Book Title: La Vrai Brahmane Etre Inoffensif Mahane Avihannu Suyagada
Author(s): Colette Caillat
Publisher: Colette Caillat
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Page #1 -------------------------------------------------------------------------- ________________ COLETTE CAILLAT Paris Le vrai brahmane, être “inoffensif”, māhane avihannū, Sūyagada 1.2.2.5 Dans le premier livre du Sūy(agada), la deuxième leçon est intitulée veyāliyam, nom a(rdha)m(ā)g(adhi) auquel la tradition attribue une double signification. Référant à la forme, précisent les commentaires, il indique le choix du mètre, qui est le vaitaliya; référant à la matière du chapitre, il signale la nature de l'enseignement ici dispensé (d'ailleurs conforme à celui du Jina), lequel, parce qu'il traite de la destruction (des karman)', est dit, comme le veut l'étymologie, le destructeur (des karman)' ", karmaņām vidāranam abhihitam iti 'krtvā, etad adhyayanam Nirukti-vaśād 'vidārakam'tato bhavati'. La Nijj, qui sera suivie par les commentaires ultérieurs, s'efforce, non sans quelque artifice, de spécifier le thème de chacune des trois sections qui composent cette leçon: éveil (à la vérité) et impermanence dans la première, rejet de l'orgueil dans la deuxième, enfin, dans la troisième, élimination du karman accumulé du fait de l'ignorance. En réalité, la Nijj se borne ici à répercuter les considérations que formulent les stances initiales de chacun des trois uddesa: "éveillez-vous" (sambujjhaha, Sūy 1.2.1.1), “le sage ne se laisse pas griser" (muni na majjai, 1.2.2.1), “le mal dont aura été atteint (le ! Niji, citée dans JAS p. 16 (cf. p. 30): T (p. 36), citée ibid. - Voir BSS II, texte p. 3, commentaire p. 25 sq.; Jacobi, SBE 45, p. 249 et n. 1; W. Schubring, Worte p. 130 et n. 1, "Neue Weise (die Tatwirkung aufzuheben)": L. Alsdorf, Kleine Schriften, p. 384, n. 17. 2 Nijj 40: samboho añiccaya ya. Nijj 40: māna-vajjanaya. • Nijj 41: annäna-ciyassa avacao. Page #2 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Colette Caillat religieux) dépourvu de la connaissance s'élimine s'il pratique le contrôle de soi" (jam dukkham puttham abohie / tam samjamao 'vacijjai, 1.2.3.1). Toutefois, le lecteur non prévenu voit plutôt, dans les soixante-quinze stances de ce chapitre, des invitations pressantes à ne pas frapper ou tuer (infra), à préférer à l'action le non agir qui, seul, permet de méditer, de mettre en pratique l'enseignement de Mahāvira, et d'atteindre ainsi la Perfection (siddhi), de devenir siddha'. Les remarques qui suivent, en hommage à un savant qu'ont intéressé tous les aspects de la civilisation indienne et de ses langues, proposent de montrer comment le dérivé a-vihannu, s'il a bien existé, trouve place dans ce champ de préoccupations "non-violentes": il est probable que, à l'origine du moins, il a signifié "in-offensif", et non "in-ébranlable, im-perturbable", comme on a très tôt, semble-t-il, été porté à comprendre. 1. Inlassablement prôné dans le Sūy, le pacifique idéal qui vient d'ētre évoqué s'exprime à maintes reprises dans cette deuxième leçon. On lit, par exemple, "dégagés (du mal), les héros (jaina), prêts (pour le bien), [...] ne font de violence aux êtres en aucune manière", viraya viră samuthiya... pāne na hananti savvaso, Süy 1.2.1.12, ou "il avance avec pour but précis la totale non-violence", a-vihimsăm eva Pavvae, Suy 1.2.1.14c, 5 Dans le premier uddesa, 22 vey(aliya), (JAS 89-110); dans le deuxième, 32, (JAS 111-142); dans le troisième, 21 (+1), (JAS 143-164). 