Book Title: La Vrai Brahmane Etre Inoffensif Mahane Avihannu Suyagada
Author(s): Colette Caillat
Publisher: Colette Caillat
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Page #1 -------------------------------------------------------------------------- ________________ COLETTE CAILLAT Paris Le vrai brahmane, etre "inoffensif", mahane avihannu, Suyagada 1.2.2.5 Dans le premier livre du Suy(agada), la deuxieme lecon est intitulee veyaliyam, nom a(rdha)m(a)g(adhi) auquel la tradition attribue une double signification. Referant a la forme, precisent les commentaires, il indique le choix du metre, qui est le vaitaliya; referant a la matiere du chapitre, il signale la nature de l'enseignement ici dispense (d'ailleurs conforme a celui du Jina), lequel, parce qu'il traite de la destruction (des karman)', est dit, comme le veut l'etymologie, le destructeur (des karman)' ", karmanam vidaranam abhihitam iti 'krtva, etad adhyayanam Nirukti-vasad 'vidarakam'tato bhavati'. La Nijj, qui sera suivie par les commentaires ulterieurs, s'efforce, non sans quelque artifice, de specifier le theme de chacune des trois sections qui composent cette lecon: eveil (a la verite) et impermanence dans la premiere, rejet de l'orgueil dans la deuxieme, enfin, dans la troisieme, elimination du karman accumule du fait de l'ignorance. En realite, la Nijj se borne ici a repercuter les considerations que formulent les stances initiales de chacun des trois uddesa: "eveillez-vous" (sambujjhaha, Suy 1.2.1.1), "le sage ne se laisse pas griser" (muni na majjai, 1.2.2.1), "le mal dont aura ete atteint (le ! Niji, citee dans JAS p. 16 (cf. p. 30): T (p. 36), citee ibid. - Voir BSS II, texte p. 3, commentaire p. 25 sq.; Jacobi, SBE 45, p. 249 et n. 1; W. Schubring, Worte p. 130 et n. 1, "Neue Weise (die Tatwirkung aufzuheben)": L. Alsdorf, Kleine Schriften, p. 384, n. 17. 2 Nijj 40: samboho aniccaya ya. Nijj 40: mana-vajjanaya. * Nijj 41: annana-ciyassa avacao. Page #2 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Colette Caillat religieux) depourvu de la connaissance s'elimine s'il pratique le controle de soi" (jam dukkham puttham abohie / tam samjamao 'vacijjai, 1.2.3.1). Toutefois, le lecteur non prevenu voit plutot, dans les soixante-quinze stances de ce chapitre, des invitations pressantes a ne pas frapper ou tuer (infra), a preferer a l'action le non agir qui, seul, permet de mediter, de mettre en pratique l'enseignement de Mahavira, et d'atteindre ainsi la Perfection (siddhi), de devenir siddha'. Les remarques qui suivent, en hommage a un savant qu'ont interesse tous les aspects de la civilisation indienne et de ses langues, proposent de montrer comment le derive a-vihannu, s'il a bien existe, trouve place dans ce champ de preoccupations "non-violentes": il est probable que, a l'origine du moins, il a signifie "in-offensif", et non "in-ebranlable, im-perturbable", comme on a tres tot, semble-t-il, ete porte a comprendre. 1. Inlassablement prone dans le Suy, le pacifique ideal qui vient d'etre evoque s'exprime a maintes reprises dans cette deuxieme lecon. On lit, par exemple, "degages (du mal), les heros (jaina), prets (pour le bien), [...] ne font de violence aux etres en aucune maniere", viraya vira samuthiya... pane na hananti savvaso, Suy 1.2.1.12, ou "il avance avec pour but precis la totale non-violence", a-vihimsam eva Pavvae, Suy 1.2.1.14c, 5 Dans le premier uddesa, 22 vey(aliya), (JAS 89-110); dans le deuxieme, 32, (JAS 111-142); dans le troisieme, 21 (+1), (JAS 143-164). 