Book Title: Dexus Notes De Moyen Indo Aryen
Author(s): Colette Caillat
Publisher: Colette Caillat
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Page #1 -------------------------------------------------------------------------- ________________ BEI 10 (1992): 97-111 Colette CAILLAT Deux notes de moyen indo-aryen I. Les quatre thèmes de présent de HAN en pāli II. “Double optatif” en māhāräştri jainą ? La critique textuelle a montré combien les habitudes orthographiques des copistes qui ont transmis des écrits en langues moyen indo-aryennes masquent parfois la prononciation réelle de formes qu'une lecture attentive des passages métriques invite à reconnaître?. C'est ainsi que des formations sans doute tenues pour aberrantes par les scribes nous parviennent tantôt normalisées tantôt dénaturées, soit que l'orthographe laisse au lecteur le soin de restituer le rythme, soit que, au contraire, la reproduction maladroite du rythme ancien ait entraîné des transcriptions déroutantes. Il arrive également que le critique moderne, instinctivement puriste, hésite à reconnaître l'authenticité de formes m.i. désormais isolées, qu'il soit donc tenté de dénoncer, éventuellement de corriger ce qui lui apparaît comme négligence, ou ignorance, des anciens. A l'inverse, il se peut qu'on prenne pour linguistiques des créations artificielles, ou de simples erreurs. Il faut donc avoir observé les faits avec patience, en alliant autant que possible les ressources de la linguistique et de la philologie. C'est ce qui va être tenté ici. 1. Principales abréviations: langues: amg. = ardhamāgadhi; jm. = māhärāştri jaina; m.i. = moyen indo-aryen; pa. = pāli; pk. = prākrit; sk. = sanskrit; v.i.a. = vieil indo-aryen; ouvrages: CPD = A Critical Pali Dictionary; Ee = Edition européenne; Geiger = W. GEIGER, Pali Literatur und Sprache; Ne = Edition de Nalanda; PED = The Pali Text Society's Pali-English Dictionary; Pischel = R. PISCHEL, Grammatik der Präkrit-Sprachen; Sadd(anīti) = Saddaniti. La grammaire palie d'Aggavamsa. Texte établi par Helmer SMITH. Lund, 1928-30; IV, V, Tables. 1949; 1953; Überblick = O. v. HINUEBER, Das ältere Mittelindisch im Überblick. Les références aux textes pa. suivent les normes du CPD. 2. Voir H. JACOBI, The Kalpasútra of Bhadrabahu, Leipzig 1879, p. 4; etc. Comparer les faits bien connus en védique, A.A. MACDONELL, Vedic grammar § 48 et n. 9, renvoyant à WACKERNAGEL, Altindische Grammatik I $ 181. Page #2 -------------------------------------------------------------------------- ________________ 98 Colette CAILLAT Devant le scepticisme plus ou moins manifeste que suscite l'interprétation des optatifs asokéens (na) hamñeyasu à Shahbazgarhi", (na) hamnesu à Erragudi par des optatifs actifs, "qu'ils cessent de tuer”, il paraît utile de rappeler (I) la diversité des thèmes de présent qu'assume, en pa. (et m.i.), la racine HAN, “frapper, léser, tuer". En appendice (II) je citerai deux formes d'optatif jm. que les éditeurs ont d'emblée tenues pour artifices métriques: à juste titre probablement, encore qu'elles rappellent les formes doublement pourvues d'une marque d'optatif, du type pa. haññe. Thèmes de présent relevant de la racine HAN en pa. canonique: (-)han(-ti), (-)hana(-ti), (-)hanā(-ti), (-)hañña(-ti) Comme on sait, le thème de présent pa. se termine normalement par un phonème vocalique, le plus souvent --, ou e-, parfois -ā-, éventuellement -o-, très rarement --, -í-. Naturellement, il existe aussi en pa. des archaïsmes, si bien qu'on rencontre parfois des formes héréditaires, léguées par l'ancien système athématique du vieil indo-aryen. 1. De HAN en particulier, il survit, au présent, la 3. sg. han-ti, qu'enseigne et illustre la Saddanïti, et que plusieurs pāda plus ou moins formulaires des Suttanipāta et Dhammapada utilisent'. En voici les exemples: yo hanti parirundhate gāmāni nigamāni ca (Sn 118)?, “qui détruit (ou) assiège les agglomérations..."; yo mätaram vā pitaram vă ... hanti roseti vācāya (Sn 125), "qui frappe ou irrite par ses paroles son père ou sa mère ...";. 3. Sur lequel voir brièvement K.R. NORMAN, "An Asokan Miscellany” § 6 (à paraître dans les Studien zur Indologie und Iranistik: Prof. K. Bruhn Felicitation Volume). (Note de l'éditeur). 4. Voir Bulletin d') Etudes) Indiennes) 9 (1991), p. 9-13: "Asoka et les gens de la brousse (XIII M-N): ‘qu'ils se repentent et cessent de tuer')); et "The 'double optative suffix' in Prakrit. Asoka na hamnesu - na hamñeyasu", ABORI, Amstamahotsava Volume, 72 & 73 (1991-92), 1993, p. 637-645. 5. Sadd 398.14-17: hanti hanati, citant, pour hanti, Ja VI 376.14* et A IV 97.9*. La forme ne paraît guère employée hors des passages métriques. 6. Cf. Geiger $ 140. 7. Pj II 1. 178. 