6 Cf. arambhä viramejja su-vvae, "qui observe parfaitement les voeux renoncera aux entreprises (nocives)" (Suy 1.2.1.3d); veyaliya-maggam ägao ... /ceccä vittam ca ... ärambham ca su-samvude carejjasi, "celui qui en est venu au chemin de la destruction (du karman), ayant abandonné ses richesses..., ses entreprises (nocives). — tu dois pratiquer la parfaite maîtrise de soi" (ibid. 22). Selon T 37: arambha est săvadyanusthāna-rupa (cf. T 40). En fait, tout mouvement met en danger la vie des infiniment petits (cf. Süy 1.2.1.11b), en sorte que la moindre entreprise est meurtrière: ärambha est ainsi souvent associé à vihimsā, par exemple dans les édits d'Asoka (infra n. 20). Cf. evam mattä mahantaram dhammam inam ... baha jana / guruno chandánuvattaga virayā tinna mah'ogha-m-āhiyam, "ayant ainsi réfléchi à la supériorité de cette Loi, ... bien des gens, suivant la volonté du Maître, ont renoncé (aux entreprises nocives), ont traverse ce qu'on appelle le grand océan (du samsara)", Sãy 1.2.2.32. * Cf. Sūy 1.2.3.21, infra. 72 Page #3 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Le vrai brahmane, être "inoffensif", mähane avihannü, Süyagada 1.2.2.5 et "on ne fera violence aux êtres en aucune des trois façons (en action, en parole, en esprit): c'est ainsi qu'indéfiniment on a atteint, qu'on atteint, et qu'à l'avenir on atteindra la Perfection", ti-vihena vi pāņi mā hane ... (v.l. pāna) evam siddhā anantaya sampai je ya anägayávare, Süy 1.2.3.21. On ne manquera pas, dans ce dernier vaitālīya, de noter le syntagme mā hane qui, pour exprimer la prohibition, associe à l'optatif (skr. "mā hanyāt") la particule mā", en sorte que le syntagme verbal se confond phoniquement avec le nom amg. du "brahmane", au nom. sg. māhane. Or il n'est probablement pas fortuit que l'expression mā hane figure dans l'une des stances qui concluent cette deuxième leçon, où les choix lexicaux paraissent, eux aussi, conscients et significatifs. Car si, dans le premier livre du Suy qui compte six cent trente-sept stances (ou équivalents) dans l'édition JAS, māhana est employé vingt fois, il se rencontre huit fois dans les soixantequinze vaitālīya (JAS 89-164), et tout spécialement dans le deuxième uddesa (JAS 111-142), qui en a cinq exemples. Le terme est souvent associé à muni, employé en vingt-et-un passages de Suy 1, notamment dix fois dans les vaitāliya, neuf des emplois figurant dans ce deuxième uddesa." Selon Jacobi, muni et mähana sont synonymes; il semble toutefois, comme on va voir, que māhana réfère plutôt au comportement, tandis que muni implique volontiers qualités intellectuelles, pratique de la méditation et de la prédication. 2. Les savants se sont naturellement interrogés sur la forme amg. māhana qui, très fréquente dans cette langue, y supplante bambhana, représentant ! Par ti-vihena Suy rappelle peut-être aussi le triple aspect des grands voeux (mahavvaya): comme on sait, il est enjoint au religieux 1) de ne pas commettre lui-même le crime, 2) de ne pas le faire commettre, 3) de ne pas le laisser commettre; cf. SBE 45, p. 260, n. 4, suivant Ț. 10 L'expression de la prohibition par l'optatif accompagné de la négation mä se rencontre occasionnellement en vieil indo-aryen (L. Renou, Grammaire sanscrite, p. 412 S 292, n.). En m.i.a., mä suivi de l'optatif est usuel, cf. F. Edgerton, Hybrid Sanskrit Grammar, S42. "Les pourcentages sont donc les suivants. Mähana, dans Süy 1: 3,13%, dans Sūy 1.2: 10,5%, dans Sūy 1.2.2: 22,7%. Muni, dans Sūy 1: 3,3%, dans Süy 1.2: 13,15%, dans Sūy 1.2.2: 40,9%. 