6 Cf. arambha viramejja su-vvae, "qui observe parfaitement les voeux renoncera aux entreprises (nocives)" (Suy 1.2.1.3d); veyaliya-maggam agao ... /cecca vittam ca ... arambham ca su-samvude carejjasi, "celui qui en est venu au chemin de la destruction (du karman), ayant abandonne ses richesses..., ses entreprises (nocives). -- tu dois pratiquer la parfaite maitrise de soi" (ibid. 22). Selon T 37: arambha est savadyanusthana-rupa (cf. T 40). En fait, tout mouvement met en danger la vie des infiniment petits (cf. Suy 1.2.1.11b), en sorte que la moindre entreprise est meurtriere: arambha est ainsi souvent associe a vihimsa, par exemple dans les edits d'Asoka (infra n. 20). Cf. evam matta mahantaram dhammam inam ... baha jana / guruno chandanuvattaga viraya tinna mah'ogha-m-ahiyam, "ayant ainsi reflechi a la superiorite de cette Loi, ... bien des gens, suivant la volonte du Maitre, ont renonce (aux entreprises nocives), ont traverse ce qu'on appelle le grand ocean (du samsara)", Say 1.2.2.32. * Cf. Suy 1.2.3.21, infra. 72 Page #3 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Le vrai brahmane, etre "inoffensif", mahane avihannu, Suyagada 1.2.2.5 et "on ne fera violence aux etres en aucune des trois facons (en action, en parole, en esprit): c'est ainsi qu'indefiniment on a atteint, qu'on atteint, et qu'a l'avenir on atteindra la Perfection", ti-vihena vi pani ma hane ... (v.l. pana) evam siddha anantaya sampai je ya anagayavare, Suy 1.2.3.21. On ne manquera pas, dans ce dernier vaitaliya, de noter le syntagme ma hane qui, pour exprimer la prohibition, associe a l'optatif (skr. "ma hanyat") la particule ma", en sorte que le syntagme verbal se confond phoniquement avec le nom amg. du "brahmane", au nom. sg. mahane. Or il n'est probablement pas fortuit que l'expression ma hane figure dans l'une des stances qui concluent cette deuxieme lecon, ou les choix lexicaux paraissent, eux aussi, conscients et significatifs. Car si, dans le premier livre du Suy qui compte six cent trente-sept stances (ou equivalents) dans l'edition JAS, mahana est employe vingt fois, il se rencontre huit fois dans les soixantequinze vaitaliya (JAS 89-164), et tout specialement dans le deuxieme uddesa (JAS 111-142), qui en a cinq exemples. Le terme est souvent associe a muni, employe en vingt-et-un passages de Suy 1, notamment dix fois dans les vaitaliya, neuf des emplois figurant dans ce deuxieme uddesa." Selon Jacobi, muni et mahana sont synonymes; il semble toutefois, comme on va voir, que mahana refere plutot au comportement, tandis que muni implique volontiers qualites intellectuelles, pratique de la meditation et de la predication. 2. Les savants se sont naturellement interroges sur la forme amg. mahana qui, tres frequente dans cette langue, y supplante bambhana, representant ! Par ti-vihena Suy rappelle peut-etre aussi le triple aspect des grands voeux (mahavvaya): comme on sait, il est enjoint au religieux 1) de ne pas commettre lui-meme le crime, 2) de ne pas le faire commettre, 3) de ne pas le laisser commettre; cf. SBE 45, p. 260, n. 4, suivant T. 10 L'expression de la prohibition par l'optatif accompagne de la negation ma se rencontre occasionnellement en vieil indo-aryen (L. Renou, Grammaire sanscrite, p. 412 S 292, n.). En m.i.a., ma suivi de l'optatif est usuel, cf. F. Edgerton, Hybrid Sanskrit Grammar, S42. "Les pourcentages sont donc les suivants. Mahana, dans Suy 1: 3,13%, dans Suy 1.2: 10,5%, dans Suy 1.2.2: 22,7%. Muni, dans Suy 1: 3,3%, dans Suy 1.2: 13,15%, dans Suy 1.2.2: 40,9%. 