28: 'hanti' ti hanati vinäseti; 'uparundhati' (sic) ti... 8. Pj II 1.180.3: 'hanti' pāņinā vā leddunā vā aññena vā kena ci paharati, “il frappe avec la main ou des pierres ou autre chose” (sur leddu, voir PED, s.v.). Page #3 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Deux notes de moyen indo-aryen 99 yavad eva anatthaya Aattam balassa jayati hanti bālassa sukk'amsam muddham assa vipatayam (Dhp 72), "autant ce qu'il a appris ne sert à rien au sot: cela détruit sa bonne étoile, faisant voler sa tête en éclats"; hananti bhoga dummedham bhoga-tanhaya dummedho hanti aññe va attanam (Dhp 355), "les richesses détruisent l'insensé ...; avec sa soif de richesses l'insensé se détruit lui-même, comme les autres". Le SamyuttaNikaya dit pareillement (I 154.3"): phalam ve kadalim hanti... sakkāro kāpurisam hanti, "pour sûr, son fruit fait périr le bananier; les honneurs perdent le lâche"". D'après les relevés de Dines Andersen et de Helmer Smith10, han-ti paraît être la seule forme de 3. sg. présent employée dans Dhp et Sn. 2. Dès ces textes, cependant, la 3. pl. correspondante se fonde, non sur l'ancien thème à vocalisme réduit (v.i.a. ghn-anti)", mais bien sur une base apparemment thématique, han-a-. De l'exemple fourni par le sloka du Dhp 355a (supra) on rapprochera le päda Sn 669b (vaitaliya): jalena ca onahiyana tattha hananti ayomaya-kütehi, "(les) enveloppant d'un filet, ils frappent là avec des marteaux en fer". L'évolution n'est pas pour surprendre: les particularités phonétiques de l'indoaryen ont, dès l'origine, entraîné force remaniements dans les dérivés de cette racine14 On a signalé, en védique, des transferts du présent athématique au présent thematiques, ou, comme on a dit parfois, des formes mal définies, ainsi "le (semi-)subjonctif 9. Geiger, dans les addenda, p. 182, ajoute, sous réserve, l'impératif samūhantu, D II 154.17. Mais Buddhaghosa lisait -hanatu (cf. Mil 142.18 et v.l., n. 18). 10. Dines ANDERSEN, A Pali Reader, Glosssary, s.v. hanti; Helmer Smith, Paramatthajotikā II 3, p. 790, s.v. hanti. 11. La Sadd 398.14 cite hanti (exceptionnel pour hananti), qu'elle relève dans Ja VI 582.19*. 12. Sur cette forme, Sn p. 129 n. 11. 13. Pj II 2.480: migam viya 'hananti'. 14. Voir WACKERNAGEL-DEBRUNNER, Altindische Grammatik II 2 p. 5; 73sqq.; 90sq.; 784; etc.; THUMBHAUSCHILD, Handbuch des Sanskrit II § 487. 15. WHITNEY, Sanskrit Grammar § 637b. Page #4 -------------------------------------------------------------------------- ________________ 100 Colette CAILLAT hanati”16. Rien que de naturel, donc, si, à une étape ultérieure, le thème d'indicatif présent hana- s'est généralisé au point de devenir banal"? 3. Cependant, le pa. — le m.i. ancien - recourt à un troisième type de présent, à voyelle finale longue: la 3. sg. (-)hanā-ti existe indiscutablement, y compris dans la tradition manuscrite, ou bien se laisse aisément restituer, le mètre aidant; d'ailleurs, les faits pa. sont corroborés par des exemples en ardhamāgadhi. Pour le pa. PED renvoie à une stance des Jātaka: hanāti itthi purise (V 461.28c*; v.l. birmane -a-), que la tradition birmane explique par itthi ca purise ca hanati (Ee 461 n. 15), “il tue hommes et femmes”. On ajoutera Ja VI 210.32* (à quoi renvoie Helmer Smith, Sadd 398 n. e): sace hi so sujjhati yo hanāti (sans v.1.), “s'il est vrai que celui-là est quitte, celui-là qui tue ...": à la cadence de trişțubh, la longue est garantie par le mètre. L'expliquera-t-on, mécaniquement, "metri causa”? Ou bien l'origine de telles formes se trouve-t-elle dans la langue? Avant d'avancer une réponse, il peut être utile de noter les hésitations dont témoigne un sloka du Vinaya (II 147.31* = 164.27*). Oldenberg écrit (sans signaler de v.l.): sītam unham pațihanti, “il (le vihāra) refoule le froid et le chaud"18. Le pāda, qui se retrouve Ja I 93.17*, peut se lire sous forme pathyā". Mais, comme le signale H. Smith (Sadd V 1541, s.v. pațiharkhāmi), quand la Sadd cite le vers elle écrit, à deux reprises, pațihanati20. Ce sont là, somme toute, des leçons qu'on peut tenir pour faciles - dont H. Smith, devant ces curieuses hésitations de la tradition, se demande si 16. L. RENOU, Grammaire de la langue védique, Lyon 1952, § 311 note. Cf. aussi les subjonctifs cités par Karl HOFFMANN, Der Injunktiv im Veda, Heidelberg 1967, p. 258, note 295. 17. Geiger $ 140: PED, s.v. hanati; O. v. Hinüber, Überblick $ 448.- A l'impératif, Ja IV 42.26* dit pareillement hanantu, Geiger $ 124. La formulation d'O. v. Hinüber reste vague, sans doute volontairement. Mais, à en juger d'après la série d'exemples relevés dans Sn et Dhp, c'est bien à partir de la 3. pl. que han-a-, hana- paraît s'être étendu: ici comme ailleurs, le thème *han-aura battu en brèche le degré réduit de forme *ghn-. 18. Cité par Sv I 304.5*, comme le note I. B. HORNER, Book of the Discipline V p. 206 n. 2. 19. Sadd IV 8.1.3,11 (xxxx u--x), en lisant (pați-) à la jointure. 20. Sadd 398.25 = 503.26; bha-vipulā (cf. Sadd IV 8.1.3,12-2 (-----)Uvuv-). Page #5 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Deux notes de moyen indo-aryen 101 elles n'ont pas supplanté un présent plus ancien, pațihanāti21. Implicitement, cette hypothèse renvoie à la formation parallèle pațibhaņāti (infra). Quoi qu'il en soit de ce passage du Vinaya, il reste que le présent pa. (-)hanāti a un correspondant prākrit, haņāi, assuré en amg. 22, par exemple dans l'Uttarrajjhāyā (20.44*), à l'ouverture d'un pada de triştubh: haņāi sattham jaha kuggahīyam.