12 SBE 45, p. 252, note. 73 Page #4 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Colette Caillat phonétique attendu du skr. brāhmaṇa." Différentes hypothèses ont été formulées, que rappelle un article récent de M. Mayrhofer, “Zu Prakrit māhana-, 'Brahmane'".! Ici, cependant, seules vont être citées quelques observations notables de l'exégèse jaina. D'un point de vue sotériologique, l'homophonie entre syntagme verbal et nominal (mā hane / mähane) vaut explication ou étymologie. C'est ainsi que, commentant Sūy 1.2.1.15d, Silanka analyse: 'mahana' tti mā vadhir iti pravrttir yasya sa prāksta-śailyā māhanety ucyata iti,“ ‘māhaņa': celui qui a pour règle de conduite de ne pas tuer', celui-là, compte tenu des habitudes du prakrit, est appelé 'mahana'. L'explication est reprise, plus clairement encore, à l'occasion de Suy 1.11.1: mā hanêry evam upadeśapravsttir yasy asau māhanaḥ," ‘mā hana (= ne tue pas)': est 'ne tue pas' celui qui met en pratique un tel enseignement" (T 132). Même glose, à très peu près, à l'occasion de Sūy 1.9.1, où ļ attire l'attention sur la violence que peuvent comporter les paroles (vāk).17 Paroles et gestes, en effet, sont indissociables. Ainsi, s'agissant, semblet-il, de l'ascète qui suit la règle du Jina (jina-kalpika), Sūy 1.2.2.13 stipule comment il se comportera s'il loge dans une maison déserte: si on lui adresse la parole, il ne répondra mot, pas plus qu'il ne ramassera ni n'étendra d'herbe (pour sa couche): putthe na udahare vayam, na samucche no samthare tanam. • Pischel, $ 250. 14 WZKS 38 (1994), p. 169-171. Cf. Nalini Balbir, “Le discours étymologique dans l'hétérodoxie indienne", dans Discours étymologiques, Actes du Colloque international organisé à l'occasion du centenaire de la naissance de Walther von Wartburg, Tübingen 1991, p. 121-134; spécialement, sur bambhana/ mähana, p. 132. 16 ? 39. Cf. la note de Jacobi, SBE 45, p. 252. Schubring, Ācār 1, Glossar, s.v. māhana, renvoyant à Sūy 1.2.3.21, supra. " ? 118 (signalé par BSS I, p. 57): ma jantün vyāpādayếty evam vineyeșu vāk-pravrttir, yasyásau 'māhanah'. L'étymologie par mä haņa est manifestement toujours présente à l'esprit des commentateurs jaina. Par exemple, Bhāvavijaya fait dire à un ksatriya devenu 'brahmane jīva-ghātān nivartito "ham ... māhano 'smi, "j'ai cessé de tuer les êtres vivants ... je suis un mähana" (ad Uttarajjhäyä 18.21b). 18 Texte de Ags, suivi par BSS. Jacobi traduit "when asked he returns no (rude) answer" (SBE 45, p. 255); en quoi il est suivi (avec hésitation ?) par BSS II p. 58. Mais T. semble distinguer entre la règle usuelle, en vertu de laquelle le religieux, interrogé sur la Loi, évitera toute réponse blâmable (sávadyām vācam 'nôdāharer' na brūyät), et la règle du 74 Page #5 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Le vrai brahmane, étre "inoffensif", mähane avihannü, Süyagada 1.2.2.5 Entre le geste et la parole - laquelle traduit la pensée -, l'association est nette en Sūy 1.2.2.6: panna-samatte sayā jae samiyā dhammam udāhare muni: suhume u saya a-lūsae no kujjhe no māni mähane, accompli en sagesse, constamment maître de soi, le muni énoncera la Loi correctement; ne lésant jamais les (ètres) minuscules, le māhana ni ne s'irritera ni ne s'enorgueillira (no māni). La stance, selon toute apparence, est complémentaire de la précédente, pourrait donc aider à l'élucider. Car Sūy 1.2.2.5 a prêté à discussions, d'autant que le texte du dernier pāda a été lu de deux manières différentes et se trouve, d'ailleurs, avoir donné lieu à variante. On lit en général: dūram anupassiya muni 'tiyam dhammam anāgayam taha puthe pharusehi māhane avi hannū samayamsi riyai (JAS, JVBh, G), le muni, ayant porté loin le regard - sur la Loi passée et futureen butte aux rudes difficultés (de la vie religieuse), le mähana, tout frappé qu'il soit (par ces maux), poursuit dans la voie de la Doctrine. Cette interprétation suit ? 