12 SBE 45, p. 252, note. 73 Page #4 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Colette Caillat phonetique attendu du skr. brahmana." Differentes hypotheses ont ete formulees, que rappelle un article recent de M. Mayrhofer, "Zu Prakrit mahana-, 'Brahmane'".! Ici, cependant, seules vont etre citees quelques observations notables de l'exegese jaina. D'un point de vue soteriologique, l'homophonie entre syntagme verbal et nominal (ma hane / mahane) vaut explication ou etymologie. C'est ainsi que, commentant Suy 1.2.1.15d, Silanka analyse: 'mahana' tti ma vadhir iti pravrttir yasya sa praksta-sailya mahanety ucyata iti," 'mahana': celui qui a pour regle de conduite de ne pas tuer', celui-la, compte tenu des habitudes du prakrit, est appele 'mahana'. L'explication est reprise, plus clairement encore, a l'occasion de Suy 1.11.1: ma hanery evam upadesapravsttir yasy asau mahanah," 'ma hana (= ne tue pas)': est 'ne tue pas' celui qui met en pratique un tel enseignement" (T 132). Meme glose, a tres peu pres, a l'occasion de Suy 1.9.1, ou l attire l'attention sur la violence que peuvent comporter les paroles (vak).17 Paroles et gestes, en effet, sont indissociables. Ainsi, s'agissant, semblet-il, de l'ascete qui suit la regle du Jina (jina-kalpika), Suy 1.2.2.13 stipule comment il se comportera s'il loge dans une maison deserte: si on lui adresse la parole, il ne repondra mot, pas plus qu'il ne ramassera ni n'etendra d'herbe (pour sa couche): putthe na udahare vayam, na samucche no samthare tanam. * Pischel, $ 250. 14 WZKS 38 (1994), p. 169-171. Cf. Nalini Balbir, "Le discours etymologique dans l'heterodoxie indienne", dans Discours etymologiques, Actes du Colloque international organise a l'occasion du centenaire de la naissance de Walther von Wartburg, Tubingen 1991, p. 121-134; specialement, sur bambhana/ mahana, p. 132. 16 ? 39. Cf. la note de Jacobi, SBE 45, p. 252. Schubring, Acar 1, Glossar, s.v. mahana, renvoyant a Suy 1.2.3.21, supra. " ? 118 (signale par BSS I, p. 57): ma jantun vyapadayety evam vineyesu vak-pravrttir, yasyasau 'mahanah'. L'etymologie par ma hana est manifestement toujours presente a l'esprit des commentateurs jaina. Par exemple, Bhavavijaya fait dire a un ksatriya devenu 'brahmane jiva-ghatan nivartito "ham ... mahano 'smi, "j'ai cesse de tuer les etres vivants ... je suis un mahana" (ad Uttarajjhaya 18.21b). 18 Texte de Ags, suivi par BSS. Jacobi traduit "when asked he returns no (rude) answer" (SBE 45, p. 255); en quoi il est suivi (avec hesitation ?) par BSS II p. 58. Mais T. semble distinguer entre la regle usuelle, en vertu de laquelle le religieux, interroge sur la Loi, evitera toute reponse blamable (savadyam vacam 'nodaharer' na bruyat), et la regle du 74 Page #5 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Le vrai brahmane, etre "inoffensif", mahane avihannu, Suyagada 1.2.2.5 Entre le geste et la parole - laquelle traduit la pensee -, l'association est nette en Suy 1.2.2.6: panna-samatte saya jae samiya dhammam udahare muni: suhume u saya a-lusae no kujjhe no mani mahane, accompli en sagesse, constamment maitre de soi, le muni enoncera la Loi correctement; ne lesant jamais les (etres) minuscules, le mahana ni ne s'irritera ni ne s'enorgueillira (no mani). La stance, selon toute apparence, est complementaire de la precedente, pourrait donc aider a l'elucider. Car Suy 1.2.2.5 a prete a discussions, d'autant que le texte du dernier pada a ete lu de deux manieres differentes et se trouve, d'ailleurs, avoir donne lieu a variante. On lit en general: duram anupassiya muni 'tiyam dhammam anagayam taha puthe pharusehi mahane avi hannu samayamsi riyai (JAS, JVBh, G), le muni, ayant porte loin le regard - sur la Loi passee et futureen butte aux rudes difficultes (de la vie religieuse), le mahana, tout frappe qu'il soit (par ces maux), poursuit dans la voie de la Doctrine. Cette interpretation suit ? 