(a) haņāi veyāla iva (c), "de même que l'arme (/ la leçon ?) mal saisie tue ..., comme tue le vetāla ...23. La diversité des exemples qu'on vient de voir permet de conclure à l'authenticité ancienne de ces formes. Quand bien même, d'ailleurs, elles auraient été artificielles, elles auraient eu tôt fait d'être légitimées. Car elles s'insèrent à merveille dans une petite série qui, en m.i., a eu quelque fortune: celle des présents dont la finale du thème -na- est pourvue d'un doublet -nā, du type pa. khaṇati / khaņāti24, et surtout bhanati / bhaņāti, "il dit", auquel correspond l'amg. bhaņāi (Pischel § 514). Avec H. Smith, en effet, on lira bhaņāti en début de triştubh, Ja VI 360.8*25. La forme est, en quelque sorte, authentifiée, à la cadence d'un pāda pair de śloka, où le composé pațibhaņāti, pațibhaņāsi répond manifestement au présent vijānāsi, traditionnel, qui précède: sādhu mêtam vijānāsi sādhu pațibhaņāsi me (Ja III 405.8*), "tu interprètes cette mienne (énigme) correctement, tu me réponds correctement". Les finales de bhanāsi, hanāsi ... rejoignent évidemment les présents légués par la “9ème classe” sanskrite, que le m.i. semble avoir un temps conservée, et, occasionnellement, augmentée 26. 21. Sadd 398 n. 17, renvoyant à Ja VI 210.32*, supra (ra-vipulā, cf. Sadd IV 8.1.3.13 ? (-U--uvu-]). 22. Pischel § 499. 23. Comparer Dhp 72, supra. 24. Dans une lettre à Jules Bloch (22.2.1934), Helmer Smith note la cadence de triştubh Ja IV 46.10*: kimatthiko tāta khanāsi (v.l. -asi) käsum ? "pourquoi creuses-tu une fosse ?" Comparer la similarité dans le traitement de HAN ct KHAN en pkr. signalée dans la grammaire pkr. de Hemacandra, IV 244. 25. Correction proposée Sadd V 1647, s.v. bhanati (Ee mss. -a-). 26. Geiger $ 145sq.; 131; Überblick $ 449, rappelant suņoti et sunāti, sunati; Pischel § 514. On note que patibhanāsi (etc.) évite une séquence de quatre brèves, cf. CPD Epilegomena 31* (rhythmical lengthening). Page #6 -------------------------------------------------------------------------- ________________ 102 Colette CAILLAT 4. On reconnaîtra enfin l'existence d'un quatrième type de présent, haññati, qui rappelle le type pa, maññati (sk. man-ya-te, -ti)27. Il en sera cité plusieurs exemples palis, tantôt en vers (dans les Jātaka), tantôt en prose (l'un dans le S(amyuttaNikāya), l'autre dans le K(athā)v(atth)u). Le fait n'est pas pour surprendre: de leur côté, les grammairiens prakrits ont signalé l'emploi de hammai (forme usuelle du présent passif de HAN) avec valeur active: kartary api28. Au reste, Pischel relève d'autres exemples du passif employé, dit-il, au sens de l'actif ($ 550). 4.1. La Saddanīti, qui traite de haññati à deux reprises, en indique les particularités morphosyntaxiques. Dans la section consacrée à la classe des "bhuv-ādi”, Aggavamsa note que, par opposition à hana- (qui relève de celle-ci), la forme fondée (pați-)haññati relève de la classe des "div-ādi” (caractérisés par l'affixe -ya-, *han-ya-); en outre, que le verbe, personnel, est actif intransitif. Pour preuve il allègue un énoncé du Kvu (221.8), où pațihaññati est employé absolument: Buddhassa Bhagavato vohāro lokiye sote pațihaññati, "les propos ordinaires du Bienheureux Buddha ont un impact sur l'entendement commun”. La Sadd reprend ce passage au cours de l'examen de haññati, pațihaññati, considérés, plus loin, parmi les membres des divādi’l. La citation du Kvu y est précédée d'un énoncé simplifié (dont est bannie toute ambiguïté): saddo sotamhi [sic] haññati pațihaññati (485.31). Plus ancien que le Kvu, le S emploie également le présent actif intransitif haññati (IV 175.7sqq.). Une sorte de parabole met en scène un malheureux que tourmentent et 27. "Quatrième classe" sanskrite, celle des div-ādi. Sur l'extension de ce type en m.i., Geiger $ 136.2-3; Pischel § 487. 28. Vararuci 8.45; Hemacandra 4.244; etc. 29. "Das Passivum wird zuweilen im Sinne des Parasmaipadam gebraucht." Cette formulation résulte-t-elle des tyrannies du sanskrit et de l'étymologie? Elle est déconcertante de la part d'un savant qui a d'ailleurs noté l'extension, en m.i., de la classe des thèmes de présent actif élargis en -ya- (8 487; cf. infra). Peut-être a-t-il pensé en particulier au cas de hammai: il cite Uttarajjhāyā 27.3, vihammāna, dit d'un bouvier "frappant" ses bêtes récalcitrantes. Voir aussi W. SCHUBRING, Ācārângasutra, Leipzig 1910, Glossar, p. 108, s.v. han. Relevant de la même catégoric, la 3. pl. active bhannanti, "ils disent", m'est signalée par Nalini Balbir, dans les Chappannayagähāo 122, éd. A.N. UPADHYE, Kolhapur 1970, Shivaji University Sanskrit & Prakrit Series 3 (cf. Pischel $ 550). 