41-42, 'avi hannū' tti api märyamanah[...], qui prend appui sur la cūrni, 'avi hannū' avi hanyamānaḥ. Mais, en liaison avec une variante (d'ailleurs également relevée par ?), cette même Cu (p. 60) propose une lecture concurrente, avihannü samayâhiyāsae, susceptible de deux interprétations: soit 'avihannü iti, avihanyamānaḥ samyag ahiyāsae, donc "sans en être frappé (c. à d. ébranlé), il s'appliquera correctement", soit 'avihannu' iti, hanyamāno na hanyāt kam cit, donc "frappé, il ne frappera personne" (mais poursuivra dans la bonne voie). 3. BSS II (p. 51) attire l'attention sur cette forme avihannü (où -vi-est rythmiquement long), qu'il rapproche d'une phrase du Dighanikäya pali: tā (skr. vedanā) sudam Bhagavā sato sampajāno adhivāseti a-vihaññamāno," "der Erhabene ertrug sie [...] bewusst und voller Achtsamkeit ohne von ihnen ohnmächtig zu werden." En conséquence, il traduit Süy par "lässt sich, wenn er von Unannehmlichkeiten getroffen wird, (davon) nicht jinakalpika qui, dans la situation envisagée, ne prononce aucun mot, même exempt de blâme: jinakalpikadir niravadyam api na brūyat, T. 43. Cf. Worte, p. 133: "Fragt man ihn, so soll er kein Wort sagen." 19 Ed. Pali Text Society II 99.5. Page #6 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Colette Caillat mitreissen und wandelt in Gleichmut." Le commentaire et la traduction de BSS appellent plusieurs remarques. 1) Il est certain que, à haute époque, les racines HAN, HIMS et leurs dérivés sont communément précédés du préverbe vi-, comme on vient de voir dans le pāda a-vihimsām eva pavvae (Sūy 1.2.1.14c, supra).20 2) Selon BSS, la finale -u du participe supposerait des évolutions -u<-o pour -am, ou bien -us-ams-ant, et/ou, peut-être, l'influence de viu; mais BSS note le caractère aberrant, en amg., de l'évolution envisagée (BSS II p. 51). Devant cet écueil, K.R. Norman a proposé de dériver amg. -hannu de skr. (-)hatnu, "destructeur" 23) BSS ne dit rien du thème sur lequel se fonde le participe. En effet, de la paraphrase de Cu son analyse retient la première partie, hanyamānah (participe passif), mais s'intéresse peu au membre de phrase actif qui suit et fait toute l'originalité de la dernière interprétation (na hanyāt kam cit), "qu'il ne frappe personne." Il convient de se demander quelle en est la portée au moins implicite: si cette phrase est pertinente, force est de s'interroger sur le thème verbal dont dérive (vī-)hannu. Manifestement, comme le fait T, tous les traducteurs y voient un thème de passif. Mais, à la lumière de Cu, on est conduit à une autre hypothèse: vi-hannu, à l'origine en tout cas, pourrait n'avoir pas été porteur d'une valeur passive, mais avoir signifié "offensif". Deux possibilités s'offrent. Selon la première, l'adjectif est dérivé à l'aide du suffixe -yu-, qui, quoique. 20 Ainsi dans les édits d'Asoka, Rocher IV Girnar (A): prānārambho vihimsă ca bhūtānam; (C): anārambho prāņānam avihisā bhūtānam, comparer piliers 5 et 7. Jules Bloch observe que vihitsă est la forme usuelle en pali (et en sanskrit épique), Les inscriptions d'Asoka, Paris 1950, p. 97 et n. 2. 21 WZKS 36 (1992) p. 32, où, cependant, ne sont pas examinées les conséquences sémantiques de cette hypothèse. Sur le suffixe -tnú, formant un petit nombre de noms à valeur active, WackernagelDebrunner, Altindische Grammatik II 2, p. 696 sq. Debrunner cite, en effet, de HAN, les dérivés védiques ji-gha-tnú "zu verletzen bestrebt", ha-inú- "tödtlich", upa-hatnú "anfallend". Mais hatnú- est, semble-t-il, limité au RV, selon PW (s.v., 1x), qui, d'autre part, n'enregistre pas de vi-hatnu-; voir, pareillement, Grassmann, Wörterbuch zum Rig Veda. Le même article de K.R. Norman signale aussi amg. ghannu, formation évidemment parallèle à hannu, mais dérivé du thème gha-, concurrent de ha-. Cet adjectif (apparemment un hapar) est employé dans un autre "doyen" du canon, l'Uttarajjhāyā (18. 