41-42, 'avi hannu' tti api maryamanah[...], qui prend appui sur la curni, 'avi hannu' avi hanyamanah. Mais, en liaison avec une variante (d'ailleurs egalement relevee par ?), cette meme Cu (p. 60) propose une lecture concurrente, avihannu samayahiyasae, susceptible de deux interpretations: soit 'avihannu iti, avihanyamanah samyag ahiyasae, donc "sans en etre frappe (c. a d. ebranle), il s'appliquera correctement", soit 'avihannu' iti, hanyamano na hanyat kam cit, donc "frappe, il ne frappera personne" (mais poursuivra dans la bonne voie). 3. BSS II (p. 51) attire l'attention sur cette forme avihannu (ou -vi-est rythmiquement long), qu'il rapproche d'une phrase du Dighanikaya pali: ta (skr. vedana) sudam Bhagava sato sampajano adhivaseti a-vihannamano," "der Erhabene ertrug sie [...] bewusst und voller Achtsamkeit ohne von ihnen ohnmachtig zu werden." En consequence, il traduit Suy par "lasst sich, wenn er von Unannehmlichkeiten getroffen wird, (davon) nicht jinakalpika qui, dans la situation envisagee, ne prononce aucun mot, meme exempt de blame: jinakalpikadir niravadyam api na bruyat, T. 43. Cf. Worte, p. 133: "Fragt man ihn, so soll er kein Wort sagen." 19 Ed. Pali Text Society II 99.5. Page #6 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Colette Caillat mitreissen und wandelt in Gleichmut." Le commentaire et la traduction de BSS appellent plusieurs remarques. 1) Il est certain que, a haute epoque, les racines HAN, HIMS et leurs derives sont communement precedes du preverbe vi-, comme on vient de voir dans le pada a-vihimsam eva pavvae (Suy 1.2.1.14c, supra).20 2) Selon BSS, la finale -u du participe supposerait des evolutions -u<-o pour -am, ou bien -us-ams-ant, et/ou, peut-etre, l'influence de viu; mais BSS note le caractere aberrant, en amg., de l'evolution envisagee (BSS II p. 51). Devant cet ecueil, K.R. Norman a propose de deriver amg. -hannu de skr. (-)hatnu, "destructeur" 23) BSS ne dit rien du theme sur lequel se fonde le participe. En effet, de la paraphrase de Cu son analyse retient la premiere partie, hanyamanah (participe passif), mais s'interesse peu au membre de phrase actif qui suit et fait toute l'originalite de la derniere interpretation (na hanyat kam cit), "qu'il ne frappe personne." Il convient de se demander quelle en est la portee au moins implicite: si cette phrase est pertinente, force est de s'interroger sur le theme verbal dont derive (vi-)hannu. Manifestement, comme le fait T, tous les traducteurs y voient un theme de passif. Mais, a la lumiere de Cu, on est conduit a une autre hypothese: vi-hannu, a l'origine en tout cas, pourrait n'avoir pas ete porteur d'une valeur passive, mais avoir signifie "offensif". Deux possibilites s'offrent. Selon la premiere, l'adjectif est derive a l'aide du suffixe -yu-, qui, quoique. 20 Ainsi dans les edits d'Asoka, Rocher IV Girnar (A): pranarambho vihimsa ca bhutanam; (C): anarambho prananam avihisa bhutanam, comparer piliers 5 et 7. Jules Bloch observe que vihitsa est la forme usuelle en pali (et en sanskrit epique), Les inscriptions d'Asoka, Paris 1950, p. 97 et n. 2. 21 WZKS 36 (1992) p. 32, ou, cependant, ne sont pas examinees les consequences semantiques de cette hypothese. Sur le suffixe -tnu, formant un petit nombre de noms a valeur active, WackernagelDebrunner, Altindische Grammatik II 2, p. 696 sq. Debrunner cite, en effet, de HAN, les derives vediques ji-gha-tnu "zu verletzen bestrebt", ha-inu- "todtlich", upa-hatnu "anfallend". Mais hatnu- est, semble-t-il, limite au RV, selon PW (s.v., 1x), qui, d'autre part, n'enregistre pas de vi-hatnu-; voir, pareillement, Grassmann, Worterbuch zum Rig Veda. Le meme article de K.R. Norman signale aussi amg. ghannu, formation evidemment parallele a hannu, mais derive du theme gha-, concurrent de ha-. Cet adjectif (apparemment un hapar) est employe dans un autre "doyen" du canon, l'Uttarajjhaya (18. 