30. Sadd 399.17-20: hana-dhātu divādi-gane pațihannati ti akammakam kattu-padam janeti, "la racine hana génère, dans le gana divādi, pațihanati', verbe intransitif" (akammaka, Sadd 2.1.2); avec agent sujet (kattu, Sadd 3.1.3; 5.1.1.1). - En règle générale, la traduction des termes techniques grammaticaux se conforme à la terminologie proposée dans Sadd IV E. Conspectus terminorum (voir aussi Louis RENOU, Terminologie grammaticale du sanskrit, Paris (1957]). 31. Sadd 475.24 - 491.15. Page #7 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Deux notes de moyen indo-aryen font fuir des maux et des malfaiteurs, en particulier "des bandits qui attaquent les agglomérations", cora gama-ghataka". Métaphoriquement, le texte renvoie ainsi à l'homme d'une part, de l'autre aux "six sens externes" (bāhirāṇam āyatanānam adhivacanam: vue, ouïe, manas), dont chacun lance ses assauts destructeurs (haññati), "étant donné les séductions qu'exercent les formes, les sons..."34. Ainsi, le parallélisme des syntagmes, le premier nominal, le second verbal, confirme la valeur active du présent haññati, qu'exige d'ailleurs le contexte. Le verbe est ici employé absolument, sans objet direct exprimé. A ce point, il est naturel de rechercher s'il se trouve aussi dans des constructions transitives. Aggavamsa paraît le nier: est-ce à raison, ou à tort? - 103 4.2. A vrai dire, on peut attendre que certains syntagmes soient ambigus: si haññati est accompagné d'un substantif neutre singulier au cas direct (finale -am), on sera tenté de voir immédiatement dans ce nom le sujet du présent passif usuel. Dans certains passages cependant il convient de vérifier si le tour passif, en effet possible, ne se serait substitué à une construction plus ancienne où haññati fonctionne pas superposé comme présent actif. C'est ce qui va être tenté ici, avec l'examen de deux triṣṭubh des Ja (IV 102.7*sq. et IV 395.18*). Ayant reconnu que "sont attestés" (dissanti) dans le "texte canonique" pali36 des emplois de haññati en valeur active intransitive, la Saddd distingue cette forme du présent passif héréditaire haññati qui forme couple avec l'actif hanati37. Pour illustrer son propos, Aggavamsa, en 486. 1-2, cite deux pāda successifs des Ja (IV 102. 7*-8*), où figurent symétriquement, dans le premier haññati, dans le second hananti. Une querelle oppose Adharma et Dharma, qui sont comparés, Adharma avec le fer, Dharma avec l'or. Pour établir sa supériorité, Adharma invoque un adage composé de deux énoncés fortement antithétiques: - 32. S 175.5, cf. 174.4. 33. Ee, Ne, sans.v.l. 34. S IV 175.6-9: cakkhu, bhikkhave, haññati manāpāmānesu rūpesu ... dhammesu, "For the eye, brethren, destroys with entrancing shapes, ... the mind destroys with entrancing mind-states", traduction Woodward, The Book of the Kindred Sayings, IV p. 109. Cf. Spk III 18.1sqq. 35. Comparer, infra, Ja I 168.7* = Dhp-a II 19.4*, pāṇinam haññe ... pāṇa-ghātī. 36. Sadd 399.18-20: "buddhassa Bhagavato vohāro lokiye sote pațihaññatī” ti ādikā pāļiyo dissanti. 37. Sadd 485.32-486.3: bhuvādi-ganam pana patvā "lohena ve hañnali jātarūpam na jātarūpena hananti lohan" ti paliyam haññati ti padam kamma-padam, "en revanche, appartenant au gana des bhuvadi, (exemple) 'lohena ve haññati j., na jātarūpena hananti loham', dans le texte canonique 'haññati' est un verbe passif (kammapada)", voir n. 38. Page #8 -------------------------------------------------------------------------- ________________ 104 Colette CAILLAT lohena ve haññati jātarūpam na jatarapena hananti loham. Dans son analyse, Aggavamsa tient haññati pour un passif ("l'or est martelé avec le fer par les ouvriers"), opposé à l'actif hananti ("les ouvriers ne martèlent pas le fer avec l'or"). Si licite que soit cette interprétation grammaticalement irréprochable, elle n'est pas entièrement satisfaisante: elle affadit considérablement l'opposition entre les deux métaux et entre les deux protagonistes, alors que celle-ci semble au contraire soulignée en pa. par le parallélisme voulu, significatif, des deux énoncés. Peu importent, dans le contexte, les agents de l'action! La présence l'intrusion d'ouvriers (kammārehi, kammara) que suppose la Sadd nuit à la vigueur des prédicats. Dès lors, tout en reconnaissant que cette strophe des Ja prête à équivoque, il paraît préférable d'admettre que le présent actif haññati ne se limite pas à des emplois intransitifs; que, dans ce passage des Ja, les deux 3. personnes, du singulier comme du pluriel, impliquent des sujets indéfinis". Les deux particules, assévérative et négative, ont alors leur pleine valeur: "Oui, c'est avec le fer qu'on frappe l'or; non, ce n'est pas avec l'or qu'on frappe le fer40 Bien qu'exceptionnel, l'emploi actif transitif du thème de présent haññati paraît assuré dans une autre tristubh des Ja (IV 395.18*), où se lit l'impératif (3. pl.) ahaññarum (Ee; v.l. birmane -antu, infra). Avant d'aborder l'analyse du passage, il convient de rappeler que la finale -arum, d'un type rare, n'a été relevée que dans un très petit nombre d'exemples. Jules Bloch cite 38. Sadd 486.3-5: ... haññati ti padam kammapadam, jätarupam lohena kammarehi haññati ti attho, hananti ti padam kattupadam, loham jätarupena kammārā hananti ti attho, "le verbe 'haññati' est passif, le sens est 'T'or est, au moyen du fer, martelé par les ouvriers'; le verbe 'hananti' est actif, le sens est 'les ouvriers martèlent le fer au moyen de l'or"". Je remercie très vivement M. C.B. Tripathi qui a bien voulu me faire part de ses observations à propos de ce passage: il préfère suivre la Sadd, suppléer donc, avec elle, kammarehi et kammärä. 