9d). Le poème met en scène le roi Sanjaya, qui, dans une partie de chasse, vise un cervidé, et manque de peu un ascète en méditation. Bouleversé, Sanjaya s'écrie: ...anayāro manahao / mae manda-punnenam rasa-giddheņa ghannuņa, "j'ai failli tuer un ascète sans logis, misérable, avide de jouissances, assassin que je suis!". La tradition jaina est hésitante (Cu: ghattunā ?), signale une variante ancienne ghantunā; le commentaire de Bhāvavijaya glose ghātukena hanana-filena, Jacobi traduit par "cruel" (SBE 45, p. 81). Page #7 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Le vrai brahmane, être "inoffensif", māhane avthannü, Süyagada 1.2.2.5 rare et assez peu productif, est néanmoins assez bien attesté dans une petite série caractérisée par -anyu-22 Dans l'autre éventualité, (vi-)hannu est à ranger parmi les formations en -u- indiquant une propriété," et il a été dérivé du thème m.i.a. "actif intransitif" hann-a-24 Peut-être, d'ailleurs, ces deux formations se sont-elles croisées. Quoi qu'il en soit, dans un contexte qui rappelle Süy 1.2.2.5c-d, la tradition du Süy écrit: phāsā... phuse na tesu vinihannejjā (Sãy 1.11.37b-c), que ? (138) rend par na ... vihanyāt, ce qui invite à comprendre: "si des maux l'assaillent, il ne combattra pas contre eux": le véritable ennemi, en effet, n'est pas l'ennemi extérieur (auquel on doit savoir être insensible), mais bien le possible relâchement du contrôle de soi, qui laisserait le champ libre à la colère et la contre-attaque.25 Quelle que soit l'hypothèse retenue, que le suffixe soit -yu, -u (ou même -tnu), il s'ensuivrait que a-vihannū a bien eu valeur active. Dès lors, entre Sūy 1.2.2.6 et 1.2.2.5, le parallélisme devient clair: de même que Sūy 1.2.2.6 présente le "muni", plein de sagesse, capable d'énoncer correctement le dharma (a-b), puis le "mä-hana", invité à ne pas blesser les êtres minuscules 22 Wackernagel-Debrunner, Altindische Grammatik II 2, p. 842, cite quelques formes védiques héritées: manyú-, etc.; d'autres qui ne sont pas héréditaires, bhujyú- "geniessend”, sáhyu- "siegreich", vi-panyú- "rühmend"; enfin, plus tard, janyu- "Geschöpf". D'autre part, en sanskrit, la séquence -anyu-devient assez productive dans les dérivés secondaires, cf. H. Craig Melchert, "Secondary derivatives in -yú- in the Rigveda", dans Indo-European studies II, ed. by Calvert Watkins, Cambridge, Mass., April 1975, p. 163-198 (p. 187ss.). (Je remercie M. Ch. de Lamberterie qui a eu l'obligeance de me signaler et communiquer cette étude]. 23 AiGr II 2 p. 463ss. cite des formes héréditaires, rjú- "gerade", trśú- "gierig", ainsi que svādhú- "wohlschmeckend"; d'autres dérivés sont relativement moins anciens, par exemple sadhú24 Diverses formes de ce thème m.i.a. ont survécu, en particulier dans certaines formules plus ou moins archaïques, cf. C. Caillat, Bulletin d'Etudes Indiennes 10 (1992), P. 102-107, renvoyant, entre autres, à la Saddanīti (éd. Helmer Smith, Lund 1928-30). Cette grammaire range pali haññati ("actif-intransitif) dans les div-ādi (skr. *han-ya-), et donne pour exemple la phrase saddo sotamhi haññati pațihaññati, "le son / le discours frappe l'ouïe", Sadd, p. 399.17-20; 485.31. 25 L'ambiguïté du thème pali hañña, amg. hanna- a gêné commentateurs, éditeurs et traducteurs, cf. Jain Studies in honour of Jozef Deleu, Tokyo 1993, p. 232 n. 64. La plupart ont, sans plus ample informé, systématiquement considéré amg. hanna- comme un thème de passif, qu'ils ont remplacé par hamma-, thème de passif enseigné par Hemacandra 4.244: ainsi J. Charpentier éditant l'Uttarajjhāyā, Lund 1921-22 (p. 287). 