu'il possède pour terminer ses jours comme quelqu'un qui socialement parlant est déjà mort de l'autre côté le mendiant errant qui cherche à découvrir vraie nature de son âme. Le deuxième type d'ascéte appartient au mouvement des śramana, le premier à la tradition védique. Le cadavre du renonçant védique ne mérite aucune considération spéciale : celui du mendiant errant qui a découvert la vraie nature de son âme le contraire. Il semble justifié de croire que la pratique d'inhumer des ascètes du type samnyāsin continue une vieille coutume dont l'origine se trouve dans le mouvement des śramana, une tradition dans laquelle on ne trouve pas l'impureté liée au cadavre qui caractérise le brahmanisme, et dans laquelle la vénération du tombeau d'un saint était coutumière. Considéré ainsi, le traitement réservé aux sanyasin jusque dans l'Inde moderne est une expression de la même tradition que la vénération de stupa qu'on trouve dans le bouddhisme et dans le jainisme ancien. Il est peut-être surprenant que le cadavre du samnyasin ne soit pas incinéré, et il est vrai qu'une explication de cette divergence serait la bienvenue. Il n'en reste pas moins que la pratique de vénérer des cadavres est un point commun à la tradition des sarunāsin et au bouddhisme, qui nous permet de postuler une origine commune.
Le Vaikhanasa-grhya-sūtra 10.8 confirme les remarques faites ci-dessus au sujet de la double origine des sarunyasin. Ce texte distingue deux types de sainya sin, celui qui a et celui qui n'a pas établi le feu sacré.
Pour en revenir au bouddhisme, je terminerai cette section sur quelques remarques au sujet des propositions faites par d'autres chercheurs dans le but de prouver que le culte du stupa continue certains traits de la religion védique plutôt que des traits appartenant à une autre tradition. Paul Mus, dans les années trente, a essayé de mettre en évidence l'analogie qui existerait entre le culte du stúpa et le sacrifice brahmanique de l'agnicayana ; l'agni brahmanique, nous dit-il, parait être l'antécédent le plus direct de la conception qui s'exprime dans le stúpa (Mus, 1935: 79 sq.). John Irwin, presque cinquante ans plus tard (1979, 1980, 1984), développe et modifie les idées de Mus et voit, lui aussi, une continuité entre la religion védique et le symbolisme du stūpa. Les défauts dans les idées d'Irwin ont été démontrés par Gérard Fussman (1986); il n'est pas nécessaire d'y revenir. Ce qu'il faut souligner est que la recherche même d'une continuité avec la religion védique se base sur la conviction préalable que le bouddhisme est, au fond, un développement de la religion védique. Le fait que, bien au contraire, il appartient à
19 Caland, 1927: 139, 1929: 220. 20 Kane, HistDh IV p. 229 sq. Voir également Eliade, 1954: 409 410 (L'enterrement des ascètes)
21 Bronkhorst, 1998: Part 1 22 L'explication officielle pour l'absence d'incinération du cadavre du som sin est, bien
entendu, que le sannsin s'est déjà incinéré symboliquement au moment de sa renonciation.cp. Bronkhorst, 1998 ch. 2, Parry, 1982: 82, 96 sq.