39. Cf. Louis RENOU, Grammaire sanscrite § 366. Exemples pa. dans H. HENDRIKSEN, Syntax of the Infinite Verb-forms of Pali, Copenhagen 1944, p. 106; cf. infra, 5, les exemples de haññe, hane, 3. sg. sans autre sujet exprimé (sujet indéfini). Cf. la traduction de DUTOгr IV p. 120: "Mit Eisen kann das Gold man überwinden, nicht kann besiegen man mit Gold das Eisen." Si haññati est bien un présent actif à sujet indéfini, l'emploi de deux formes sémantiquement comparables, morphologiquement différentes, dont, de surcroît, l'une est ambigüe et sans doute obsolète, donne évidemment du piquant à l'aphorisme. 40. Fausböll relève d'autre part la leçon haññati, v.l. du futur actif transitif, Ja IV 102.9*: sace Adhammo hanchati Dhammam ajja (Ee), "si A. vient à battre Dh. aujourd'hui". Ee 102 n. 4 lit hanjati, hanjiti dans les deux mss. singhalais, mais haññati dans le ms. birman. Dans le commentaire littéral les trois manuscrits citent le Ja non sous la forme 'hanchati', mais bien 'haññati', qu'ils s'accordent à gloser hanissati. - Comparer II 418.11*: Ee hanchema; mss. singhalais hachema, hanjema (?); mss. birmans haññāma. Page #9 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Deux notes de moyen indo-aryen 105 le prétérit amaññarumol, O. v. Hinüber (suivant Geiger) un impératif visīyarum (Th 312)42. On admet en général sans discussion, à la suite de Geiger, que la finale -arum relève de la diathèse moyenne. Peut-être néanmoins conviendrait-il de nuancer l'affirmation, d'autant que l'opposition moyen / actif cesse d'être pertinente en m.i.43, où l'oscillation maññate / -ti ne s'accompagne d'aucune opposition sémantique; où, d'ailleurs, maññati supplante maññate. La même remarque vaut sans doute en Th 312: il n'y a pas lieu de tenir pour significative l'éventuelle diathèse moyenne du verbe pa. correspondant au sk. sīyate: le commentaire de Th 312 glose visīyarim par visiyantu, qu'il explique par ito c' ito viddhamsantu", donc "que (mes chairs) se délitent; éclatent”. Assurément visīyarum (312b) fait suite à un médio-passif, bhijjatu (312a), “que (mon corps) se fracasse"; mais il précède l'actif papatantu (312d), "que (mes jambes) s'effondrent"45. On le voit, c'est l'emploi intransitif de ces impératifs qui est manifeste, bien plus qu'une éventuelle valeur moyenne46. Il faut tenir compte de cette situation générale dans l'analyse de āhaññarum. La forme se lit dans un passage des Ja qui décrit les préparatifs de départ d'un roi, d'abord dans un śloka (IV 395.16*): yojentu ve rāja-rathe, “qu'on attelle les chars royaux”. Il est antéposé à une triştubh (18*-19*): āhaññarum (v.l. birm. āhaññantu] bhuri-mudinga-samkhe (sans v.l.] 41. Jules Bloch (- Alfred Master), Indo-Aryan, Paris 1965, p. 229. Voir Geiger $ 159.II, référant à Ja III 488.2* (sans v.l.; 488.1*sqq. = Vin I 349.25*sqq., sans v.l.: concordance signalée par Fausböll). 42. V.I. visiyantu, visiyanti, visiyanti, cf. Ee p. 36, notes. La forme visiyarum est citée Überblick § 425, avec renvoi à Geiger $ 126 où (n. 4) la forme est rapportée à śyā siyate. Geiger ne cite pas d'autre exemple de cette forme de 3. pl. Peut-être devrait-on ajouter Asoka, Girnar XII (I) sunānı (mais Erragudi sunevu, Kalsi şunelylu, etc.); sunāru est suivi de l'optatif du désidératif, à Girnar susumsera (Er susūseyu, etc.). Ce sunāru a fait l'objet de discussions: Hultzsch note l'opposition pk. -ru: -ra(m) (cf. sk. -nitu : -ntām) et y voit un impératif actif, Inscriptions of Asoka, Oxford 1925 (CII 1), p. LXVIII. 43. Indo-Aryan, p. 229. – L'opposition ne s'est guère maintenue en sk. même, cf. L. Renou, Grammaire sanscrite, (Paris 1930), p. 392-3. 44. La glose est citée Ee p. 36. 45. Th 312: kämam bhijjatu 'yam kayo maisa-pesi visiyanum ubho jannuka-sandhihi jarighãyo paparantu me. 46. Comparer Renou, Gr. sanscrite, 1.c.: "c'est la forme en -ya- qui sert là où il y a lieu de rendre une nuance intransitive nette." Page #10 -------------------------------------------------------------------------- ________________ 106 Colette CAILLAT sighani yanani ca yojayantu, "qu'on frappe (/ fasse retentir) les tambours et les conques, qu'on attelle les chars rapides". Le commentaire littéral glose ahaññarum par ahaññantu (22'; v.l. ahanantu (sic)]. On observera que -samkhe (acc. pl.) est la leçon de tous les manuscrits, aux yeux desquels, donc, le verbe n'est assurément pas à la voix passive. S'il y avait eu le moindre doute, la substitution à l'acc. pl. samkhe d'un nom. samkha était des plus faciles. Au reste, on aura remarqué la v.l. birmane signalée par Fausböll (Ee p. 395 n. 7): au lieu de ahaññarum [---], ouverture