77 Page #8 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Colette Caillat et ne pas entrer en colère (c-d), Sūy 1.2.2.5, lui aussi, montre d'abord le muni sondant la pérennité du dharma (a-b), puis (c-d) le māhana qui, en réaction aux maux et aux rudesses dont il est la cible (putthe pharusehi), ne se laisse pas entraîner à une riposte, mais poursuit, dans une équanimité parfaite, sur la voie de la Doctrine, lui "qui ne tuera pas", "qui refuse (l'usage de) la violence". Si tel a été le sens originel du privatif a-vihannu,26 la juxtaposition, évidemment voulue, de mă-hane, en fin de 5c), et a-vihannü (en début de 5d) souligne la synonymie qui unit les deux termes, et met en valeur l'idéal d'ahimsā, de paix active, qu'incarne le vrai brahmane. Abréviations LANGUES: amg. = ardhamāgadhi; m.i.a. = moyen indo-aryen; skr. = sanskrit. TEXTES, etc.: Acar 1 = Ācārånga-sūtra. Erster Śrutaskandha. Text, Analyse und Glossar von Walther Schubring, Leipzig 1910 (AKM 12.4). - AgS=Āgamodaya-Samiti (vol. 1, Ācārāngasūtram and Sūtrakytāngasūtram with the Niryukti of Bhadrabāhusvāmi and the commentary of Silänka): les références sont aux pages de la réédition par Jambūvijaya, Delhi 1978). - BSS = W.B. Bollée, Studien zum Süyagada, I, Wiesbaden 1977; II, 1988 (Schriftenreihe des Südasiens-Instituts der Universität Heidelberg, 24; 31) (BSS = BSS II; ces études présentent, entre autres, le texte de la Sûy-Nijj 36-61; du Süy 1.2, etc., une traduction commentée de Sãy 1.2, etc.). - Cu= Carni, éd. Punyavijaya, Ahmedabad-Varanasi 1975 (Prakrit Text Society, 19). – G = Suttagame, éd. Pupphabhikkhu, Gurgaon 1953. - JAS = Jaina Agama Series, Bombay (Sri Mahavira Vidyalaya). - JVBh = Jain Viśva Bhārati, Ladnun. - Nijj = Nijjutti. - Pischel = R. Pischel, Grammatik der Präkrit-Sprachen. – SBE = Sacred Books of the East 45, London 1895 (Jaina Sütras translated from Prākrit by Hermann Jacobi (Uttarajjhãyä, Süyagada)). - Süy = Sūyagadanga (le texte cité ici est normalement conforme à l'éd. JAS (éd. Jambūvijaya), moyennant les normalisations courantes, et les menues adaptations rythmiques que signale SBB). - T = Tīkā (éd. AgS). - Worte = Worte Mahaviras. Kritische Übersetzungen aus dem Kanon der Jaina, von W. Schubring, Göttingen-Leipzig 1926 (Quellen der Rel.-Geschichte 14.7) [voir, entre autres, les traductions de Sãy 1.2, p. 130 ss.) 26 Il est d'autant plus facile de passer de "inoffensif à "imperturbable" que la comparaison du Jina (par suite du religieux) avec le Mont Mandara/Meru est usuelle (cf. Sūy 1.11.37d; 1.6.9-14). Page #9 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Le vrai brahmane, etre "inoffensif", mahane avihannu, Suyagada 1.2.2.5 English summary Suyagada 1.2.2.5 is one of the many difficult stanzas of this old Jain canonical book. In pada (d) the sequence avihannu is generally read as avi hannu (= skr. api hanyamanah). It is attempted here to show that not only the reading a-vihannu is to be preferred (a proposal already found in the SuyCurni), but also that this adjective, far from being a passive form (as above), has an active meaning. It could perhaps continue the rare (1x) Vedic ha-tnu (K.R. Norman). Or it can be a m.i.a. derivative of HAN, with - yu-suffix, or of the active intransitive MIA base hann-a- with suffix -u-. Hence, in the Say stanza, a-vihannu is more or less a synonym of the ardhamagadhi name of the "brahmana", mahane (traditionally analyzed as ma hane, "do not kill", cf. Suy 1.2.3.21), which immediately precedes it in this vaitaliya stanza: the true brahmin or mahana is thus the very incarnation of a-vihimsa (Say 1.2.1.14).