9d). Le poeme met en scene le roi Sanjaya, qui, dans une partie de chasse, vise un cervide, et manque de peu un ascete en meditation. Bouleverse, Sanjaya s'ecrie: ...anayaro manahao / mae manda-punnenam rasa-giddhena ghannuna, "j'ai failli tuer un ascete sans logis, miserable, avide de jouissances, assassin que je suis!". La tradition jaina est hesitante (Cu: ghattuna ?), signale une variante ancienne ghantuna; le commentaire de Bhavavijaya glose ghatukena hanana-filena, Jacobi traduit par "cruel" (SBE 45, p. 81). Page #7 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Le vrai brahmane, etre "inoffensif", mahane avthannu, Suyagada 1.2.2.5 rare et assez peu productif, est neanmoins assez bien atteste dans une petite serie caracterisee par -anyu-22 Dans l'autre eventualite, (vi-)hannu est a ranger parmi les formations en -u- indiquant une propriete," et il a ete derive du theme m.i.a. "actif intransitif" hann-a-24 Peut-etre, d'ailleurs, ces deux formations se sont-elles croisees. Quoi qu'il en soit, dans un contexte qui rappelle Suy 1.2.2.5c-d, la tradition du Suy ecrit: phasa... phuse na tesu vinihannejja (Say 1.11.37b-c), que ? (138) rend par na ... vihanyat, ce qui invite a comprendre: "si des maux l'assaillent, il ne combattra pas contre eux": le veritable ennemi, en effet, n'est pas l'ennemi exterieur (auquel on doit savoir etre insensible), mais bien le possible relachement du controle de soi, qui laisserait le champ libre a la colere et la contre-attaque.25 Quelle que soit l'hypothese retenue, que le suffixe soit -yu, -u (ou meme -tnu), il s'ensuivrait que a-vihannu a bien eu valeur active. Des lors, entre Suy 1.2.2.6 et 1.2.2.5, le parallelisme devient clair: de meme que Suy 1.2.2.6 presente le "muni", plein de sagesse, capable d'enoncer correctement le dharma (a-b), puis le "ma-hana", invite a ne pas blesser les etres minuscules 22 Wackernagel-Debrunner, Altindische Grammatik II 2, p. 842, cite quelques formes vediques heritees: manyu-, etc.; d'autres qui ne sont pas hereditaires, bhujyu- "geniessend", sahyu- "siegreich", vi-panyu- "ruhmend"; enfin, plus tard, janyu- "Geschopf". D'autre part, en sanskrit, la sequence -anyu-devient assez productive dans les derives secondaires, cf. H. Craig Melchert, "Secondary derivatives in -yu- in the Rigveda", dans Indo-European studies II, ed. by Calvert Watkins, Cambridge, Mass., April 1975, p. 163-198 (p. 187ss.). (Je remercie M. Ch. de Lamberterie qui a eu l'obligeance de me signaler et communiquer cette etude]. 23 AiGr II 2 p. 463ss. cite des formes hereditaires, rju- "gerade", trsu- "gierig", ainsi que svadhu- "wohlschmeckend"; d'autres derives sont relativement moins anciens, par exemple sadhu24 Diverses formes de ce theme m.i.a. ont survecu, en particulier dans certaines formules plus ou moins archaiques, cf. C. Caillat, Bulletin d'Etudes Indiennes 10 (1992), P. 102-107, renvoyant, entre autres, a la Saddaniti (ed. Helmer Smith, Lund 1928-30). Cette grammaire range pali hannati ("actif-intransitif) dans les div-adi (skr. *han-ya-), et donne pour exemple la phrase saddo sotamhi hannati patihannati, "le son / le discours frappe l'ouie", Sadd, p. 399.17-20; 485.31. 25 L'ambiguite du theme pali hanna, amg. hanna- a gene commentateurs, editeurs et traducteurs, cf. Jain Studies in honour of Jozef Deleu, Tokyo 1993, p. 232 n. 64. La plupart ont, sans plus ample informe, systematiquement considere amg. hanna- comme un theme de passif, qu'ils ont remplace par hamma-, theme de passif enseigne par Hemacandra 4.244: ainsi J. Charpentier editant l'Uttarajjhaya, Lund 1921-22 (p. 287). 