métriquement parfaite, un manuscrit birman écrit ahaññantu, qui porte la marque usuelle d'impératif 3. pl. -ntu (voix "active"). Cet ahaññantu est métriquement incorrect. Il est, d'une part, identique à la glose littérale que la tradition singhalaise donne de ahaññarum (22'), et, d'autre part, est à son tour, glosé par ahanantu", c'est-à-dire précisément par l'impératif actif usuel. Pour la tradition pa., donc, ahaññarum est indubitablement un doublet de l'impératif actif commun48. L'indicatif correspondant, (-)haññati repose sur un thème hañña-, en tous points comparable à celui de mañña(-ti). Les emplois qui viennent d'être examinés permettent de conclure à l'existence ancienne d'un thème de présent hañña-, susceptible de fonctionner comme transitif ou absolument. Quant au point de départ de cette forme, il est difficile d'en décider. Il se peut, vu l'extension de la "quatrième classe" (Pischel § 487) que hañña- (*han-ya-) résulte directement de l'élargissement par -ya- de la racine HAN, sans modification sémantique; peut-être, cependant, l'élargissement a-t-il, ici, été d'abord une marque d'intransitivité, avant de perdre, dans ce thème de présent, toute valeur distinctive. Conservées comme par miracle, les formes du thème hañña- examinées ci-dessus sont d'une authenticité assurée. Elles sont probablement plus anciennes que les formes comparables enregistrées par la Saddanīti, vajjati, dajjati ... (833.7-8; 388.22ss.; 370.9). Celui-ci paralt fondé sur un intermédiaire, en l'occurrence l'optatif dajja (*dad-ya-)" L'existence de ce dernier n'a pas empêché la création et la survie de (-)dajje ("da-d-y-e), lequel combine deux marques d'optatif, celle des anciens athématiques (cf. sk. -ya-), celle 47. Voir Ee p. 395 n. 10. C'est aussi ahaññantu, glosé ahanantu qu'imprime l'éd. singhalaise SHB de 1935. - L'édition de Nalanda retient ahaññantu (!) dans la strophe du Ja; et cite la tradition siamoise ahaññare (p. 308 n. 8). De ces oscillations on peut conclure que le choix de la finale est libre: il est ici guidé par le rythme. On aura noté que les deux impératifs, ahaññarum, yojayantu se répondent en chiasme, non sans emphase (comparer, n. 39, un possible autre effet de style). 48. Comparer, supra, visiyarum / -antu, viddhamsantu. 49. Geiger § 143d; D. Andersen, A Pali Glossary, s.v. dadāti. Page #11 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Deux notes de moyen indo-aryen 107 des verbes pa. -e-so. C'est évidemment de ce même schéme que relèvent les deux optatifs dajje et haññe ("han-y-e). Celui-ci n'étant pas rare, son existence a pu consolider celle d'un présent hañña-ti. 5. Ayant ailleurs analysé l'optatif pa. haññesi (attesté dans des passages métriques), je me borne ici à rappeler quelques points essentiels, à commencer par l'ouverture, formulaire, de triştubh-jagati qui énonce le premier commandement bouddhique: pāņam na haññe ... [--U-), "on ne tuera pas d'être vivant ..." Tel est le texte édité par Feer, A IV 254.17*, qui signale les v.l. hane, hanne, hāne. Même prescription en A I 214.34*, où l'édition de Morris porte hāne (sans indication de v.l.). Même formule encore en Sn 400a, où la tradition manuscrite paraît unanimement écrire pāņam na hane; même orthographe en 394a. H. Smith, dans son édition, fait observer cette unanimité (p. 69 n. 2; 70 n. 2); relève, ailleurs, la variante hāne, et note le rythme de cet optatif (-x]$2. rythme que conserve, en effet, le composé vi-hānes dans la triştubh Sn 348b = Th 1268b: vāto yathā abbha-ghanam vihäne, "comme le vent disperse la masse des nuages":54. Adaptée à un nouveau rythme, l'injonction se retrouve dans un sloka, Ja I 168.7*, cité sans changement par Dhp-a II 19.4*; dans cette version, la forme d'optatif est écrite haññe: na pāņo pāņinam haññe, pāņa-ghāti hi socati; le commentaire littéral explique 'na haññe'satto sattain na haneyyā. L'orthographe hāne reflète-t-elle une ancienne prononciation "orientale”, contrastant avec un haññe “occidental”? Ou bien résulte-t-elle d'une sorte de convention, 50. Cf. CPD I s.v. anu-ppadeti; 204.13ss.; Epilegomena 29*.1-4 (cité dans Überblick $ 440). Voir aussi Pi $ 461, sur l'étymologie de pk. kuvvejjā, à l'origine de quoi il pose *kuryāt. 51. Voir BEI 9 (supra, n. 3), p. 11 et note 12. 52. Voir Pj II 3, p. 790, s.v. hanti. 53. Comparer, supra, -bhaņā-ti, également conservé dans un composé. 54. A la lumière de ce pāda pa., on relira une stance du Sūyagadanga jaina (1.11.37c), où un optatif, vi-nihannejjā (sans objet exprimé) est traditionnellement tenu pour passif; mais est, dans la sīkā de Sīlānka, glosé par l'actif vihanyāt, cf. Jain Studies in honour of Jozef Deleu. Edited by Rudy SMET and Kenji WATANABE, Tokyo 1993, p. 232sq., n. 64. Page #12 -------------------------------------------------------------------------- ________________ 108 Colette CAILLAT d'un compromis entre haññe, traditionnel, métrique, mais plus. tard jugé aberrant en pa. "correct", et le banal hane(jjä)? Quelque réponse qu'on apporte à cette question, l'existence d'un optatif pa. actif de rythme [-] éventuellement écrit haññe, est indubitablement bien établie, et ses emplois en montrent l'ancienneté, peut-être même l'archaïsme et la vitalité. Cette formation a également laissé des traces ailleurs en m.i. (supra, n. 54). C'est pourquoi il m'avait semblé nécessaire de procéder, à la lumière de ces faits, à un nouvel examen des intentions qu'affiche Asoka dans son édit XIII sur rochers. J'espère avoir apporté ici quelques arguments linguistiques supplémentaires à l'appui de l'interprétation autrefois proposée par Jules Bloch des syntagmes na hamñeyasu (à Shahbazgarhi), na hamnesu (à Erragudi): ces optatifs, d'un type ancien et en quelque sorte formulaire, sont bien à la voix active, et, en les employant, l'empereur exprime, avec quelque solennité, le souhait que les gens de la brousse se repentent et "qu'ils cessent de tuer"56 ANNEXE Voici l'occasion de présenter un fragment de lettre (sans date) adressée à Jules Bloch par son ami Helmer Smith, qui commente Asoka hamneya(m)su et les formes d'optatif de la racine AS, telles qu'elles sont enseignées dans la Saddanīti: *(3. sg.) siya assa, (3. pl.) siyum assu siyamsu; (2. sg.) assa, (2. pl.) assatha; (1. sg.) siyam assam, (1. pl.) assāma, icc eva tāni pasiddhani, ettha pana "tesan ca kho bhikkhave samaggānam sammodamānānam siyamsu dve bhikkhu abhidhamme nānāvādā” ti pi pāļi nidassanam. C'est-à-dire: les autres formes de l'optatif étant d'usage courant, il faut renvoyer, pour siyamsu, à Majjhima II 239.4, qui se trouve confirmé, ainsi, et par un témoignage de grammairien et par Shahbazg. En face de l'omission fréquente de l'anusvāra dans cette rédaction (v. Hultzsch p. LXXXVII en bas) il est impossible de prononcer les optatifs cités autrement que: siyamsu et haññeyyamsu, quelque surchargé d'éléments flexionnels que soit le dernier ... siya siyamsu - addas: addasamsu acari: acarimsu[mais acari: acarisum] aha ahamsu... forment un système cohérent.»> 55. Voir BEI 9 (supra n. 4). 56. On aura noté la construction absolue du syntagme (cf. supra 4.1). Page #13 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Deux notes de moyen indo-aryen II 109 Les optatifs labbhe, janne en mähäräştri jaina Traité relativement tardif du canon jaina śvetämbara, le Mahānisīhasutta offre d'assez nombreuses particularités de langue et de style et, semble-t-il, plus d'un artifice. Des listes de ces singularités ont été dressées, dès 1918, par W. Schubring", et, plus récemment, par F.-R. Hamm, puis J. Deleu". S'agissant de l'optatif, ils notent des formes plus ou moins déconcertantes, par exemple l'adjonction de finales de 3.sg. -iyā à des bases de type "thématique"60, ainsi parivajjiyā, etc. Il n'y a pas lieu de supposer une quelconque authenticité linguistique à ces assemblages. Comme cependant les éléments dont ils sont constitués ont, en jm., et ont eu, en m.i., une existence certaine, il est naturel de s'interroger sur les processus qui ont conduit à ces créations61. Examinant la morphologie verbale, Deleu note, de LABH et JAN, les optatifs labbhe et janne, dont, dit-il, la consonne intervocalique aura probablement été redoublée "metri causa". Cette explication n'est qu'à demi convaincante puisque, comme Deleu lui-même l'observe dans l'examen métrique qui suit (p. 15), les sloka qui forment la plus grande part du Mahānisîha 1-2 sont souvent défectueux. Tel est, d'ailleurs le cas, semble-t-il, de la strophe 1. 115, où figure itthittaṇam labbhe... tanu, "mon corps risquerait de contracter le (fâcheux) statut de femme". Telle quelle, la stance 2. 134 en revanche paraît irréprochable: kuntha 'vi düsaham janne, "même le (minuscule insecte) kunthu peut engendrer de la gêne". 57. Das Mahānisihasutta, Berlin (Abh. der Königlichen Preussischen Akademie der Wissenschaften 1918. Philosophisch-Historische Klasse 5), p. 84-95. 58. Dans Studien zum Mahānisîha. Kapitel 6-8, von Frank-Richard HAMM und Walther SCHUBRING, Hamburg 1951 (ANISH.6), p. 14. 59. Dans Studien zum Mahānisīha. Kapitel 1-5, von Jozef DELEU und Walther SCHUBRING, Hamburg 1963 (ANISH 10). 60. Schubring p. 90-91; Hamm p. 14; Deleu p. 12. 61. Elles prouvent, en tout cas, la survivance de stocks de doublets morphologiques, dont la fonction initiale peut avoir été oubliée. Voir Helmer SMITH, JA 1952, p. 169sqq., sur le "nombre encombrant de doublets phonétiques et morphologiques" des pali-prakrits; il ajoute: "on est loin de savoir faire, partout, le départ de l'artificiel et du viable ...". 