77 Page #8 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Colette Caillat et ne pas entrer en colere (c-d), Suy 1.2.2.5, lui aussi, montre d'abord le muni sondant la perennite du dharma (a-b), puis (c-d) le mahana qui, en reaction aux maux et aux rudesses dont il est la cible (putthe pharusehi), ne se laisse pas entrainer a une riposte, mais poursuit, dans une equanimite parfaite, sur la voie de la Doctrine, lui "qui ne tuera pas", "qui refuse (l'usage de) la violence". Si tel a ete le sens originel du privatif a-vihannu,26 la juxtaposition, evidemment voulue, de ma-hane, en fin de 5c), et a-vihannu (en debut de 5d) souligne la synonymie qui unit les deux termes, et met en valeur l'ideal d'ahimsa, de paix active, qu'incarne le vrai brahmane. Abreviations LANGUES: amg. = ardhamagadhi; m.i.a. = moyen indo-aryen; skr. = sanskrit. TEXTES, etc.: Acar 1 = Acaranga-sutra. Erster Srutaskandha. Text, Analyse und Glossar von Walther Schubring, Leipzig 1910 (AKM 12.4). - AgS=Agamodaya-Samiti (vol. 1, Acarangasutram and Sutrakytangasutram with the Niryukti of Bhadrabahusvami and the commentary of Silanka): les references sont aux pages de la reedition par Jambuvijaya, Delhi 1978). - BSS = W.B. Bollee, Studien zum Suyagada, I, Wiesbaden 1977; II, 1988 (Schriftenreihe des Sudasiens-Instituts der Universitat Heidelberg, 24; 31) (BSS = BSS II; ces etudes presentent, entre autres, le texte de la Suy-Nijj 36-61; du Suy 1.2, etc., une traduction commentee de Say 1.2, etc.). - Cu= Carni, ed. Punyavijaya, Ahmedabad-Varanasi 1975 (Prakrit Text Society, 19). - G = Suttagame, ed. Pupphabhikkhu, Gurgaon 1953. - JAS = Jaina Agama Series, Bombay (Sri Mahavira Vidyalaya). - JVBh = Jain Visva Bharati, Ladnun. - Nijj = Nijjutti. - Pischel = R. Pischel, Grammatik der Prakrit-Sprachen. - SBE = Sacred Books of the East 45, London 1895 (Jaina Sutras translated from Prakrit by Hermann Jacobi (Uttarajjhaya, Suyagada)). - Suy = Suyagadanga (le texte cite ici est normalement conforme a l'ed. JAS (ed. Jambuvijaya), moyennant les normalisations courantes, et les menues adaptations rythmiques que signale SBB). - T = Tika (ed. AgS). - Worte = Worte Mahaviras. Kritische Ubersetzungen aus dem Kanon der Jaina, von W. Schubring, Gottingen-Leipzig 1926 (Quellen der Rel.-Geschichte 14.7) [voir, entre autres, les traductions de Say 1.2, p. 130 ss.) 26 Il est d'autant plus facile de passer de "inoffensif a "imperturbable" que la comparaison du Jina (par suite du religieux) avec le Mont Mandara/Meru est usuelle (cf. Suy 1.11.37d; 1.6.9-14). Page #9 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Le vrai brahmane, etre "inoffensif", mahane avihannu, Suyagada 1.2.2.5 English summary Suyagada 1.2.2.5 is one of the many difficult stanzas of this old Jain canonical book. In pada (d) the sequence avihannu is generally read as avi hannu (= skr. api hanyamanah). It is attempted here to show that not only the reading a-vihannu is to be preferred (a proposal already found in the SuyCurni), but also that this adjective, far from being a passive form (as above), has an active meaning. It could perhaps continue the rare (1x) Vedic ha-tnu (K.R. Norman). Or it can be a m.i.a. derivative of HAN, with - yu-suffix, or of the active intransitive MIA base hann-a- with suffix -u-. Hence, in the Say stanza, a-vihannu is more or less a synonym of the ardhamagadhi name of the "brahmana", mahane (traditionally analyzed as ma hane, "do not kill", cf. Suy 1.2.3.21), which immediately precedes it in this vaitaliya stanza: the true brahmin or mahana is thus the very incarnation of a-vihimsa (Say 1.2.1.14).