62. Respectivement chap. 1, strophe 115; chap. 2, str. 134. Page #14 -------------------------------------------------------------------------- ________________ 110 Colette CAILLAT S'il est indiscutable que le rythme des optatifs labbhe, janne convient exactement à la finale d'un päda impair de śloka, il n'est pas exclu pour autant qu'il reproduise des schémas prosodiques anciens, tel celui de haññe, hamne (hanne) sporadiquement attesté en regard de divers thèmes de présent, dont haññati et hanati (supra I). Ainsi a pu jouer l'analogie, hanati : haññe = labhati : x. Il est en effet loisible d'imaginer la rémanence de rythmes obsolets, auxquels l'amateur d'antiquités ou de curiosités qu'est, à ses heures, le compilateur du Mahānisiha rendrait une vie éphémère. Ce ne serait pas le seul artifice de ces vers. Mais l'optatif labbhe n'est pas entièrement sans fondement, puisque pa. et pk. dérivent de la racine LABH un invariant labbhā, plus ou moins figé au sens de "on peut obtenir", "on a le droit de”. Identique à celle de sakkā, la formation remonte peut-être (au moins partiellement) à un ancien optatif". Quelle que soit l'origine de labbhā, il est possible que l'existence de cette forme relativement usuelle ait favorisé la création de labbhe. Mieux: il a peut-être existé un thème de présent actif transitif labbha-. Du moins est-il impliqué par le futur amg. labbhihi, attesté dans un sloka de l'un des "vétérans” du canon jaina. Le Dasaveyaliya écrit en effet: labbhihi ela-mūyagam, "il contractera (une renaissance) comme sourd-muet”. Quoique Pischel range l'emploi du Dasav parmi les passifs employés en valeur d'actif ($ 550, cf. supra n. 29), il est évidemment plus économique de reconnaître ici comme précédemment, à la base de ce futur, un thème de présent pourvu de l'affixe -ya-, donc un *labbha(i), qui aurait également pu donner naissance à l'optatif labbhe. Quoi qu'il en soit, on aura noté au passage la similitude: entre les contextes du Mahānisiha et du Dasaveyāliya. De façon similaire, quand il emploie d'autre part l'optatif janne, l'auteur du Mahānisīha implique-t-il un présent actif transitif de type * jannai, “engendrer, faire” ? Il est remarquable que, pour le pa., la Saddaniti range effectivement les présents de la racine JAN dans la classe des divādi (485.23-29). 63. Voir Pischel $ 465: labbhā, de *labhyāt, comparable à sakkā, "genau = Vedisch sakyat". - Hendriksen (1.c., p. 105sq.) suggère un croisement de l'optatif avec le krtya (sakya-, labhya-). - Sur ces formes d'origine discutée, voir aussi AiGr. II 2 p. 896 $716h A, qui envisage comme possible point de départ le nom. sakvā (cf. fákvan-, ib. p. 895). D'où "labbhā 'licet' aus *labhvā". 64. Edition E. LEUMANN, ZDMG 46 (1892), p. 624.14*, v. 1. labbhai. Voir l'éd. PUNYAVIJAYA - BHOJAK, Bombay 1977 (Jaina Agama Series 15) V 2.48b = 261b et n. 3, p. 38: labbhihi, v.l. labbhahi, labhai, labbhai; Cürni labbhihiti. Page #15 -------------------------------------------------------------------------- ________________ Deux notes de moyen indo-aryen 111 Ils y sont repartis sous deux rubriques: d'abord "jana janane" (SS 1153), c'est-a-dire jana- au sens de "procreer, produire", qui serait a la base du causatif janei; ensuite jani patubhave ($ 1154), donc "jani" au sens de "se manifester, naitre". Pour la premiere rubrique il est specifie que la rection en est transitive (sakammako 'yam dhatu), le present jannati, le sens "il fait" (jannati t'imassa rupam, karoti ti attho). Les exemples allegues relevent du causatif, "il cree, cause" (karite ... janayati)6S. On observe que, a l'inverse, Hemacandra dans sa grammaire prakrite note pour la racine MAN un present mane, doublet de l'usuel manne. On penserait donc volontiers que les racines a nasale finale se sont mutuellement influencees67. Si tel est le cas, en utilisant un optatif apparemment aberrant janne, de meme que lorsqu'il avait employe labbhe, le Mahanisiha revele des virtualites de l'indo-aryen que la grammaire traditionnelle tend a occulter. SUMMARY * In continuation of previous investigations concerning MIA forms of the root HAN, "to strike, to kill", it is recalled how, in canonical Pa., four different stems are in use in the present active. Apart from survivals from the inherited 3. sg. hanti (in verses), occurrences are adduced of hanati (quoted in Sadd in the bhuvadi-gana), of (-)hanati (in verses), and of hannati (quoted in the Sadd in the divadi-gana, examples in prose). Though the Sadd seems to consider the latter as being intransitive, examples from the Ja (in verses) show that it has also been used in transitive constructions. Among the divadi the Sadd also quotes the present indicative jannati (root JAN), in the meaning "karoti". This form reminds of the opt. janne, which occurs in JM. (in the Mahanisihasutta of the late Jain Canon (in a sloka). Again in the Mahanisiha the creation of the opt. labbhe (in a sloka) could have been favoured by the invariant (opt.?) labbha (cf. sakka). At the same time this present stem reminds of the canonical future labbhihi. The question arises whether the Mahanisiha optatives are totally artificial, or whether they are based on some obscure survival. 65. Sadd 485.16-18: Jana janane. Sakammako 'yam dhatu. Jannati l'imassa rupam, karoti ti attho; karite "janesi Phusati mamam"... Sadd 485.23: Jani patubhave. Ikaranto 'yam akammako dhatu. 66. Hemacandra (ed. Pischel), 2.207, cite Pischel SS 457. 67. Comparer, ci-dessus, a cote de janati, les presents pa. (pk.) bhana(t)i, hanati (hanai).